Virus est un petit mot latin qui signifie poison... Et c’est bien à un empoisonnement de l’économie mondiale que l’on assiste.

Par Bruno Cavalier, Chef Economiste

 

Depuis environ trois semaines, pour ralentir l’expansion du coronavirus et préserver ainsi les capacités hospitalières, les pays d’Europe et les États-Unis ont mis en place des mesures de confinement sur l’ensemble ou une large partie de leur territoire. Cela implique de limiter les déplacements et les activités à ce qui est strictement essentiel, autrement dit de fermer tout ou partie de l’économie. Les premières données qui remontent du terrain permettent de mesurer le coût de cette politique. Il est considérable.

Poison

Selon les estimations préliminaires du FMI, de l’OCDE et des instituts de statistiques en France et en Allemagne, nos économies tournent désormais de 25% à 35% au-dessous de ce qui était leur niveau d’activité pré-choc. Faut-il préciser qu’on n’a jamais connu un tel bouleversement en un si court laps de temps ! Chaque semaine de confinement réduit le PIB d’au moins un demi-point de pourcentage.

Un confinement de six semaines est désormais une hypothèse basse en Europe et aux États-Unis. Si le pic de l’épidémie est franchi sur cet intervalle alors une levée du confinement sera envisagée, mais cela prendra aussi plusieurs semaines. On peine à imaginer un retour à la vie normale avant le début de l’été au plus tôt. Sous ces hypothèses, le choc avoisinerait de 5 à 7 points de PIB dans les pays développés. Ce sont là des hypothèses acceptables, avec une alternative qui penche pour un confinement plus long et une remise en route plus étalée. On pourrait alors doubler la mise.

Une grave récession est inévitable, mais en un sens, elle fait partie du traitement de la crise sanitaire. Il faut toutefois éviter qu’un choc temporaire ne crée un dommage permanent. La seule politique publique censée consiste à compenser la perte de revenus des ménages, à préserver la capacité de production, et faire en sorte que ni l’économie réelle, ni les banques ou les marchés, ne manquent de liquidité. C’est plus facile à dire qu’à faire. Les responsables de politique économique ont parfois tâtonné, mais désormais, les mesures monétaires et budgétaires ont, combinées, une masse critique imposante.

Antidote

À court terme, il s’agit moins de stimuler la demande (cela n’a pas grand sens tant que l’offre est contrainte) que de limiter au maximum la perte de potentiel productif. C’est pourquoi dans la plupart des pays, les mesures de politique économique visent à encourager le chômage partiel plutôt que les licenciements secs, à étaler les charges des entreprises (impôts, loyers, crédit) plutôt que de les acculer au dépôt de bilan, et surtout à éviter un rationnement du crédit. La fourniture de liquidité dans des proportions adéquates est ce qui fera la différence dans cette récession. On est désormais certain qu’elle sera sévère, mails il n’y a pas de fatalité à ce qu’elle soit longue.

Pour cela, il ne faut pas lésiner sur l’antidote, et son administration rapide. C’est l’une des leçons de la crise financière de 2008. Il est inutile de fantasmer sur des périls imaginaires (par exemple, le risque inflationniste faisant suite à l’expansion du bilan des banques centrales). Il est même certainement préférable de ne pas brider la réaction de politique économique à cause de l’aléa moral. Sans doute, il y aura des passagers clandestins cherchant à profiter indûment de l’aide publique, mais ce n’est pas un problème de premier ordre.

Le choc du coronavirus met à rude épreuve la solidité de l’Europe et ravive les plaies de la crise des dettes souveraines qui s’est déroulée de 2010 à 2015. À l’époque, certains pays « vertueux » avaient jugé, avec une joie mauvaise non dissimulée, que la crise des pays « laxistes » était la sanction de leurs excès. Certains tiennent les mêmes propos aujourd’hui. Pourtant cette fois, le choc est purement exogène et frappe tout le monde. C’est typiquement là qu’on attendrait de l’Europe une réponse unie, coordonnée, capable de dépasser les écarts entre pays (il y en aura toujours). Sur le principe, cela fait sens d’avoir un financement mutuel des mesures de soutien liées à la crise du coronavirus (les fameux et controversés « coronabonds ») avec, en contrepartie, il va sans dire, une gestion mutuelle de ces dépenses.

Reconnaissons que les obstacles politiques sont difficiles à surmonter. À court terme, il n’y a pas à redouter une fragmentation de la zone euro car la BCE veille à ce que tous les pays puissent se financer dans des conditions très favorables. Sur le long terme, le débat reste ouvert et tout est possible. Cette crise risque d’attiser le sentiment anti-européen. L’exemple du Royaume-Uni et du Brexit doit nous rappeler que cela peut amener jusqu’au divorce.

 

Source: consensus forecasts, IMF, Thomson Reuters, ODDO BHF