L’inflation énergétique est similaire aux Etats-Unis et en zone euro, de l’ordre de +35% sur un an. Pour autant, les deux zones sont différemment exposées à la crise de l’énergie. Tout d’abord, les Etats-Unis ne sont pas comme l’Europe en situation de dépendance vis-à-vis du reste du monde. De plus, même s’ils peuvent connaître des tensions sur leur réseau électrique (vague de chaleur) et sur la disponibilité domestique en gaz (exportation de LNG), ce sont les variations du prix du pétrole et de ses dérivés qui affectent surtout le cycle US. Sous cet angle, la crise de l’énergie est moins aiguë aux Etats-Unis, ce qui est favorable au repli de l’inflation.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2022.09.05.Contributions à l'inflation totale
US/UEM : contributions à l’inflation totale

Quand la poussée d’inflation a commencé à prendre une grande ampleur dans le monde il y a dix-huit mois, le choc est d’abord apparu plus marqué aux Etats-Unis qu’en Europe. Une cause de cet écart tenait au prix des carburants. La consommation d’essence étant plus importante et les taxes plus faibles (prix plus volatiles), le cycle des affaires US est très sensible à la situation du marché pétrolier. En mai 2021, cela pouvait expliquer 1 point d’inflation de plus aux Etats-Unis qu’en Europe (graphe). Depuis, l’inflation a accéléré dans des proportions semblables dans les deux zones, mais les contributeurs sont différents. Aux Etats-Unis, la contribution de l’énergie à l’inflation est restée stable, jouant un rôle secondaire dans la surchauffe des prix. A l’opposé, en Europe, l’inflation énergétique explique directement la moitié de l’inflation totale, et en réalité beaucoup plus, puisqu’elle se diffuse par le jeu des consommations intermédiaire aux autres secteurs, industrie, agriculture et services.

2022.09.05.Prix à la pompe
US : prix à la pompe ($ par gallon)

La raison est l’explosion des prix de l’électricité et du gaz en Europe, désormais plus de dix fois supérieurs à leurs niveaux usuels. Une contagion aux prix américains a eu lieu mais elle est limitée par les contraintes physiques aux échanges. Suite à la guerre en Ukraine, l’Europe importe davantage de LNG américain. Cela cause certes une tension domestique mais sans commune mesure avec les effets de l’embargo russe contre l’UE. Concernant l’électricité, c’est surtout la vague de chaleur estivale qui est en cause, du fait d’un réseau de distribution jugé sous-optimal. Les prix du gaz et de l’électricité US sont entre 3 et 4 fois leurs niveaux usuels. L’EIA prévoit qu’ils se replieront d’ici la fin de l’année, hors aléas lors de la saison des ouragans. Au même moment, l’affaiblissement de la croissance mondiale pèse sur le marché pétrolier, et partant le prix des carburants. Quoique élevés au regard de leur niveau des dernières années, les prix de l’essence ont chuté d’environ 25% depuis mi-juin (graphe). La Fed veut voir d’autres signes de modération touchant aussi les prix des services, ainsi que les salaires, mais peut déjà se satisfaire de voir l’inflation amorcer son déclin. Ce n’est pas le cas en Europe.

Economie

En août, selon l’indice du Conference Board, la confiance des consommateurs s’est reprise, en ligne avec le rebond similaire de l’indice de l’Université du Michigan. Les conditions courantes du marché du travail sont toujours jugées très favorables. Ce constat est corroboré par le rapport JOLTS sur les flux sur le marché du travail. En juillet, le nombre des postes vacants a rebondi à 11.2 millions, pas très loin de son record de mars dernier (11.8M). Pour un taux de chômage similaire à aujourd’hui (3.5%), le nombre de vacances n’était que de 7.5M en 2019 avant la pandémie. Pour ceux qui, à la Fed, pensent que la surchauffe du marché du travail peut se corriger par une baisse des postes vacants plutôt que par une hausse du chômage, ce n’est pas une bonne nouvelle – Voir Focus-US de la semaine passée: « Phillips vs Beveridge (à propos du marché du travail US)« . A ce jour, on ne constate ni l’un, ni l’autre. Les nouvelles inscriptions au chômage qui avaient remonté d’avril à juillet sont à nouveau orientées vers le bas depuis quatre semaines.

La correction du secteur de l’immobilier résidentiel commence enfin se voir sur les prix des logements. Ils ont amorcé leur repli en mai pour les maisons neuves. Pour les logements anciens, tous les indices disponibles ne baissent pas encore à l’échelon national mais accusent un sérieux coup de frein depuis le printemps. En juin, les indices Case-Shiller signalent un premier recul des prix des maisons dans 13 des vingt plus grandes métropoles.

2022.09.05.Housing price data

En août, l’indice ISM-manufacturier est resté stable à 52.8pts, point bas de 2022. La composante des « prix payés » qui était monté jusqu’à 87pts en mars, au plus fort des perturbations des chaînes d’approvisionnement, baisse depuis cinq mois pour ressortir à seulement 52.5pts.

Politique monétaire et budgétaire

Lors de son allocution au symposium de Jackson Hole, le 26 août, Jerome Powell a été on ne peut plus clair concernant la suite du cycle de resserrement monétaire: « nous devons continuer jusqu’à ce que le travail soit accompli » (« we must keep at it until the job is done« ). Avec une référence à Paul Volcker dont l’autobiographie s’intitulait justement Keeping At It. Sur le fond, le président de la Fed ne dit rien de nouveau par rapport à la réunion de fin juillet mais le message avait besoin d’être répété avec force. La Fed entend donc rendre sa politique restrictive et la conserver en l’état pendant un certain temps. A ce stade, M. Powell s’est contenté de rappeler que le taux maximal dans le scénario médian du FOMC est un peu inférieur à 4% (vs une fourchette de 2.25-2.50% actuellement). James Bullard (St.Louis) Loretta Mester (Cleveland) visent un pic au-dessus de 4%. Quoi qu’il en soit, un retour en arrière rapide est vu comme une erreur. Tous les présidents de Fed régionale s’étant exprimé ces derniers jours ont relayé ce point. Là encore, c’est l’expérience des années 1970 que chacun a en tête. Arthur Burns, prédécesseur de Paul Volcker à la tête de la Fed, avait assoupli la politique alors que le choc d’inflation causé par le premier choc pétrolier de 1973 n’était pas encore totalement surmonté.

Le discours de Jerome Powell a frappé les marchés le jour même (recul de 3.3% du S&P500, hausse des taux courts) et les jours suivants. Les contrats futures sur fonds fédéraux ont revu à la hausse la trajectoire anticipée des taux de la Fed, sans toutefois effacer totalement la possibilité de baisses de taux au S2 2023.

A suivre cette semaine

La principale statistique macro est l’ISM-services (6 septembre). Jusqu’à présent, cet indice de climat des affaires a bien mieux résisté que les autres enquêtes. En févier, ISM et PMI des secteurs de services étaient proches aux alentours de 57pts. Depuis lors, l’ISM est resté quasiment stable, à 56.7pts en juillet, tandis qui le PMI n’a cessé de baisser, chutant à 44.1pts en août. On peine à croire que différences de panel entre les deux enquêtes peuvent expliquer une telle divergence. La Fed publiera aussi son Livre Beige le 7 septembre. Ce sera la relevé le plus exhaustif des conditions d’activité et d’emploi en cet fin d’été.

 

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, Oddo BHF Securities