Après neuf hausses de taux à la file, la Fed n’est plus tout à fait sûre de ce qu’il faut faire ensuite. La chute de SVB a fait bondir le stress bancaire. Cette chute est due à une mauvaise gestion du risque de taux dans un contexte de resserrement monétaire, et non à une dégradation de la qualité des actifs par suite d’un affaiblissement de l’économie. D’autres accidents du même type ne sauraient être exclus. Dans ce cas, il y aurait un choc négatif sur le crédit, l’activité et les prix, une combinaison poussant à assouplir la politique monétaire. Le marché s’est remis à anticiper des baisses de taux, la première en juillet. Il ne semble pas que la Fed soit résolue à agir en ce sens de manière préventive.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2023.03.27.indicateur de risque systémique du secteur bancaire
US : indicateur de risque systémique du secteur bancaire

La faillite rapprochée de trois banques américaines, la pression croissante sur d’autres établissements souffrant d’une hémorragie de déposants, le mariage forcé de Credit Suisse avec UBS, des régulateurs pris de court et obligés d’agir dans l’urgence, tout cela ravive les souvenirs de 2008. La chute de Lehman Brothers en septembre est l’événement topique de cette crise systémique, mais elle avait été précédée par d’autres accidents (bank run sur Northern Rock en septembre 2007, rachat forcé de Bear Stearns par JPMorgan en mars 2008). Il y a des ressemblances, c’est indéniable, ce que reflète l’envolée du stress financier. La Fed de Cleveland calcule un indicateur mesurant le risque systémique du secteur bancaire(1). Au 15 mars, dernier point connu, il avait bondi à un niveau critique (graphe). Certains ont fait valoir que la Fed aurait eu de bonnes raisons d’arrêter de monter ses taux directeurs, au moins provisoirement, puisque les conditions financières s’étaient fortement resserrées dans les jours précédents la réunion du FOMC. Jerome Powell et ses collègues ont préféré opter pour une hausse mesurée de 25pdb.

2023.03.27.inscriptions hebdomadaires au chômage 2008 vs 2023
US : inscriptions hebdomadaires au chômage 2008 vs 2023

Pourquoi? La réponse est qu’il y aussi de grandes différences entre la situation présente et celle de 2008. La situation économique n’est pas la moindre. Tout d’abord, il n’y avait pas de problème d’inflation à l’époque. La hausse des prix sous-jacents était inférieur à 2.5% l’an en 2008, elle dépasse 5%. Ensuite, le marché du travail s’était déjà retourné, avant que survienne le stress financier. Lors de la chute de Bear Stearns, les inscriptions au chômage dépassaient de 15% le « point-mort » associé à une stabilité de l’emploi(2). Le chômage avait déjà monté de 0.5pts. On se situait 40% au-dessus de ce seuil critique lors de la faillite de Lehman Brothers, le chômage ayant encore monté de plus d’un point en six mois. Rien de tel aujourd’hui. Les inscriptions au chômage sont 20% au-dessous du point-mort (graphe). En somme, le couple inflation-chômage est encore loin de la position désirée par la Fed pour satisfaire son mandat. Cela ne justifie pas encore de baisser les taux.

Economie

En février, la production industrielle a stagné. Sur les vingt grands secteurs, 14 ont vu leur activité baisser en un an. Les enquêtes manufacturières régionales tendent à conforter cette tendance à court terme en mars.

En février, les ventes de maisons existantes ont bondi de 14.5% m/m, ce qui les situe désormais 27% sous le pic de 2022 et 15% sous la normale prépandémie. La baisse des taux hypothécaires à la fin 2022 laissait augurer un redressement, mais pas si fort. Depuis, les taux d’emprunt ont remonté. En hausse pour le 3ème mois de suite (+1.1% m/m), les ventes de maisons neuves confirment avoir passé leur point bas.

Selon l’enquête de l’Université du Michigan, la confiance des ménages a un peu rebaissé en mars, tant dans les conditions présentes que futures. On ne peut exclure que la couverture médiatique des problèmes bancaires ait pesé sur le sentiment général. Les anticipations d’inflation ont reculé modérément aussi bien à l’horizon d’un an (à 3.8% vs un pic à 5.5% en mars 2022) qu’à moyen-long terme (à 2.8%).

Les turbulences bancaires sont trop récentes pour qu’on puisse déjà chiffer leur impact. En tout état de cause, cela invite à se pencher sur les statistiques à haute fréquence, les plus à même de réagir, voire de surréagir, à cette poussée de stress. Jusqu’en février, ces données dépeignaient une activité résiliente, avec toutefois une faiblesse dans l’industrie (trafic ferroviaire, production d’acier) et un net recul des prêts immobiliers (tableau). Sur la première quinzaine de mars, on observe aussi une dégradation dans le trafic aérien et routier. Cependant, les inscriptions au chômage restent très basses, et les prix de l’énergie poursuivent leur repli.

2023.03.27.US activity

Politique monétaire et budgétaire

A sa réunion du 22 mars, le FOMC a décidé à l’unanimité de relever de 25 pdb les taux directeurs dans une fourchette de 4.75-5%. Des neufs hausses qui se sont succédé, c’est sans doute celle qui a demandé le plus de réflexion vu les éléments contradictoires. D’un côté, une inflation trop élevée appelant une nouvelle hausse; de l’autre, un stress bancaire pouvant justifier une pause. Les deux options ont été débattues. Le communiqué mentionne la possibilité d’un « certain durcissement supplémentaire » (some additional firming). Avec cette formulation, la Fed laisse entendre que le cycle monétaire serait proche de son terme. Le pic médian du dot chart est inchangé pour 2023 (5.13%), ce qui implique encore une hausse de 25pdb cette année. Durant sa conférence de presse, Jerome Powell a dit que la Fed n’anticipait toujours pas de baisse de taux en 2023. A la fin 2024 par contre, le point médian est projeté 4.25%, soit l’équivalent de 88pdb de baisse de taux.

Au sujet des banques, le président de la Fed s’est voulu plutôt rassurant, mais sans se hasarder à prédire l’impact des turbulences récentes sur le crédit. Au même moment, Janet Yellen était auditionnée au Congrès. En cas de nouvelle défaillance d’une banque, elle n’a pas exclu une action spéciale pour protéger les déposants comme ce fut le cas avec SVB, mais il n’est pas question selon elle d’apporter une couverture totale des dépôts. Une telle décision ne relève d’ailleurs pas de l’autorité du Trésor, mais du Congrès avec l’aval du Président.

A suivre cette semaine

La principale publication sera le rapport sur les dépenses des ménages (le 31) qui contiendra la mise à jour de l’indicateur d’inflation PCE. En février, l’indice PCE-core est attendu à 4.7% sur un an, un rythme quasi-stable depuis trois mois. A suivre aussi: l’enquête du Conference Board sur la confiance des ménages (le 28), l’indice des promesses de vente de maisons (le 29) et l’indice Chicago-PMI (le 31).

 

Sources : Fed de Cleveland, Fed de Kansas City, ODDO BHF Securities

(1) Voir Fed de Cleveland: https://www.clevelandfed.org/indicators-and-data/systemic-risk-indicator
(2) Voir Braxton (2014), Revisiting Initial Jobless Claims as a Labor Market Indicator, Kansas Fed Working Papers