Nowcasters et vues macro de l’équipe en charge de l'allocation dynamique des stratégies multi-assets d'Unigestion.

Guilhem Savry, Jérôme Teiletche, Jeremy Gatto, Florian Ielpo, Olivier Marciot

Nous avions indiqué au début de l’année que 2018 serait une année de transition de la période idéale à la «Boucle d’Or» de 2017 vers un contexte économique et financier plus difficile. Bien que nous pensions que la croissance économique resterait solide et au-dessus de son potentiel, nous étions préoccupés par les pressions inflationnistes et le resserrement de la politique monétaire après quelques années de normalisation lente mais constante menée par la Réserve fédérale américaine (Fed).

En septembre (voir «Smoke on the Water»), nous avions mis le doigt sur la balance des risques en train de se déséquilibrer et noté que très nombreux risques idiosyncratiques pourraient se transformer en un risque systémique pour les actifs axés sur la croissance. D’une certaine manière, nous avons commencé à voir les premiers signes clairs que les fondamentaux – qui restent positifs – pourraient ne pas suffire à soutenir les actifs risqués. Au cours des dernières semaines, notre scénario central pour les mois à venir a évolué: nous sommes passés d’une attitude prudente en faveur de la croissance à une attitude plus défensive avec une réduction du risque.

De nombreux facteurs négatifs contre peu de facteurs positifs

Quelques chiffres pour mettre l’année en perspective: en termes de rendement total, l’indice MSCI AC World (actions mondiales) a cédé 3,1%, avec l’indice MSCI World (actions des pays développés) en baisse de 1,7% et l’indice des marchés émergents en baisse de 13%. L’indice Bloomberg Commodity a perdu 3,2% jusqu’à présent cette année, tandis que l’indice Barclays’ Global Aggregate Bond est stable et que l’indice Barclays’ Inflation Linked Bond a baissé de 4,2%. Le dollar américain est l’un des rares investissements à avoir connu une performance positive cette année, l’indice DXY ayant progressé de 4,7% sur un an.

De toute évidence, le marché a déjà absorbé de nombreux risques, allant des tensions liées à la guerre commerciale au ralentissement en Chine, en passant par la géopolitique. Pourtant, lorsque nous nous tournons vers l’avenir au cours des prochains mois, nous constatons davantage de facteurs négatifs que d’éléments positifs qui n’ont pas été pris en compte par le marché. En effet, des facteurs négatifs se trouvent représentés dans les différents types de risques auxquels les marchés sont confrontés:

• Erreur de politique monétaire: le ton plutôt belliciste de la Fed au cours des derniers mois a déjà suscité l’inquiétude des investisseurs mais le marché prévoit toujours un resserrement futur bien inférieur à celui projeté par la Fed pour 2019 et 2020. Comme nous l’avons annoncé la semaine dernière, il ne semble pas avisé de «lutter contre la Fed».

• Géopolitique: qu’il s’agisse des résultats encore inconnus du Brexit, de la confrontation du gouvernement italien avec l’UE ou du parti démocrate américain récemment dynamisé par les élections de mi-mandat, la politique va probablement ajouter de l’incertitude aux marchés au cours des prochains mois, et non la supprimer.

Nowcaster de croissance mondiale
Sources: Unigestion, Bloomberg au 19.11.2018.

• Dégradation de la croissance: alors que les investisseurs ont déjà revu la prime de croissance légèrement à la baisse (par exemple, notre panier d’actifs de croissance est en baisse de 2% cette année) nous pensons qu’un ajustement plus conséquent est à venir. Notre «Nowcaster de Croissance» avait été soutenue en 2018 principalement par les États-Unis. Mais avec les effets des réductions d’impôts derrière nous et de la hausse des coûts de financement pour les ménages et les entreprises (le taux hypothécaire à 30 ans et l’écart sur la dette à haut rendement des entreprises ont augmenté de près de 1% cette année), nous avons assisté à un net ralentissement de la consommation américaine au cours des dernières semaines. Une baisse soutenue des prix du pétrole permettrait certes de soutenir la demande mondiale mais ne suffirait pas à ramener la croissance aux sommets atteints plus tôt cette année.

