Que les banques durcissent l’accès au crédit ou que la Fed relève ses taux directeurs, dans les deux cas, il y a des effets négatifs sur l’économie réelle. Quelle est l’équivalence entre les deux phénomènes ? En mars, après les problèmes de SVB, Jerome Powell avait estimé à la grosse que cela pouvait représenter une hausse de taux, peut-être un peu plus, mettons quelque chose entre 25 et 50pdb. Dans l’intervalle, il n’y a pas eu de crise systémique mais la pression reste forte sur quelques banques de taille intermédiaire. Si la Fed a atteint son taux terminal, c’est peut-être davantage le crédit que l’inflation qui dictera les prochaines décisions de la Fed. Pause prolongée d’abord, baisse ensuite.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2023.05.08.Dépôts bancaires
US : dépôts bancaire (selon la taille des banques)

Comme attendu, la Fed a relevé ses taux directeurs de 25 pdb cette semaine. En mars, la réunion du FOMC de mars avait été précédée de la chute de Silicon Valley Bank, en mai de celle de First Republic Bank. Ces deux banques représentaient chacune environ 0.8% des actifs du système bancaire américain (1) . Dans le premier cas, la surprise était totale (même si le rapport post-mortem des superviseurs a révélé que les problèmes de SVB étaient identifiés de longue date), d’où un accès de panique sur les marchés (2) . Dans le second, c’était une séquelle largement anticipée du premier choc. D’autres banques sont maintenant sous pression. La crise bancaire n’a pas pris une ampleur systémique mais il est difficile de dire si on est au début de la fin ou à la fin du commencement. Dans tous les cas, il faut s’attendre à des répercussions négatives sur le financement de l’économie. Ayant à sa disposition l’enquête trimestrielle auprès des banques (le SLOOS, à paraître lundi 8), Jerome Powell a révélé que les résultats montreraient un nouveau durcissement des conditions d’accès au crédit, en particulier auprès des petites et moyennes banques.

2023.05.08.Prêts à l'industrie
US : prêts à l’industrie et à au secteur immobilier commercial

Le resserrement de la politique monétaire en 2022 a eu un effet presque immédiat sur les dépôts bancaires (3) . Ils avaient été tellement boostés durant la pandémie qu’une correction était de toute façon inéluctable (graphe). La répercussion sur le crédit aux entreprises met plus de temps à se faire sentir (graphe). Selon les données de mars, les prêts industriels étaient quasi stables, les prêts immobiliers commerciaux encore en hausse robuste. Il paraît improbable que ces tendances puissent se prolonger. Si le crédit ralentit, la Fed aura une bonne raison de passer son tour à la réunion de juin, ce qui validerait le scénario d’une pause prolongée. Toutefois, comme l’inflation reste trop élevée pour le moment, il faudrait sans doute une correction plus dramatique du crédit pour rendre crédible un assouplissement rapide de la politique monétaire.

Economie

Au T1 2023, la composante « salaires » de l’Employment Cost Index (ECI) a augmenté de 4.7% t/t en rythme annualisé, un peu moins qu’au T4 2022 (4.8%). Au S1 2022, la hausse se situait entre 5% et 5.5%. Ce résultat corrobore le signal venant de l’indice mensuel du taux de salaire, qui montre que les gains salariaux ont commencé à ralentir depuis la mi -2022. Leur progression reste toutefois trop forte pour satisfaire l’objectif d’inflation. L’ECI montre par ailleurs que la composante « primes » a rebondi au début d’année, de 3.9% à 4.9% t/t annualisé. Le rapport complémentaire JOLTs sur le marché du travail en mars confirme une nouvelle baisse des tensions avec un taux de postes vacants en baisse (-0.2 pts à 5.8%) et des licenciements en hausse.

En avril, selon les enquêtes ISM, la confiance des directeurs d’achat s’est un peu améliorée. L’ISM-manufacturier (+0.7pt à 47.1) reste en zone de contraction pour le sixième mois de suite. L’ISM-services (+0.7pt à 51.9) indique une croissance positive mais faible, confirmant les vues du dernier Livre Beige. Les indices de prix (53.2 dans l’industrie, 59.6 dans les services) montrent que les tensions restent plus fortes que la normale mais sont en net retrait par rapport aux pics récents.

