En avril, le taux d’inflation annuelle a baissé pour la première fois depuis le début de la reprise post-pandémie. Le repli est modeste (deux dixièmes) l’inflation reste donc beaucoup trop haute (>8%) pour apaiser les angoisses des consommateurs. Les prix de biens non-énergétiques ont amorcé leur désinflation mais certains prix de services continuent d’accélérer. Le résultat est mi-chèvre mi-chou. La Fed ne risque pas de dévier de sa ligne restrictive tant qu’elle n’aura pas la confirmation d’une modération de la demande. Du côté des perturbations de l’offre, les tensions demeurent élevées et risquent d’entraîner de nouvelles pénuries.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2022.05.16.US inflation
US : prix sous-jacent : biens vs services

Au niveau le plus détaillé, le CPI américain se décompose en plusieurs centaines de sous-catégories. Cela donne quelques centaines de points de vue sur les perspectives d’inflation aux Etats-Unis. En avril, il y a des présomptions que la vague d’inflation a amorcé sa décrue mais on ne saurait en être totalement certain (Voir Focus-US) . Le taux d’inflation a baissé de 8.5% à 8.3% sur un an, mais cela tient en partie à des effets de base. Sur trois mois glissants, l’inflation ne se modère pas, pointant à un nouveau record de 9.8% en rythme annualisé. De plus, beaucoup de prix restent affectés dans des proportions hors normes par les perturbations liées à la pandémie et aux contraintes sanitaires. En 2021, les prix des voitures d’occasion avaient bondi de 50% (pénuries de puces), aujourd’hui ce sont les prix des billets d’avion qui s’emballent (réouverture post-Omicron). Volatilité mise à part, les tensions sur les biens reculent, signe que la structure de consommation est en train de se normaliser après avoir été totalement déformée par la pandémie (graphe). En contrepartie, l’inflation sur les services n’a pas encore atteint son maximum. Entre ces forces contraires, le joker, ce sont les prix de l’énergie. Ils ont flambé en mars, rechuté partiellement en avril et les premières données sur début mai ne sont pas encourageantes. Les cours du pétrole brut semblent stabilisés mais le déséquilibre du marché des produits raffinées provoquent de nouvelles hausses de prix.

2022.05.16.Supply Chaine
US : indice des tensions sur les chaines de production

Du côté de l’offre, les signaux sont là aussi mitigés. La Fed de New York a construit un indicateur des tensions sur les chaînes de production qui, depuis la fin 2021, montre une amorce de relâchement (graphe). On est loin d’une situation normale mais la trajectoire est la bonne. L’évolution récente du ratio inventaires/ventes donne le même genre de signal. Toutefois le nouveau confinement en Chine et le conflit en Ukraine sont chacun, et plus encore si on combine ces deux événements, de nature à recréer de nouvelles tensions de prix. En somme, les données de prix restent trop confuses pour que la Fed dévie de sa nouvelle ligne de conduite consistant à accélérer la remontée des taux directeurs a minima vers un niveau neutre.

Economie

En avril, le rythme des créations d’emploi est resté stable à un niveau élevé de 428K (459K par mois au T1 2022), de même que le taux de chômage à 3.6% de la population active. Les gains étaient visibles dans l’immense majorité des secteurs. En cherchant bien dans le rapport du BLS, on peut dénicher quelques signes d’un léger fléchissement des conditions d’emploi (repli du taux de participation) mais la vue d’ensemble est que le marché du travail reste tendu. Le taux de salaire horaire a augmenté de 0.3% sur le mois vs 0.4% par mois au T1 2022 et 0.5% par mois au T4 2021. La modération des salaires est encore timide pour l’instant.

