La fameuse image du battement d’aile de papillon provoquant une tornade à l’autre bout de la planète est usée et archi-usée, et pourtant il est difficile de ne pas y penser à voir les répercussions globales du coronavirus. Les conditions de fonctionnement de nos économies sont une pleine liberté de mouvement des personnes et des biens. Ôtez cette liberté, changez les conditions, et le système ne fonctionne plus. Le confinement, édicté pour la raison supérieure de limiter l’épidémie, a mis à l’arrêt l’économie française. L’effet instantané est une chute de l’activité d’un bon tiers. Pour combien de temps, nul ne le sait…

Par Bruno Cavalier, Chef Economiste

 

Le confinement de la population française qui a officiellement débuté le 17 mars à midi modifie du tout au tout la situation économique et ses perspectives. Le même constat vaut, il va sans dire, à peu près partout dans le monde. Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit d’un choc historique à cause de sa dimension globale et sa soudaineté1. Avant d’examiner calmement plus tard quand, comment et à quel coût on sortira de cette situation exceptionnelle, il est utile de mesurer, fût-ce de manière imprécise, l’impact immédiat sur le niveau d’activité et ce qui en découle (chômage, finances publiques). On peut ici combiner plusieurs approches.

Comparaisons historiques

Même si les circonstances actuelles sont sans précédent, du moins, à vue humaine, on peut chercher dans les chocs du passé certains aspects comparables à ce qu’on vit. Le premier qui se présente à l’esprit est la crise financière globale de 2008-2009 et la « Grande Récession » qui en a résulté. Dans le cas de la France, sur une durée de cinq trimestres, le PIB réel s’est contracté de 3.9% au total, avec un maximum d’intensité au T4 2008 et T1 2009 où la baisse du PIB était de 1.5% par trimestre. On aimerait s’en tirer à si bon compte!

La nature du choc actuel est bien différente. Il y a douze ans, le problème partait du secteur financier et se répercutait sur l’économie réelle. Cette fois-ci, c’est tout le contraire. L’économie réelle est mise à l’arrêt mais tout est fait pour que cela n’aboutisse pas à un credit crunch. Si le crédit ne fait pas défaut, il y a de bonnes chances que le retour à la normale puisse se faire sans trop de délai, une fois bien entendu que la crise sanitaire sera sous contrôle. C’est le crédit ou l’absence de crédit qui fera la distinction entre un choc sévère mais relativement bref et un choc sévère avec des effets cumulatifs au cours du temps.

Un deuxième cas historique peut être rappelé, celui des événements de Mai 1968. En appui des protestations des étudiants, une grève générale débuta le 13 mai 1968, se poursuivant pendant plusieurs semaines. On a là un exemple d’arrêt de la production sur grande échelle. À ce jour, dans l’histoire économique moderne, le T2 1968 est le pire moment qu’ait connu l’économie française, le PIB réel se contractant de 5.3% sur un trimestre. Cela donne une idée minimale – sans doute très minimale – de ce que pourrait être la chute de production à la fin du T1 et au T2 2020. Notons en passant qu’une fois la grève finie, il y eut un fort rebond de l’activité (+8% t/t au T3 1968). Ce schéma (en V) est un argument puissant pour ne pas limiter le soutien que la puissance publique doit apporter au secteur privé.

Analyse du climat des affaires

Climat des affaires

Ces derniers jours ont paru les enquêtes de mars faites par Markit auprès des directeurs d’achat et par l’INSEE auprès d’un plus large panel d’entreprises. La période sous revue ne tient pas pleinement compte du confinement. L’INSEE précise ainsi que la plupart des réponses ont été recueillies avant le 16 mars. Il note aussi que la qualité de la statistique économique va nécessairement s’en ressentir pendant un certain temps. Ces réserves posées, les résultats obtenus sortent de tous les référentiels connus. L’indice PMI d’activité composite a chuté de 22 points par rapport à février pour ressortir à 30.2pts. La contribution majeure est venue des services. Pour mémoire, le point bas dans la Grande Récession était de 37 points en février 2009. L’indice synthétique de l’INSEE qui couvre tous les secteurs marchands perd 10pts (le précédent record était -9pts en octobre 2008, suite à la faillite de Lehman Brothers).

