L’adage veut que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Est-ce que les taux finiront au fond des océans? C’est une expédition sous-marine que nous vous proposons dans ce commentaire mensuel pour mesurer les implications de la baisse massive des taux d’intérêts sur les obligations et sur l’immobilier.

L’été a marqué une accélération de la baisse des taux d’intérêts sur toutes les échéances et dans toutes les devises. La baisse des taux de référence de la part de la Réserve Fédérale américaine aura été le déclencheur d’un mouvement puissant. Pour la Suisse les graphiques parlent d’eux-mêmes. Avec des taux à 10 ans de la Confédération à -1.10% à fin août, nous entrons dans une ère économique inexplorée jusqu’alors.

Taux d’intérêts en Suisse

L’ensemble de la courbe des taux d’intérêts est pour la Suisse en territoire négatif comme le présente le graphique suivant. Il faut donc payer pour prêter de l’argent à la Confédération même à des échéances de 30 ou 40 ans!

Courbe des taux d’intérêts en Suisse

Volume de dette à taux négatifs (mio USD)

Ce phénomène n’est pas unique puisque l’Europe fait face au même problème de taux négatifs.

Pour l’investisseur cette situation est problématique puisque les obligations sont désormais achetées pour leur appréciation en capital et plus pour le rendement ! Et c’est l’inverse pour les actions, notamment sur les blue chips ou les titres à haut dividende! On marche sur la tête.

Ce sont désormais près de 13 trilliards de dollars de dette qui sont à taux négatifs.

Un record !

Parts des Etats-Unis dans le rendement obligataire.

Les Etats-Unis, malgré la baisse récente des taux, présente toujours des rendements positifs (en devise locale, en se protégeant contre l’USD les rendements sont aussi négatifs en CHF). Cette désynchronisation implique que le pourcentage des obligations «Investment Grade», soit de bonne qualité, dans le rendement mondial est en forte hausse. Aujourd’hui, 95% du rendement mondial de ce type d’obligation provient des Etats-Unis. L’Europe, la Suisse ou encore le Japon voient presque toutes leurs obligations à taux négatifs.

Qui achète des obligations à taux négatifs en Suisse?

C’est une question régulièrement posée. La réponse est simple : nous tous. Nous tous par l’intermédiaire des fondations de prévoyance suisses qui préfèrent avoir des taux légèrement négatifs que de se voir imposer leur compte courant à un taux de -0.75%.

Caractéristiques des principaux fonds obligataires suisses

Les principaux fonds obligataires suisses utilisés par les fondations de prévoyance en Suisse «offrent» aujourd’hui des rendements à échéances de -0.60%. Cela signifie que pour les 8 prochaines années (la duration est de 8 approximativement) les investisseurs peuvent espérer  gagner» -0.60% par an… Même si temporairement, dans l’hypothèse où les taux continuaient à baisser, ils pourraient avoir une bonne performance, mais ce sera encore au détriment du rendement futur.

Dans ces fonds ce sont désormais près de 95% des obligations qui sont à taux négatifs. Le marché des entreprises est quant à lui à un niveau de 85%.

Ces taux négatifs, et qui continuent à baisser, ont de nombreux impacts. Si la BNS venait à baisser encore les taux il est fort probable que les seuils «d’imposition» des banques s’abaisseraient pour toucher les clients privés et plus seulement les caisses de pension ou les grandes fortunes.

Comparaison or et taux d’intérêts US à 10 ans

Les taux négatifs impliquent également un attrait potentiel vers la détention de billets ou encore vers l’or. L’or a le désavantage de ne pas porter d’intérêt et de coûter en stockage. Mais dans un contexte de taux négatifs persistant, ces deux défauts sont gommés. Le graphique suivant qui propose une évolution comparée des taux d’intérêts américains et du cours de l’or montre une relation inverse entre les deux variables depuis une année maintenant. Des taux d’intérêts réels en territoire négatifs sont un support pour l’or.

Les taux négatifs sont par contre un élément positif pour l’emprunteur et donc pour le marché immobilier dans son ensemble.
Avec un taux de croissance annuel de l’ordre de 4%, le volume hypothécaire en Suisse atteint en fin 2018 plus de 1000 milliards de CHF! Soit plus de 140% du PIB.

Volume hypothécaire en Suisse (mio CHF)

Parts de marché hypothécaire

Ces chiffres donnent évidemment des sueurs froides à la FINMA qui n’a pas manqué de mettre en place des mesures supplémentaires pour réduire l’attrait de l’immobilier de rendement. Les banques sont désormais à la manœuvre. Néanmoins ces contraintes ne s’appliqueront pas aux institutionnels, qui représentent pourtant les plus gros acheteurs d’immobilier. Il y a donc fort à parier que les contraintes ne font que débuter avec un parc immobilier suisse qui passe progressivement des mains de privés vers les caisses de pension en recherche permanente d’investissements non grevés par les taux négatifs. Encore faut-il que l’immobilier soit loué… sinon la solution sera pire que le mal.

 

Source : Bloomberg, BNS, XO Investments SA