La pérennité du système des retraites est remise en cause dans le monde entier.

Le vieillissement des populations, la faiblesse des taux d’intérêt, la baisse des recettes publiques et la hausse des déficits des régimes de retraite en sont les causes. De plus, on notera que trois investisseurs sur quatre à travers le monde affirment ressentir à présent le poids du financement des retraites sur leurs épaules.1

 

Edward Farrington

Afin de mieux comprendre les tendances économiques mondiales qui ont une influence sur les retraites et les facteurs que les investisseurs peuvent souhaiter prendre en compte, Ed Farrington, spécialiste des retraites chez Natixis Global Asset Management s’est récemment entretenu avec David Lafferty, Chief Market Strategist et Philippe Waechter, Chef Economiste au sein de Natixis Asset Management.

Ils ont également évoqué les principales conclusions tirées de l’Indice mondial des retraites 2017 de Natixis Global Asset Management, dont l’objectif est de mesurer la capacité des retraités à prospérer au sein des marchés développés.

 

Ed Farrington : La croissance est un élément essentiel pour l’investissement en vue de la retraite et la pérennité du système des retraites. Quelles sont les perspectives à long terme pour la croissance économique ?

Philippe Waechter

Philippe Waechter : Nous observons dans des pays comme l’Italie, le Japon et l’Allemagne que la croissance de l’emploi ralentit, ou va ralentir à l’avenir, en raison du vieillissement de leur population. Compte tenu des faibles hausses de la productivité et de l’emploi, il sera difficile de générer une dynamique forte pour le produit intérieur brut (PIB). C’est pourquoi nous espérons tous que ce seront les nouvelles technologies qui vont doper la croissance dans le futur.

Le principal doute porte sur le moment où ce changement va se produire, s’il arrive. Cette incertitude est très perturbante lorsque l’on raisonne dans l’optique d’un régime de retraite. Notre incapacité à accélérer la croissance pourrait devenir problématique pour ceux qui travaillent et pour les retraités. Il s’agit là d’un problème réel pour tous les pays développés.

David F. Lafferty, CFA

David Lafferty : À son niveau le plus élémentaire, la planification de la retraite revient à différer des actifs pour leur consommation future. Peu importe si c’est le gouvernement qui met des actifs de côté, ou les régimes de retraite ou les individus qui épargnent, dans ces trois cas, il faut avoir des taux de croissance supérieurs pour que l’équation fonctionne.

Toutefois, il est très difficile pour des personnes au budget serré de tout simplement commencer à épargner. Qu’importe donc le montant des économies réalisées ou leur futur rythme de croissance.

 

Ed Farrington : Parlons à présent de démographie et croissance économique. La génération du baby-boom a alimenté la croissance pendant plus d’un demi-siècle. Elle est désormais plus âgée et tend à vivre plus longtemps. Les enfants du millénaire sont plus nombreux, mais leur effet ne s’est pas encore fait sentir. Le problème n’est-il pas simplement que trop de personnes vivent plus longtemps à la retraite et qu’il n’y a pas suffisamment de gens pour prendre la relève ?

David Lafferty : L’espérance de vie est en hausse. Ainsi, le taux de dépendance, c’est-àdire, le nombre de personnes dépendantes qui ne sont plus en âge de travailler par rapport à la population active, n’est pas bon. En outre, des études montrent que la productivité est plus élevée chez les travailleurs plus âgés. Ils ont été formés, ils ont de l’expérience et ils savent ce qu’ils font. Il est probable que les personnes actives plus jeunes affichent une productivité inférieure. Le départ des travailleurs expérimentés fait peser une nouvelle menace sur la productivité, pourtant si essentielle afin d’obtenir ces taux de croissance à long terme dont nous avons besoin.

Philippe Waechter : Dès lors que l’on évoque le financement des retraites, nous avons tous à l’esprit la situation passée. Il ne faut toutefois pas imaginer que la croissance de la productivité et les flux de revenus auxquels nos parents et grands-parents ont assisté vont se reproduire. Au milieu des années 1950, la retraite était plus simple en Europe : l’organisation de la sécurité sociale y était différente et les pensions étaient très élevées.

La productivité actuelle est faible partout dans le monde, trop faible pour retrouver ce type de situation ou pour générer le surplus qui nous a autrefois permis des transferts de richesse vers l’avenir. Pour gérer cette situation, on peut augmenter l’âge de départ à la retraite, mais cela peut s’avérer compliqué, car il faut créer des incitations pour que les jeunes travaillent et financent les retraités.

 

Ed Farrington : Si l’âge de départ en retraite augmente, l’économie mondiale sera-t-elle en mesure de soutenir les personnes âgées encore en activité ?

