Au plus fort de l’été, le calme aurait dû être de rigueur.

Guido Barthels, Portfolio Manager, ETHENEA Independent Investors SA

Pendant la pause estivale, l’actualité politique laisse généralement place aux faits divers les plus insolites. Même si, cette année, aucun crocodile¹ en goguette ne s’est baigné dans un lac, ce sont les bouteilles de bière allemandes² qui ont fait la une de la presse populaire. Sous l’effet conjugué du système de consigne et de la chaleur persistante, de nombreux Allemands ont fait des provisions de bière, mais n’ont pas rapporté leurs bouteilles vides. Il semblerait que suite à cette «mauvaise conduite», les brasseries ne possèdent plus assez de contenants pour mettre leur bière fraîchement brassée en bouteille. Le perfectionnisme légendaire des Allemands prend parfois des dimensions surprenantes! Dans les pays où le système de bouteilles consignées n’existe pas, les lecteurs n’en croient pas leurs yeux.

Le mois de juillet nous laisse tout autant ébahis: le gouvernement britannique n’a pas seulement perdu son ministre des Affaires étrangères, mais également le ministre en charge du Brexit, qui a jeté l’éponge face au cap suivi par le gouvernement de Theresa May. Leurs successeurs ne donneront vraisemblablement pas plus de crédibilité aux négociations avec l’UE. Au contraire: Si Theresa May devait maintenir sa position actuelle, à savoir faire son marché, la perspective d’un Brexit «dur», voire d’une absence d’accord, se renforce. Dans un tel cas, les augures anticipent des pénuries d’approvisionnement³ dans les domaines des produits alimentaires, des médicaments et du gaz naturel⁴. Une idée pas vraiment réjouissante, et encore moins du point de vue des décisions d’investissement. Il faut espérer que les négociations entre l’UE et la Grande-Bretagne deviendront constructives car le temps presse. Actuellement, nous faisons l’impasse sur la Grande-Bretagne car son évolution économique y est encore plus incertaine qu’ailleurs.

En juillet, bien évidemment, Donald Trump a encore fait parler de lui. Comme si souvent dans le passé, le comportement parfois erratique du Président américain a fait sensation sur la scène internationale, mais peut-être est-ce aussi son objectif déclaré. Son ego surdéveloppé laisse peu de marge d’interprétation à cet égard. Mais comme un psychiatre réputé le disait récemment, Donald Trump n’est pas fou, c’est la société américaine qui l’est⁵. Il renvoie notamment aux lois sur les armes à feu qui font croire aux Américains que l’augmentation de leur nombre rendrait le pays plus sûr. Cette vision étrange remplit d’incompréhension la plupart des autres nations. Et à cet égard, le Président Trump fait justement partie de cette société étrange qui croit toujours à la théorie du ruissellement⁶ alors que l’immense majorité de la population n’a pas accès à la prospérité.

Mais revenons à Donald Trump. Après avoir froissé plus d’un Européen lors d’une tournée relativement mouvementée, le plus grand négociateur de tous les temps⁷, tel qu’il se qualifie lui-même, a caressé l’idée d’entrer dans l’histoire comme celui qui a non seulement mis à genoux la Corée du Nord, mais également l’ours russe. Toutefois, la rencontre à Helsinki semble avoir échappé à tout contrôle selon la perception publique. Sur le fond, naturellement, nul ne peut trouver à redire sur le réchauffement des relations entre les États-Unis et la Russie. Une rencontre entre les présidents américain et russe serait réellement appréciable. Les tensions entre Moscou et l’Occident doivent se dissiper. Mais à Helsinki, Donald Trump a une nouvelle fois montré qu’il n’était pas à la hauteur de la tâche.

Il a fait, presque sans exception, tout ce qu’il ne fallait pas faire. Vladimir Poutine ne respecte pas les droits humains dans son propre pays, livre une guerre contre les femmes et les enfants en Syrie depuis des années et a enfreint le droit international avec l’annexion de la Crimée. Ce n’est pas un personnage avec lequel le Président américain, chef du monde libre, devrait célébrer l’amitié masculine ou la camaraderie. C’est pourtant précisément ce qu’il a fait à Helsinki.