En ce qui concerne les éléments positifs, le seul que nous voyons est une amélioration sur le front des tensions commerciales et la mise en place potentielle d’un cadre pour un accord lorsque les présidents Donald Trump et Xi Jinping se rencontreront au sommet du G20 à la fin du mois. Cependant, il est important de garder à l’esprit qu’il existe des différences fondamentales derrière ce différend commercial et qu’elles entraveront la conclusion d’un accord à court terme. Les deux pays ont des points de vue opposés sur le rôle du gouvernement dans les affaires, ne voient pas «la valeur de la propriété intellectuelle» de la même façon et se disputent le pouvoir et l’influence mondiaux. Autant d’éléments qui affecteront durablement toute forme de coordination internationale dans le futur.

Risk off à l’horizon

Nowcaster d’inflation mondiale
Sources: Unigestion, Bloomberg au 19.11.2018.

Considérant ces différents facteurs et l’équilibre des risques, notre scénario central pour les mois à venir est donc à présent une période de «risk off». Nous avons constaté qu’une croissance mondiale soutenue, supérieure au potentiel, n’a pas été suffisante pour compenser les incertitudes pesant sur les marchés cette année. Cette asymétrie des risques motive notre passage à une posture plus défensive. Nous anticipons que l’économie mondiale connaisse un net ralentissement par rapport aux niveaux actuels. Nous ne disons pas qu’une récession est à l’horizon mais plutôt que la croissance économique tombera sous son niveau de croissance potentielle. Pour les banques centrales telles que la Fed, cette évolution serait positive car elle contribuerait à réduire les risques d’inflation et serait donc la bienvenue. C’est la raison pour laquelle nous ne pensons pas que la Fed s’écartera de la politique annoncée. Mais un tel ralentissement serait une surprise négative pour les acteurs du marché dont les prévisions de croissance sont globalement conformes aux niveaux observés en 2017 et 2018. Par exemple, l’estimation par consensus de Bloomberg de la croissance mondiale en 2019 est de 3,6%, juste en dessous du niveau réalisé cette année.

Nowcaster de tensions sur le marché
Sources: Unigestion, Bloomberg au 19.11.2018.

De plus, nous pensons que le positionnement des investisseurs peut renforcer tout déclencheur négatif. Les investisseurs de type «fast money» ou «monnaie rapide» tels que les CTA, les hedge funds suivant des stratégies macro et les fonds actions long/short ont considérablement réduit leur bêta vis-à-vis des actions mondiales au cours du mois d’octobre (ce qui a été l’un des facteurs de la déroute). Un bon nombre de ces investisseurs semble maintenant avoir suffisamment réduit son exposition aux actions, avec un bêta stabilisé ou devenu négatif. Cependant, les investisseurs «real money» ou «monnaie réelle» – ménages, fonds de pension, fonds communs de placement et investisseurs étrangers – semblent toujours détenir une allocation importante aux actifs de croissance. Par exemple, selon le «Flow of Funds» de la Fed (rapport sur les bilans des différents secteurs de l’économie), à partir du deuxième trimestre de cette année, environ 44% des actifs financiers de ces investisseurs étaient des actions, un niveau jamais vu depuis 2000. Ces investisseurs sont également les principaux détenteurs d’actions de sociétés. Ensemble, ils détenaient environ 84% du marché.

Protéger malgré le coût d’opportunité

Dans ce contexte, les obligations seraient le premier actif où l’on chercherait à réduire les risques. Mais comme nous l’avons vu en octobre, elles ne fourniront pas leur protection habituelle. À titre d’exemple, l’indice Barclays Global Aggregate Bond était en baisse de 7 points de base en moyenne lorsque l’indice MSCI ACWI était en hausse mais n’a progressé que de 2 pdb en moyenne lorsque l’indice d’ACWI était en baisse. Lorsque les stratégies de couverture naturelles deviennent moins efficaces, il est essentiel de réduire le risque global du portefeuille et d’identifier d’autres stratégies de couvertures potentielles.

Nous pensons que nos primes de risque alternatives joueront un rôle important dans ce contexte mais nous recherchons également des expositions optionnelles lorsque les prix sont intéressants. Et même si notre exposition longue au dollar américain a été une couverture bénéfique, compte tenu de son niveau actuel, de son positionnement très long et des déclarations légèrement accommodantes de la Fed, nous ne pensons pas que ce sera une exposition aussi défensive qu’elle l’a été. Bien sûr, si notre scénario central est erroné et que les investisseurs adoptent une attitude axée sur le risque, notre bêta inférieur signifie que nous aurons du retard sur le marché et sur certains de nos pairs. Mais compte tenu du nombre et de la nature des risques, nous pensons qu’il est plus prudent de protéger le portefeuille que de courir après un hypothétique rebond du marché.