David Lafferty : Sur le plan politique, il est difficile d’annoncer aux gens qu’ils vont devoir travailler plus longtemps. Ce n’est pas un « aimant à voix ». Il n’est pas non plus facile de passer outre la démographie. On ne peut pas changer les taux de natalité si rapidement que ça. Cependant, d’autres facteurs peuvent compenser une main-d’oeuvre vieillissante : l’immigration et la flexibilité de l’emploi. Cette question surgit actuellement dans trois régions.

Aux États-Unis, on a beaucoup discuté des propositions du président Trump visant à limiter l’immigration et des inconvénients que cela implique. Il suffit de regarder la Silicon Valley, où l’hostilité à cette idée est omniprésente en raison de la pénurie d’ingénieurs et de scientifiques informatiques très qualifiés à laquelle le secteur fait face.

En Europe, l’une des questions les plus brûlantes liées aux négociations sur le Brexit concerne les droits et le statut des travailleurs entre l’UE et le Royaume-Uni. Il y a de nombreux Britanniques qui travaillent en Europe, ainsi qu’un grand nombre d’Européens qui travaillent au Royaume-Uni, et leur statut a besoin d’une certaine stabilité. Ils ont besoin de flexibilité pour aller et venir afin de saisir les meilleures occasions où qu’elles soient.

Le Japon doit également affronter ces problèmes. La société nipponne a toujours été plutôt fermée et l’immigration dans l’archipel très limitée. Ces deux dernières années, le pays a réalisé qu’il devait s’ouvrir et proposer une certaine flexibilité du travail, aussi bien par l’immigration que par l’intégration d’un plus grand nombre de femmes aux effectifs.

 

Ed Farrington : Les taux d’intérêt sont bas depuis très longtemps, ce qui a des répercussions élevées pour les retraités et les personnes qui épargnent en vue de leur retraite. En quoi les taux d’intérêt affectent-ils la sécurité des retraites ?

Philippe Waechter : Beaucoup d’investisseurs qui préparent leur retraite imaginent que des taux d’intérêt élevés vont alimenter leur épargne et ils construisent leurs actifs dans l’optique du jour de leur départ en retraite. Toutefois, dans un grand nombre de pays, les taux d’intérêt réels sont proches de zéro, voire parfois négatifs. Nous nous trouvons donc dans une situation où l’accumulation ne suscite pas d’effet boule de neige.

David Lafferty : Les taux d’intérêt sont un véritable casse-tête. S’ils grimpent, les investisseurs individuels déplorent que leur portefeuille obligataire soit exposé à une perte de capital à court terme. À l’inverse, la bonne nouvelle vient des revenus supérieurs que les taux d’intérêt leur promettent à l’avenir. À long terme, des taux d’intérêt élevés sont bons pour les retraités. Les investisseurs institutionnels le comprennent, car ils ont des engagements clairs.

Faire comprendre la nécessité d’épargner suffisamment pour la retraite est probablement la chose la plus importante qu’un conseiller financier peut proposer à un client. Il est possible que les portefeuilles obligataires peinent en cas de hausse des taux d’intérêt, mais la valeur actuelle des engagements chute et leurs financements ont donc tendance à s’améliorer.

 

Ed Farrington : Les recherches menées aux côtés des décideurs institutionnels montrent que 60 % d’entre eux affirment que la plupart des institutions ne vont pas parvenir à honorer leurs engagements.1 Existe-t-il une solution à cela ?

David Lafferty : L’économie consiste à faire des choix dans un monde où les moyens sont limités. Selon moi, le manque de leadership est la principale menace qui pèse sur la sécurité des retraites mondiales actuellement et cette question ressurgit de nombreuses façons, aux États-Unis, au sujet du Brexit ou à propos de l’austérité en Europe. En l’absence de dirigeants forts, les conditions économiques difficiles qui règnent actuellement sont vouées à durer : taux d’intérêt bas, mauvais taux de dépendance, productivité faible, etc.

Philippe Waechter : Il va falloir procéder différemment. Si nous maintenons ce contexte de croissance et de taux d’intérêt faibles, nous ne pourrons pas équilibrer tous nos régimes de retraite. L’innovation permettra-t-elle d’augmenter la productivité ? Ce n’est pas le cas pour le moment. L’innovation se retrouve partout, sauf dans les données sur la croissance. C’est pourquoi la situation actuelle est complexe et les retraites source de préoccupation pour chacun de nous.

 

Télécharger le document Market Insights (pdf, 4 pages, en français)

 


1. Natixis Global Asset Management, Enquête mondiale auprès des investisseurs institutionnels effectuée par CoreData Research en octobre et novembre 2016. L’enquête portait sur 500 investisseurs institutionnels dans 31 pays.