De nombreux investisseurs redoutaient, avant l'élection présidentielle américaine début novembre, une victoire de Trump.

Simon Rowe, gérant actions Europe

Il était inexpérimenté, peu fiable et a rapidement proposé la mise en place de mesures de restrictions de l’immigration et du mouvement des biens, néfastes à l’économie. Il était difficile de le considérer comme un bon intendant de l’économie américaine et encore moins comme le responsable des codes nucléaires. Le marché des actions a, après la courte période de fluctuation qui a fait suite au résultat des élections, atteint son plus haut niveau historique, estimant que le programme de réduction d’impôts de Trump, ses projets d’infrastructure, ses dépenses de défense et de déréglementation permettaient de stimuler l’économie américaine comme ce fut le cas sous la présidence de Ronald Reagan.

 

Feu de joie des réglementations

Parmi les sociétés qui ont bénéficié, sur le marché boursier, de cette situation figurent des sociétés liées au secteur de la construction, de la défense ainsi que les banques, dont les partisans s’attendent à un feu de joie des réglementations. Les banques ont également tiré profit de la forte inversion du marché obligataire qui a rapidement intégré dans ses valorisations les prévisions de hausse des dépenses gouvernementales et de l’inflation.  Les rendements des bons du trésor américains à 10 ans sont passés de 1,8% à 2,4% en l’espace d’à peine trois semaines.

L’Europe a évolué sur la même lancée, même si la progression fut plus faible de ce côté de l’Atlantique, avec une rotation des sociétés de croissance défensives (connues sous le nom de « bond proxies ») vers les sociétés cycliques, du secteur de la défense, les titres « value » et les banques. La question est désormais de savoir si cette rotation sectorielle est terminée ou si elle va se poursuivre.

 

Il pourrait s’agir d’un faux optimisme…

En ce qui concerne les États-Unis, la rapidité avec laquelle Trump pourra livrer les projets d’infrastructure qui ont un impact significatif sur l’économie n’est pas vraiment claire. Obama a tenté la même chose sans succès. Les propositions fiscales de Trump semblent bénéficier aux plus aisés, qui ont tendance à dépenser une part moins importante de leur revenu supplémentaire.  ll est possible, même si les sociétés américaines sont autorisées à rapatrier leurs liquidités sans pénalités fiscales, qu’une part importante de ses liquidités sera utilisée pour des rachats et des acquisitions plutôt que pour de nouveaux investissements, en raison de la difficulté à trouver de nouveaux projets attractifs capables de générer un rendement. Les idées les plus extrêmes de Trump, en matière d’étrangers, pourraient graduellement être oubliées mais, s’il rend la vie des immigrants plus difficile, cela pourrait difficilement avoir un impact positif sur l’économie.

 

…mais la rotation se poursuit sur les marchés

L’impact réel attendu de Trump sur l’économie américaine pourrait avoir été exagéré mais, à court terme, le marché boursier pourrait tout simplement continuer de tirer profit du retrait, par les investisseurs, de leurs liquidités du marché obligataire où les rendements réels restent faibles, même après les dernières évolutions.  Ces liquidités chercheront un nouveau foyer, à un moment où les risques d’inflation semblent en augmentation, une crainte qui pourrait être renforcée par l’accord apparent de l’OPEC visant à réduire la production de pétrole.

La situation est, comme toujours, plus complexe en Europe. Les rendements des obligations ont augmenté, sur la lignée des États-Unis, mais restent beaucoup plus faibles. La faible croissance européenne signifie que la Banque Centrale Européenne (BCE) est encore bien loin d’augmenter les taux, à l’inverse des États-Unis. Il s’agit plutôt de débattre de la rapidité avec laquelle la BCE mettra fin à son programme d’assouplissement quantitatif. Le cours des titres des banques a augmenté dans l’espoir que cela signifie que nous allons en finir avec les taux négatifs et les mesures de relance agressives.

 

La montée des démagogues?

La situation politique en Europe est également complexe. L’Europe va faire face cette année, suite au référendum qui a eu lieu récemment en Italie sur la réforme constitutionnelle, a un marathon d’élections en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Nous devrions assister, au cours de ces élections, aux mêmes questions et débats que ceux qui ont été abordés lors du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE et de l’élection américaine. J’estime, après avoir étudié les résultats du Royaume-Uni et des États-Unis, que les hommes politiques au pouvoir relèveront les défis lancés par le populisme en volant leurs arguments et en prononçant des discours similaires à ceux de Trump. Que diriez-vous d’augmenter les dépenses en infrastructure ? Que diriez-vous de nouveaux logements ? Mettons un frein aux mesures d’austérité. Réévaluons le salaire minimum. Réévaluons notre politique d’immigration. Améliorons la sécurité en augmentant les dépenses sur le secteur de la défense. Ces secteurs devraient donc logiquement être les principaux sujets de discussions au cours des prochains mois.

Certaines sociétés du secteur de la défense ont enregistré de solides résultats avant même les dernières semaines. Leonardo (auparavant Finmeccanica) fait exception à la règle, certaines inquiétudes demeurant, jusqu’à récemment, au sujet de son équipe de direction.  La société est, toutefois, l’un des principaux fabricants au monde d’hélicoptères et offre une exposition décente à l’électronique de défense.  Les opportunités d’accroître ses marges et ses flux de trésorerie sont nombreuses et elle reste également l’une des sociétés la moins chère du secteur, avec un rendement du flux de trésorerie disponible proche de 10%.

 

Des bases sûres pour les valorisations

Nous trouvons également, sur les autres secteurs, des opportunités présentant des valorisations modestes.  Les actions ne semblent pas bon marché uniquement par rapport aux obligations. Prenons l’exemple de la société de revêtement de sol Tarkett, qui est contrôlée par une famille française. La société a, en partie, été fondée avec l’aide de la société de capital-investissement KKR mais constitue désormais une alternative européenne aux sociétés américaines de renom telles que Mohawk. Les sociétés de revêtement de sol (vinyle, linoléum, bois stratifié etc) ne sont peut-être pas aussi attractives que les sociétés récréatives ou que les sociétés de technologie de pointe mais la rénovation représente 80% de l’activité de Tarkett ce qui, dans l’ensemble, ne nécessite pas beaucoup de capitaux et génère donc d’importantes liquidités. Un autre investisseur connu sur le secteur du revêtement de sol? Warren Buffett.

Le secteur des pneumatiques est un autre secteur bien souvent négligé. Les transports personnels et tout ce que nous mangeons ou buvons (et bien d’autres choses) s’effectuent avec des pneus et continueront ainsi, même si les véhicules deviennent électriques. Le secteur des pneumatiques est également un oligopole, l’industrie mondiale étant contrôlée par une poignée de marques. Michelin, en dépit du fait que ses pneus sont les plus chers, a pendant de nombreuses années enregistré des marges plus faibles et généré moins de liquidés que ses concurrents. Mais le premier gérant à ne pas faire partie de la famille change enfin les choses. Les observateurs extérieurs n’ont pas encore complétement intégré ces changements et la valorisation du titre reste donc relativement modeste.

 

L’importance de l’auto-assistance

La poursuite des cessions sur le marché obligataire aurait une incidence négative sur les valorisations des actions car il faudrait utiliser un taux d’actualisation élevé dans les modèles de valorisation. Ceci étant dit, nous devrions pouvoir faire face aux turbulences politiques des prochains mois en nous concentrant sur les sociétés solides présentant des ratios de bénéfices faibles et de nombreuses opportunités d’auto-assistance.