Bien que les caisses de pensions suisses soient devenues un acteur économique majeur, elles restent organisées selon un système de milice. Les membres des conseils de fondation sont des «bénévoles» qui sont soumis à une pression grandissante. D’un côté la législation ne leur impose pas moins de 800 obligations d’agir, de l’autre côté les assurés et les fondatrices demandent des meilleurs résultats. Une réaction à ces pressions est la mise en place de systèmes de gouvernance. Dans les lignes qui suivent nous discutons des possibilités de mesurer le «niveau de gouvernance» d’une institution de prévoyance, des mesures les plus efficaces et de déterminer si la gouvernance a un impact sur l’allocation d’actifs.

Avec près de 900 milliards d’actifs les caisses de pensions suisses représentent 4 millions d’assurés répartis entre 1600 institutions. 46% des titres étatiques suisses et 8% de toutes les propriétés commerciales sont en mains des caisses de pensions!1 La réforme avortée «prévoyance 2020» laisse le monde de la prévoyance au-devant de grands défis. Les conseils de fondation ont donc encore beaucoup de travail devant eux et font face à de grandes responsabilités. Ce métier de milicien se réforme également peu à peu impliquant ainsi une gouvernance plus appropriée aux enjeux.

La gouvernance est au cœur de nombreuses discussions des associations professionnelles. Ces discussions soulèvent des questions telles que le type de gouvernance à adopter, les mesures les plus efficaces et comment mesurer le «niveau de gouvernance» atteint. Ce sont ces questions qui ont occupé l’esprit de Nadège Bregnard et Carolina Salva, deux chercheuses de l’Université de Neuchâtel.2 Nous reprenons leur travail pour présenter des éléments qui concernent la gouvernance du conseil.

Le niveau de gouvernance

Dans un premier temps, les auteurs mesurent le niveau de gouvernance, ce qui demeure un concept abstrait. En s’appuyant sur la littérature, les auteures identifient trois axes qui permettent de quantifier l’efficacité du conseil:

Intégrité : un conseil est d’autant moins efficace s’il met ses propres intérêts en avant au lieu de ceux des assurés. Des mesures qui concernent la conformité et la représentativité du conseil permettent de renforcer son intégrité;

Engagement : des membres du conseil trop occupés ont tendance à dédier moins d’énergie aux tâches qui leur sont assignées, spécialement dans un système de milice. L’incitation et l’organisation du conseil poussent les membres du conseil à s’engager plus dans cette fonction;

Compétence : des membres compétents peuvent mettre leur savoir-faire au service du conseil. L’expertise des membres du conseil et la mise en place d’une structure claire au sein de la caisse contribuent à améliorer l’efficacité du conseil.

Chaque axe regroupe plusieurs caractéristiques directement observables qui permettent de créer un indice quantifiant le concept abstrait de gouvernance. Par exemple le niveau de structuration est mesuré par l’existence ou non d’une politique d’investissement, d’objectifs d’investissement définis, de benchmarks définis, d’une politique de risque ou de la réalisation d’une étude ALM. Le tableau ci-après présente l’ensemble des caractéristiques pour chacun des axes.

Source : Bregnard (2018)

Source : Bregnard (2018), XO Investments SA

Le tableau suivant présente les résultats moyens pour l’échantillon utilisé de 210 caisses de pension entre 2010 et 2012.

Ainsi 94% des caisses étudiées ont une politique d’investissement, mais seul 1% des fondations a des procédures d’élections basées sur l’expertise et les compétences des candidats. Les résultats montrent une hétérogénéité importante au sein des caisses de pensions.

Les déterminants de la gouvernance

Pour déterminer les éléments influençant les trois concepts d’intégrité, d’engagement et de compétence, l’auteur réalise une étude économétrique pour vérifier l’impact de différentes variables: privé/public, multi-employeurs, autonomie, administration interne, investissement réalisé à l’interne, âge de la caisse, taux de couverture, ratio de rentiers, taux technique, le type de plan, canton urbain ou encore total des actifs.

Source : Bregnard (2018), XO Investments SA

Nadège Bregnard trouve que peu de variables sont associées à une bonne gouvernance des caisses de pension. L’auteur montre que le concept d’engagement est dépendant d’une administration de la caisse réalisée en interne et de la taille de la caisse (montant des actifs). L’intégrité, tout comme la compétence, est influencée positivement par la taille. Finalement, l’efficacité de la fondation dépend donc de la taille et de l’existence d’une administration de la caisse réalisée en interne. Ainsi plus les fondations sont importantes, plus la gouvernance et donc l’efficacité du conseil sont fortes.

Les effets de la gouvernance

Si les déterminants de la gouvernance semblent difficilement identifiables, les effets de la gouvernance sont plus tangibles, notamment sur la gestion de sa fortune. Nadège Bregnard et Carolina Salva montrent que les fondations bien gouvernées sont plus diversifiées internationalement, prennent plus de risques et détiennent moins de liquidités.
Les auteurs conduisent des analyses pour déterminer quels éléments de la gouvernance influencent le plus l’allocation d’actifs. Les résultats montrent que les effets sur l’allocation sont principalement attribuables aux fondations qui ont défini une politique d’investissement exhaustive.

Source : Bregnard et Salva (2019), XO Investments SA

Le travail montre également que le recours à un conseiller en investissements externe a un effet positif sur l’allocation d’actifs, notamment en augmentant la diversification internationale.

Globalement, les résultats suggèrent que le fait de définir clairement la politique d’investissement assoupli la menace règlementaire et réputationnelle qui pèse sur les conseils de fondation. De plus, le travail de rédaction d’une politique d’investissement nécessite une solide expertise financière. Les deux élément peuvent expliquer les effets sur l’allocation d’actifs décelés par les auteurs.

Conclusion

La gouvernance des fondations de prévoyance est désormais mesurable avec un niveau d’efficacité issu de trois axes clés: l’intégrité, l’engagement et la compétence. Les fondations en Suisse restent hétérogènes mais on constate que plus la fondation est grande, plus le conseil de fondation tend à être efficace. C’est une des explications à la baisse constante du nombre de caisses en Suisse, celles-ci devenant plus grandes par effet de concentration. Finalement le niveau de gouvernance tend à se traduire par un niveau de prise de risque plus important, une plus grande diversification internationale et par une détention de liquidités réduite.

De nombreuses questions demeurent: plus de risque est-il bénéfique pour les fondations? Quels sont les mécanismes qui permettent de réduire les inefficiences des conseils de fondation? Comment les fondations gèrent-elles leurs liquidités et pourquoi en détiennent-elles autant?

 


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1. BAK Economics AG, 2018, Portrait économique des caisses de pension 2018.
2. Bregnard, Nadège. 2018, Pension Fund Governance in Switzerland, Université de Neuchâtel, Institut d’analyse financière, document disponible à l’adresse http://doc.rero.ch/record/323613/files/these_BregnardN.pdf
Bregnard, Nadège et Salva, Carolina, 2019, Pension Fund Board Governance and Asset Allocation: Evidence from Switzerland, document disponible à l’adresse https://ssrn.com/abstract=3334950