Tandis que l’inflation avait connu des niveaux record dans toutes les grandes monnaies au cours des années 1970 avec par exemple une pointe à 12% sur un an en Suisse en 1973, le phénomène a fortement régressé depuis cette époque à tel point que les banques centrales se sont inquiétées ces dernières années autant des menaces déflationnistes que de l’inflation.

Michel Dominicé, associé senior chez Dominicé & Co Asset
Management

Pour l’investisseur, l’inflation est perturbante. Tout d’abord, la mesure des performances est biaisée car ces dernières sont typiquement exprimées en termes nominaux et que l’inflation tend à enjoliver la réalité. Les comparaisons deviennent difficiles soit dans le temps soit entre diverses monnaies. En outre, l’instabilité de l’inflation crée un aléa pour les créanciers comme pour les débiteurs car la valeur réelle de leurs prêts et emprunts porte un risque lié à cette instabilité. Enfin, l’inflation peut avoir des conséquences fiscales réelles pour l’investisseur. En effet, les impôts ne tiennent souvent pas compte de l’inflation et frappent pleinement des revenus qui ne sont là que pour compenser la perte de valeur réelle d’une créance.

Grâce à une inflation globalement faible sur la plupart des monnaies ces dernières années les investisseurs n’ont pas eu à se préoccuper de ce phénomène. L’inflation pourrait cependant faire un retour marqué à moyen terme en raison de l’expansion massive des bilans des banques centrales depuis la crise de 2008. Il convient d’observer que depuis cette époque, l’inflation même faible a été en moyenne supérieure aux taux d’intérêt interbancaires dans les grandes monnaies.

Il en résulte qu’un placement en dollars rémunéré de façon continue au taux libor à trois mois a perdu 12% de sa valeur réelle depuis 2008 ce qui illustre le caractère pernicieux de l’inflation : le placement perçu comme sûr conduit lentement à la ruine.

Les recettes classiques pour échapper au fléau de l’inflation sont connues. On favorisera des valeurs réelles telles que des actions, des matières premières et des investissements immobiliers. S’agissant des actions, il faut encore choisir des titres de sociétés actives dans des secteurs qui ne souffrent pas de l’inflation. Il conviendra par exemple d’éviter le secteur financier et notamment les banques. Les meilleurs sont ceux de la consommation de base ou des services publics car dans ces secteurs, les entreprises peuvent aisément adapter leurs prix de vente à la hausse générale des prix. Logiquement les matières premières devraient offrir une bonne protection contre l’inflation mais l’histoire récente a montré que les prix des matières premières étaient fortement volatiles et que leurs fluctuations ne correspondaient pas forcément à celles de l’inflation. Les études montrent aussi que les matières premières sont de piètres investissements à long terme en raison de l’absence de rendement.

L’immobilier offre sans doute une des meilleures protections contre l’inflation. D’une part, la volatilité de l’immobilier est typiquement inférieure à celle des actions ou des matières premières, d’autre part le rendement de l’immobilier est généralement stable et relativement attrayant. Un grand avantage des placements immobiliers est qu’ils peuvent aisément se financer par de la dette ce qui permet de profiter même de l’inflation lorsque celle-ci se manifeste par surprise.

Le contexte actuel caractérisé par une baisse générale du rendement du capital a profondément modifié les équilibres sur le marché de la monnaie. Cette baisse historique s’explique en premier lieu par une économie fortement tournée vers les services et donc peu demandeuse d’investissements en capital fixe, et second lieu par le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie qui créent une génération qui épargne par souci de sécurité pour ses vieux jours plutôt que par attrait pour de quelconques rendements de ses investissements.

La baisse des rendements et des taux d’intérêt réels s’est amorcée dès le milieu des années 1980 pour atteindre des niveaux nuls ou négatifs actuellement, cette situation devrait perdurer pendant une génération au moins. Dans l’environnement de taux bas, le coût d’opportunité de la détention de monnaie a chuté, entraînant une progression formidable de la demande de monnaie observable par l’expansion des agrégats monétaires. On observe d’ailleurs depuis le début des années 1990 une rupture de la relation jusque-là visible entre la progression des agrégats monétaires et le niveau de l’inflation.

Avec ces changements les banques centrales ont perdu non seulement une partie de leurs instruments de lecture de leur politique monétaire, mais aussi une partie de l’efficacité de leur politique car les économies sont devenues de moins en moins réactives au niveau des taux d’intérêt. Malheureusement, le niveau très élevé de la demande de monnaie repose largement sur la confiance que les agents économiques accordent aux banques centrales dans leur capacité à maintenir la stabilité monétaire. D’un cercle vertueux de confiance dans la monnaie et d’inflation basse, on pourrait donc basculer rapidement vers une spirale catastrophique de défiance monétaire et d’inflation galopante. Le scénario type pour déclencher cette rupture serait l’effondrement d’une grande dette souveraine. Avec sa dette gigantesque et ses problèmes économiques et politiques lancinants, l’Italie apparaît comme une source d’instabilité favorite pour générer la crise envisagée. Le Japon pourrait aussi se trouver dans une impasse financière en raison de sa dette publique colossale combinée avec une population en déclin.

Dans quelles conditions le basculement vers la crise de la dette et la crise monétaire est-il le plus probable ? Aujourd’hui, les primes de risques que l’Etat Italien paie sur sa dette par rapport à l’Allemagne – le fameux « spread » – est encore modéré à environ 2% de prime pour les emprunts à dix ans. Au-delà d’un niveau estimé à 7%, le spread dépasse un point de non-retour car l’Etat se refinance dans des conditions qui le mènent à la faillite. Pour en arriver là, il faut sans doute un contexte boursier défavorable qui tend à augmenter les primes de risque partout dans les marchés financiers. Dans un tel scénario la Banque Centrale Européenne redoublerait sans doute d’efforts pour soutenir la dette italienne par des achats massifs, mais comme elle en a déjà beaucoup accumulé, il est probable que ces tentatives déclencheraient des tensions politiques intenses entre les pays créanciers et les pays débiteurs de la zone euro. L’histoire enseigne cependant que les banques centrales préfèrent toujours l’inflation à la faillite généralisée du système.

Les investisseurs doivent donc accepter l’idée que la monnaie n’est pas forcément le placement le plus sûr. Psychologiquement cela représente un effort particulier car les performances étant mesurées en unités monétaires, le risque de tout placement est souvent confondu avec sa volatilité mesurée avec cette même échelle qui devient trompeuse dans un contexte d’inflation. En temps d’inflation, les règles classiques de l’investissement du bon père de famille deviennent alors plus importantes que jamais : diversification, tolérance à la volatilité et focalisation sur le long terme.

 

Cet article est paru initialement dans La Lettre N°4 (cliquez ici pour la télécharger)