Toutefois son niveau (95 sur le graphe) reste encore loin du creux de la précédente crise (68 en mars 2009, 100 étant la moyenne de longue période). Dans les services, l’indice de confiance perd 14pts à 92 (65 en mars 2009). Au total, au T1 2020, on a deux mois « normaux » et un mois exceptionnellement faible. Avec une chute si brutale, sur la base des corrélations historiques confiance-croissance, on ne saurait s’étonner que le PIB réel se contracte de 1% t/t au T1 et de plusieurs fois cette amplitude au T2.

Analyse par secteurs

Enfin, pour coller au plus près aux informations remontant du champ de bataille, on peut examiner les grandes masses par secteurs. Dans cette approche bottom-up, on distingue les secteurs selon le degré de perturbations résultant du confinement. On sait que la plupart des sites de production de biens durables (automobiles par exemple) sont fermés. Il en va de même des chantiers de construction. Le secteur du tourisme et de l’hôtellerie-restauration est en état d’apesanteur. Les exemples sont innombrables. Non sans cacher la limite analytique de cette approche, l’NSEE propose une estimation de la contribution des grands secteurs à la chute du PIB et de la consommation des ménages (tableau). Cela donne l’écart entre l’économie française dans son état de confinement actuel (un paramètre évolutif) et une situation « normale ». Les hypothèses s’appuient sur les données venant des fédérations professionnelles. Au niveau agrégé, l’effet instantané est une chute du PIB et de la consommation de 35%. Il ne s’agit pas d’une prévision de la croissance au T1 ou T2, dans la mesure où ce plein impact dépend lui-même de la durée du confinement (autre paramètre évolutif). Mais on a là une vue assez effrayante du coût économique de la crise sanitaire. 35% de PIB, c’est 850 milliards d’euros.

France : impact du confinement sur l’activité économique et la consommation des ménages

Le weekend dernier, le gouvernement français a fait adopter une loi d’urgence sanitaire et un budget rectificatif pour 2020. L’hypothèse retenue était alors une baisse du PIB de 1% sur 2020 et un déficit public prévu à 3.9% du PIB. Il est admis par tous que ces chiffres ne correspondent plus à la réalité. Une contraction moyenne de 5% hypothèse qu’on ne saurait qualifier d’irréaliste, encore moins d’extrême, mettrait le déficit bien au-delà de 6%. Le record de 2009 (7.2%) pourrait être dépassé. L’endettement public s’est établi fin 2019 à 98% du PIB. L’effet de ciseau (numérateur en hausse, dénominateur en baisse) laisse présager un bond significatif. Là encore, la référence à la crise de 2008-2009 ne paraît pas absurde. Pour rappel, le ratio dette/PIB avait augmenté de 20 points, passant de 65% du PIB fin 2007 à 85% début 2010.

Outre une enveloppe de 300Md€ en garantie des prêts aux entreprises, le nouveau budget prévoit un paquet de 45Md€, pour couvrir le report du paiement des charges sociales et fiscales des entreprises (78% du total) et pour financer l’augmentation du coût du chômage temporaire. Sur ce dernier point, la montée en charge est d’ores et déjà bien plus forte qu’anticipé. En moins d’une semaine, 1.2 millions de salariés et 100.000 entreprises ont déjà demandé à bénéficier de ce dispositif. Il n’est donc pas envisageable que le plan de soutien à l’économie s’en tienne là. Des ajustements supplémentaires suivront. La question de la solvabilité de la dette publique est la dernière qui doit se poser dans la crise actuelle, non seulement à court terme vu les annonces de la BCE, mais peut-être aussi à long terme dès lors que les coûts de refinancement peuvent être maintenus très bas2.

 

Sources : INSEE, Oddo BHF Securities


1. Voir Flash éco du 23 mars 2020 : « Objet Economique Non Identifié »
2. Voir Mario Draghi (2020), “We face a war against coronavirus and must mobilise accordingly”, Financial Times du 25 mars 2020