Selon l’enquête de la Fed auprès des banques au T2 2022, les standards de prêts aux entreprises sont désormais stabilisés après plusieurs trimestres consécutifs de relâchement. La demande de crédit augmente mais moins qu’au T1. Le message est similaire pour les prêts immobiliers résidentiel ou commercial. Depuis plusieurs mois, le crédit à la consommation a vivement progressé et la tendance a encore accéléré en mars, en particulier sur le segment des cartes de crédit. Sur un an, l’encours total a augmenté de 7.3%, presque le double pour le revolving credit.

Le secteur pétrolier continue d’accroître ses capacités de production à un rythme toutefois assez lent. En trois mois, le nombre de puits en cours de creusement (rigs) est passé de 516 à 557, une hausse inférieure à celle observée T4 2021. Le niveau pré-Covid se situait à 683. Traumatisées par le contre-choc pétrolier de 2014-2015, les entreprises restent prudentes dans leurs investissements

En avril, la hausse des prix à la consommation s’est un peu modérée. Le CPI-sous-jacent hors énergie et alimentation est à +6.2% sur un an, une baisse de trois dixièmes sur un mois. Les prix à la production ressortent à 11% sur un an, en baisse de cinq dixièmes sur un mois.

Politique monétaire et budgétaire

De nombreux membres du FOMC se sont exprimés depuis la réunion du 4 mai. Le ton général confirme le signal donné la semaine passée par Jerome Powell, à savoir que la hausse des taux va se poursuivre au rythme de 50bp afin d’atteindre assez vite un niveau neutre (±2.50%) ou, en termes moins techniques, de « réduire la température » (John Williams, New York). Raphael Bostic (Atlanta) ou Thomas Barkin (Richmond) jugent que 50bp est déjà un pas assez agressif. Loretta Mester (Cleveland) n’a pas exclu une hausse de 75bp plus tard dans l’année si l’inflation ne se calme pas du tout au cours du second semestre.

Lisa Cook a été confirmée de justesse par le Sénat à un poste vacant au Board de la Fed. La candidature de Philip Jefferson a été en revanche validée sans difficulté. Le plus ardu est désormais de s’entendre sur la personne chargée de la supervision bancaire pour compléter le septième poste vacant du comité.

Le 10 mai, dans un discours consacré aux questions économiques, le président Biden a affirmé que sa priorité était de lutter contre l’inflation pour alléger la facture des ménages les plus modestes. Il n’a pas manqué d’imputer aux autres la poussée d’inflation qui s’amplifie depuis le début de son mandat. Les responsables sont la politique de lutte contre la pandémie en Chine, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et l’obstruction des Républicains au Congrès. C’est tout de même oublier aussi le rôle qu’a pu jouer le plan Biden de mars 2021 qui a soutenu le revenu des ménages à un degré sans doute excessif. Le président s’est engagé à réduire le déficit budgétaire, de préférence en taxant les entreprises et les plus riches. Autant dire qu’il s’agissait davantage d’un discours de campagne avant les élections de mi-mandat du 8 novembre qu’un avant-goût de mesures à venir à court terme.

A suivre cette semaine

Sont à paraître les principales données « dures » du mois d’avril: ventes au détail et production industrielle (le 17 mai), construction résidentielle (le 18) – de quoi affiner la prévision de croissance du T2. A ce jour, l’indice GDPnow de la Fed d’Atlanta ressort à +1.8% t/t en rythme annualisé, la consommation des ménages à +4.3%. Malgré la poussée d’inflation qui a fortement pesé sur le moral des consommateurs, on n’observe pas encore de franche modération du volume des dépenses. En avril, les ventes de véhicules ont rebondi (+6.6%), retrouvant leur niveau moyen du T1. Le prix de l’essence avait baissé sur la première quinzaine avant de se reprendre ensuite (la hausse s’est poursuivie au début mai).

Les premières enquêtes du mois de mai concernent le secteur manufacturier dans les districts des Fed de New York (le 16) et Philadelphie (le 19) et la construction résidentielle (le 17).

 

Sources : Thomson Reuters, Fed NY, Oddo BHF Securities