Il y a avait longtemps que Donald Trump ne s’en était pas pris à la Fed, mais la chute de 6-7% des indices boursiers jeudi dernier valait bien un tweet vengeur. Selon le président, la Fed aurait des prévisions économiques trop pessimistes (sous-entendu: si elles se réalisent la situation ne sera pas flamboyante en novembre au moment de l’élection). Dans le même registre, Larry Kudlow, le conseiller économique de la Maison Blanche, trouve Powell trop austère. Un petit sourire, de temps en temps, favoriserait la reprise. On en est là! La Fed, elle, est engagée pour longtemps dans la politique des taux zéro et la poursuite du QE.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

Les prévisions de la Fed (qui sont la moyenne de celles de chacun des membres du FOMC) ne sont, à notre avis, ni trop ceci, ni pas assez cela. Elles partent d’un fait bien réel, à savoir le confinement pendant deux-trois mois entre mars et mai. L’activité et la demande ont collapsé, le chômage a explosé dans des proportions inédites. Même si ces évolutions ont commencé à se corriger, il est illusoire d’espérer un retour rapide au point de départ.

Dispersion des prévisions du FOMC en 2020 vs 2009

Par ailleurs, ces prévisions intègrent un degré d’incertitude hors normes, non seulement dans l’économie mais aussi dans le domaine sanitaire. Parmi les grands pays, les États-Unis sont à ce jour celui qui a le moins « aplati » la courbe des infections au coronavirus. L’apparition de nouveaux foyers est un élément de risque. Le résultat est que le champ des possibles est extrêmement large. Si on compare les prévisions actuelles à 18 mois (pour la fin 2021) avec celles que la Fed faisait au sortir de la Grande Récession (pour la fin 2010), il saute aux yeux que la marge d’erreur est environ trois fois plus grande aujourd’hui en ce qui concerne l’évolution future du PIB et du taux de chômage (graphe).

Le seul point qui fasse consensus est que l’inflation ne sera pas un problème à horizon visible. Si on considère la médiane des prévisions, la Fed attend une croissance du PIB de -6.5% T4/T4 à la fin 2020 et de +5% à la fin 2021. Cela implique un très fort rebond au H2 2020, suivi d’une reprise soutenue et dynamique. On signerait volontiers pour avoir la garantie d’un tel scénario.

Achats d’actifs par la Fed

Quelles sont les implications de politique monétaire? La Fed a un double mandat, viser la stabilité des prix et un emploi maximal. Dans la situation présente, seul l’objectif d’emploi compte. Jerome Powell a été parfaitement clair à ce sujet. L’emploi a amorcé un rebond en mai, il y a des premiers signes encourageants pour juin, mais il reste encore beaucoup de progrès à faire. La Fed peut contribuer à soutenir l’économie réelle en pesant sur les conditions financières. Les taux sont à zéro. Les achats d’actifs vont se poursuivre (graphe). Il reste à mobiliser les mécanismes d’urgence de soutien au crédit pour les PME et les collectivités locales.

Economie

Taux de chômage US

Le nombre de chômeurs indemnisés (continuing claims) a augmenté entre avril et mai (+2.8M entre les deux semaines de références en milieu de mois). Il aurait été logique que le rapport mensuel sur le marché du travail enregistre aussi une hausse du nombre de chômeurs. En fait, les enquêtes du BLS en mai lui font dire que le nombre de chômeurs a reculé de 2.1M et le taux de chômage de 1.4 point à 13.3% (graphe), et que le nombre d’emplois a augmenté de 2.5M (après -20.7M en avril).

Tous ces chiffres sont entourés d’une marge d’incertitude bien plus large que d’ordinaire, car il n’est pas simple, dans la situation présente, de toujours bien distinguer entre chômeurs, personnes découragées ou employés en situation d’absentéisme. Le BLS reconnaît que le taux de chômage pourrait bien en réalité être 3 points plus haut. D’autres chercheurs réputés calculent que l’écart serait encore plus large, par exemple 6.5 points pour James Hamilton (blogpost du 7 juin sur Econbrowser).

Variation du nombre d’heures travaillées aux US

Cette imprécision ne contredit pas nécessairement le sens général de ces chiffres, à savoir qu’une amélioration s’est ébauchée en mai. Il y a tout lieu de penser que le rebond de l’emploi s’est amplifié en juin. En utilisant des données extraites d’une application gratuite de gestion du temps de travail, des économistes de la Fed de St.Louis ont estimé le rythme de rebond de l’emploi entre le 15 mai et le 5 juin (Reading the Labor Market in Real Time, blogpost du 9 juin 2020).

En extrapolant cette donnée sur l’ensemble du mois et vu la marge d’erreur, cela pourrait représenter entre +5 à +10M d’employés. Un tel rebond serait encore loin d’effacer la chute cumulée sur les mois de mars et avril. Les statistiques d’heures travaillées et de salaires sont de nouveau impossibles à interpréter car des effets de composition sont à l’oeuvre. Notons enfin qu’au 6 juin, les inscriptions au chômage et le nombre total des indemnisations ont baissé, respectivement -355k à 1.5M et -339k à 20.9M.

A suivre cette semaine

La semaine sera dominée par la parution des « données dures » pour mai: ventes au détail, production industrielle (le 16), permis de construire et mises en chantier (le 17). Vu la faiblesse des niveaux atteints par toutes ces variables en avril, le rythme de rebond devrait être fort. On en a eu un premier aperçu avec les ventes de voitures qui étaient tombées à 52% de la « normale » en avril et sont remontées à 72% en mai.

L’indicateur JPMorgan/Chase des transactions par cartes de crédit pointait à -20% sur un an fin mai, après avoir évolué entre -40% et -30% en avril. Après une baisse cumulée des ventes au détail de 23% en deux mois, la marge de rattrapage est considérable.

A suivre aussi les premières enquêtes du secteur manufacturier pour juin (Fed de New York le 15, Fed de Philadelphie le 18) ainsi que l’indice NAHB de confiance des constructeurs de maisons (le 16).

 

Sources : Fed, , Oddo BHF Securities