Le seul fait que Donald Trump ait rencontré Vladimir Poutine sans condition préalable ni demande de concessions en Syrie était déjà surprenant. Puis, le sommet lui-même : la rencontre en face à face, pendant plus d’une heure, sans collaborateurs, ne peut qu’éveiller la méfiance. Le monde, mais aussi les plus proches conseillers de M. Trump, ne savent rien de ce qu’il s’y est dit ni des accords secrets que les deux Présidents ont conclus, éventuellement sur le dos de tiers (voire sur celui des États-Unis). Donald Trump donne l’impression de faire davantage confiance à Vladimir Poutine qu’à ses propres collaborateurs.

Enfin, les déclarations des deux hommes face à la presse mondiale ont relevé de l’absurdité la plus complète. Tous deux ont fait front commun contre l’enquête menée par le FBI sur l’affaire russe. Vladimir Poutine a soutenu Donald Trump affirmant qu’il n’existait pas de collusions entre son équipe de campagne électorale et des agents russes, ce qui a provoqué plus d’un froncement de sourcils, y compris chez les plus ardents défenseurs du Président américain. Donald Trump a semblé s’isoler de plus en plus. Il a ensuite tenté de détourner l’attention avec un prétendu lapsus, mais n’a trompé personne. Absolument personne.

L’enfant terrible devait donc trouver quelque chose d’autre pour se repositionner en plus grand négociateur de tous les temps. L’entrevue avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker semblait ainsi s’imposer d’elle-même. Après avoir endossé l’uniforme du méchant flic, Donald Trump a remis sur le tapis, la veille de la rencontre, un thème qui semble lui trotter dans la tête de temps à autre: un monde sans barrières commerciales, droits de douane et distorsion de la concurrence⁸ ! Le bon flic a refait son entrée en scène et s’est parfaitement entendu avec M. Juncker. Même les observateurs extérieurs ne peuvent y voir que des aspects positifs: les menaces de taxation sur les automobiles restent suspendues, et les négociations reprennent. Si seulement Donald Trump avait cru ses conseillers juste après son élection lorsque ceux-ci n’ont certainement pas manqué de le mettre en garde contre une sortie précipitée du TTIP et du TPP. Et si un jour il changeait d’avis au sujet de la protection du climat, on pourrait secouer la tête devant ce revirement très tardif. Mais mieux vaut tard que jamais!

Au final, les actions des entreprises particulièrement affectées par un conflit commercial ont enregistré des plus-values significatives. Mais dans la mesure où l’on ne peut jamais savoir avec certitude si Donald Trump se montre ange ou démon, s’il se fait bon ou méchant flic, la correction en Bourse a repris. Nous pensons toutefois que Donald Trump finira par s’apercevoir, a fortiori à l’approche des élections, qu’il obtiendra une meilleure place dans les livres d’histoire comme défenseur d’un commerce mondial libre plutôt que comme son pourfendeur. Selon nous, l’impact d’une guerre commerciale éventuelle sur les valorisations sera progressivement relégué au second plan. Les cours boursiers peuvent renouer avec la hausse, les rendements des valeurs refuges d’État tels que les Bunds allemands et les bons du Trésor américain rebondir et les spreads des obligations d’entreprises se resserrer.

En fin de compte, tout cela n’aura été qu’un cauchemar que l’on pourrait surnommer: «beaucoup de bruit pour rien».

 


¹ « Die Mutter aller Krokodilmeldungen im Sommerloch », Der Tagesspiegel
² « Den Brauereien gehen die Flaschen aus », hessenschau.de
³ « Großbritannien drohen Engpässe bei Medikamenten und Nahrung », SPIEGEL-ONLINE
⁴ « Energie: Großbritannien ist von Russland und Norwegen abhängig », Deutsche Wirtschaftsnachrichten
⁵ « Psychiater über den US-Präsidenten « Nicht Trump ist verrückt, wir sind es », Berliner Zeitung
⁶ Théorie du ruissellement, Wikipedia
⁷ « Donald Trump Says He’s The Best Dealmaker. Negotiation Experts Say Otherwise. », Huffington Post
⁸ « Die Antwort auf Trump heisst TTIP », Neue Zürcher Zeitung