Premier indice sur les dépenses de consommation en avril, les ventes de véhicules ont fortement rebondi: +7.2% à 15.9 millions d’unités annualisées.

Politique monétaire et budgétaire

Faisant face à une situation de liquidité des plus précaires, First Republic Bank a été finalement prise en main par les autorités de supervision et revendue à JPMorgan le 1er mai. Pour la FDIC, la perte devrait s’élever à 13Md$ vs 23Md$ pour Silicon Valley Bank. A la différence de la chute de SVB qui avait pris tout le monde de court, le sort de FRB était largement anticipé. Du fait de cette opération, le recours aux facilités d’urgence de la Fed (discount window + BTFP) a baissé de 71Md$ sur la semaine du 3 mai, ce qui est compensé en large partie (+58Md$) par une hausse des prêts-relais à la FDIC. Plusieurs banques régionales de taille plus modeste ont vu leur cours de bourse partir au tapis ces derniers jours. Des consolidations sont à prévoir.

Le 1er mai, Janet Yellen a indiqué qu’au vu des dernières données sur les rentrées fiscales, il se pourrait que le Trésor ne soit plus en mesure de payer tous ses créanciers à compter du 1er juin au plus tôt si le plafond sur la dette fédérale n’est pas relevé ou suspendu. Pour l’instant, la Maison Blanche et la Chambre à majorité républicaine campent sur leur position. Les démocrates refusent d’envisager la moindre négociation sur les dépenses avant le relèvement du plafond de dette. De son côté, la Chambre a voté de justesse la semaine passée une proposition de hausse du plafond conditionnée à des baisses de dépense (proposition qui ne passera jamais au Sénat à majorité démocrate). Joe Biden recevra le 9 mai les chefs de la majorité et de la minorité de la Chambre et du Sénat afin de sortir de cette impasse. Il est notable que divers organismes non-partisans, tout en se gardant de se prononcer sur les enjeux politiques de cette affaire, jugent que des négociations sur les dépenses devraient avoir lieu. Le CDS sur la dette fédérale a atteint un nouveau record de près de 180pdb en début de semaine, avant de rebaisser un peu. Il n’avait pas dépassé 80pdn en 2011 et 2013, lors des deux derniers grands débats sur le relèvement du plafond. – Voir aussi Focus-US du 20 février 2023: Chantage budgétaire

Le 3 mai, le FOMC a voté à l’unanimité une hausse de taux de 25pdb. Après cette 10ème hausse en autant de réunions, le taux des fonds fédéraux est au plus haut depuis 2006 à 5.25%. C’est aussi le niveau maximal envisagé dans le dernier scénario médian du FOMC. Ce resserrement, l’un des plus rapides de l’histoire de la Fed (500pdb en 14 mois), est-il arrivé à son terme? Le communiqué ne le dit pas noir sur blanc mais le laisse entendre. Il n’est plus fait référence à la poursuite des hausses de taux. Jerome Powell n’a pas exclu la possibilité de durcir la politique monétaire si les évolutions économiques le réclament, par exemple si l’inflation surprend à la hausse. Il a par contre jugé inapproprié des baisses de taux compte tenu du niveau et de la dynamique de l’inflation.

A suivre cette semaine

Les données d’inflation (prix à la consommation le 10 mai, prix à la production le 11, prix du commerce extérieur le 12) domineront le calendrier des publications macro dans les prochains jours. Les prix de l’essence ont remonté en moyenne entre mars et avril (avant de rebaisser en fin de période), de même certains indices sur les prix des voitures d’occasion. Il y a un risque que le taux d’inflation qui baisse depuis neuf mois se redresse ou au moins reste stable à 5% en avril. A examiner aussi en détail le SLOOS trimestriel sur les conditions de crédit à paraître le 8.

 

1 Pour mémoire, Washington Mutual, la plus grosse faillite de 2008, représentait 2.7% des actifs.
2 Focus-US du 17 mars, Le Big One est censé venir de Californie, non ?
3 Focus-US du 31 mars : L’érosion des dépôts menace le crédit

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, ODDO BHF Securities