Le confinement de la population française a débuté le 17 mars dernier. Emmanuel Macron a annoncé ce lundi qu’à partir du 11 mai certaines activités, mais pas toutes, pourraient reprendre un cours plus normal. Pendant deux mois, des pans entiers de l’économie auront été mis à l’arrêt, en large partie (services, industrie) ou en quasi-totalité (construction, tourisme). Le confinement réduit le niveau d’activité et de consommation de 35%. Chaque mois ampute donc la croissance d’environ 3 points. En 2020, la contraction du PIB réel dépassera sans doute 7%, le déficit public se dirigeant vers 10% du PIB et le ratio de dette publique vers 115%.

Par Bruno Cavalier, Chef Economiste

 

Depuis quatre semaines, il est interdit en France de se déplacer sauf pour des motifs, dûment listés, essentiels à la vie courante. Face à une modification aussi radicale des comportements, l’appareillage statistique usuel n’est pas adapté puisque les données sont connues avec retard. De plus, la collecte des informations est elle-même affectée par la crise sanitaire. En temps normal, ce délai n’est pas un inconvénient majeur, mais cette fois-ci, il le devient.

Les deux principaux fournisseurs de statistiques, que sont l’INSEE et la Banque de France, ont adapté leur travail en exploitant des données non-conventionnelles afin de suivre presque en temps réel les évolutions économiques1. Le but est de mesurer dans chaque branche de combien l’activité a été réduite, puis, par agrégation, d’en estimer l’impact sur l’économie dans son ensemble. Les évaluations sont convergentes et indiquent une baisse du niveau d’activité et de la consommation des ménages d’un peu plus d’un tiers à l’échelon national. Il y a bien entendu des écarts considérables selon les secteurs ou les produits (tableau).

France : impact du confinement sur l’activité économique et la consommation des ménages

France : prévisions du consensus 2020 et 2021

Une telle chute d’activité signifie que chaque mois de confinement ampute le PIB annuel d’environ trois points2. Avec deux mois de confinement complet – du 17 mars au 11 mai – et une sortie graduelle, sans doute sur plusieurs semaines, la « croissance » française ne peut être que fortement négative en 2020, -7% au minimum. Selon la manière de répartir le choc sur le T1 et le T2, on peut facilement aboutir à un chiffre bien plus bas. Si la vie et l’activité reprennent un cours normal au second semestre, il est attendu en bonne logique un rebond presque proportionnel en 2021. A titre d’illustration, la dernière enquête du consensus, close le 6 avril (donc en retard sur une réalité si changeante), table sur une chute de 5.4% et un rebond de 5.1% (graphe).

La mise en sommeil de pans entiers de l’économie est un moyen de freiner la pandémie et, ce faisant, espère-t-on, de la surmonter (éviter que les capacités hospitalières soient débordées, rechercher un traitement). Pendant ce temps, le but est de préserver au maximum le revenu des agents, pour éviter qu’un choc transitoire (le confinement) ne déclenche des ajustements durables dont il serait alors plus difficile de se relever.

France : nombre de personnes en chômage partiel

Dans ce but, le moyen le plus emblématique est l’ouverture d’un mécanisme de chômage partiel censé couvrir en moyenne 84% du salaire net. Il n’y a presque pas de conditions préalables mais il y aura avec des contrôles a posteriori. Au pointage du 11 avril, le Ministère du Travail indiquait que 8 millions de salariés, c’est-à-dire un sur trois dans le secteur privé, représentant plus de 700.000 entreprises (60% de moins de 50 salariés) bénéficient de ce revenu exceptionnel (graphe). Quand le mécanisme a été lancé, le gouvernement tablait sur un pic au voisinage de 3.5 millions de bénéficiaires, et l’enveloppe prévue était d’environ 8.5Md€. On est bien parti pour tripler ce montant – sans compter le manque à gagner en cotisations sociales pour le budget de l’État.

Initialement, le gouvernement visait un déficit de 2.2% du PIB en 2020, pour une hausse du PIB réel de +1.3%. Le 17 mars, un budget rectificatif ajustait la croissance à -1% et le déficit budgétaire à 3.9% du PIB. Aux dernières nouvelles, le budget rectificatif présenté le 15 avril tablera sur une baisse du PIB de 8% et un déficit de 9%. Le ratio de dette publique qui avait fini 2019 un peu au-dessous de 100% du PIB va bondir d’environ 15 points.

Toutes ces révisions sont en ligne avec les élasticités-standard des finances publiques au cycle économique. Les modifications du cycle n’ont jamais été si abruptes, y compris durant la Grande Récession3. Il est normal qu’on assiste à des transferts d’une grande ampleur. En somme, l’État désépargne (hausse du déficit) pour compenser l’épargne forcée que les ménages confinés sont contraints de faire (en moyenne, leur consommation baisse bien plus que leur revenu disponible). L’orthodoxie budgétaire n’a évidemment pas sa place dans cette affaire.

Les prochains rendez-vous

Dans son allocution télévisée du 13 avril, Emanuel Macron a fixé au 11 mai la date à partir de laquelle pourra intervenir la réouverture des écoles et crèches (mais pas les universités) et la remise en route de l’activité, avec des exceptions notables: hôtels, restaurants, musées, festivals, événements sportifs. Le port d’un masque – longtemps présenté comme inutile hormis pour le personnel soignant – pourrait être obligatoire dans les transports publics. La capacité de test devra être telle que toute personne ayant des symptômes du covid-19 puisse être dépistée. Le président français n’a pas donné plus de détails sur la procédure de « déconfinement », par exemple pour savoir s’il y aurait des différences selon les lieux, les âges, les conditions de santé.

 

Sources : Consensus Inc, DARES, INSEE, Oddo BHF Securities


1. La dernière note de l’INSEE, du 9 avril, utilise des données qualitatives fournies par divers organismes et des fédérations professionnelles, les transactions par carte bancaire, les statistiques issues des moteurs de recherche. La dernière note de la Banque de France, du 8 avril, s’appuie sur son enquête mensuelle, avec un panel de 8500 entreprises, menée du 27 mars au 3 avril.
2. Sous l’hypothèse que les effets du confinement sur l’activité économique soient linéaires dans le temps, ce qui n’est sans doute pas le cas.
3. Pour rappel, le déficit public avait atteint un maximum de 8% du PIB au T3 2009 vs 2.9% au T4 2007. Sur la même période, le ratio de dette publique avait monté de 64.5% du PIB à 81.5%, mais avait encore monté en 2010 (85%), puis à nouveau lors du double dip de 2012.