Les quelques années qui viennent de s'écouler regorgent d’exemples dans lesquels l'analyse du sentiment des investisseurs est finalement l’élément qui a fourni le signal le plus significatif dans la gestion active de la part actions et la maîtrise des risques.

Par Christian Schmitt, CFA, Senior Portfolio Manager

 

En juin 2000, il y a donc tout juste 20 ans, Londres fêtait l’inauguration du Millennium Bridge. Longue de 325 mètres, cette passerelle relie le quartier de la City à la rive droite de la Tamise où se situe la galerie d’art Tate Modern, célèbre dans le monde entier. Il s’agit d’un pont suspendu, conçu par l’éminent architecte britannique Norman Foster. La joie suscitée par ce chef d’œuvre, tant d’un point de vue technique qu’artistique, n’a pourtant duré que deux jours. Après les premières utilisations en conditions réelles, le pont a dû être fermé pendant les deux années qui ont suivi pour travaux.

Que s’est-il passé ?

La circulation des piétons entraînait en effet d’importantes oscillations latérales que les ingénieurs n’avaient pas pris en compte dans leurs calculs, ce qui a valu à l’ouvrage le surnom de «wobbly bridge» (pont vacillant). Ces oscillations étaient si fortes qu’elles rendaient indispensable une retouche architecturale, pour un coût supplémentaire de 5 millions de livres sterling (en plus d’une facture initiale de 18,2 millions de livres). L’«erreur» dans les plans d’origine a vite été identifiée: le pont avait certes été construit pour supporter le poids d’au moins 5000 passants, mais en supposant que ces derniers auraient un comportement différent de celui qu’ont finalement eu les piétons dans la réalité. Contrairement à toutes les hypothèses, la plupart des passants ont marché à un pas cadencé, alors que les plans prévoyaient des rythmes de marche hétérogènes et indépendants. Les pas des piétons se sont synchronisés à cause de facteurs externes, tels que le vent et des vibrations survenues de manière aléatoire, ce qui a fini par amplifier les oscillations et par les augmenter à nouveau sous l’effet de contre-réaction et celui des pas des passants cherchant à équilibrer le mouvement. Depuis 2000, l’expérience acquise avec le Millennium Bridge sur le comportement humain dans de telles situations est prise en compte dans toutes les nouvelles constructions de ponts.

De la même façon, dans la théorie des marchés financiers, l’expérience de ces dernières décennies a montré que le comportement humain, dans la pratique, était très différent de celui de l’homo oeconomicus décrit dans les manuels scolaires. Entre temps, de très nombreuses anomalies que les enseignements économiques classiques n’avaient pas prises en considération dans leurs hypothèses de base ont été empiriquement démontrées et scientifiquement documentées. Le domaines de recherche né de ce constat, à savoir la finance comportementale ou, plus généralement l’économie comportementale, ont d’abord fait l’objet de moqueries, avant d’occuper une place bien établie dans les sciences économiques à partir de 2002, après l’attribution du prix Nobel d’économie au psychologue Daniel Kahneman.

Malgré tout, en tant que gérant de portefeuille, l’on se retrouve souvent à envier les collègues ingénieurs

Lors de la construction d’un pont, le succès final dépend encore presque exclusivement de l’application précise et ordonnée d’hypothèses d’ingénierie. Les aspects liés à des comportements imprévus ne représentent pas un risque majeur, à quelques rares et spectaculaires exceptions près, comme celle du Millennium Bridge. En revanche, à l’examen des marchés boursiers depuis leurs débuts, depuis la crise de la tulipe hollandaise au 17ème siècle jusqu’à celle du coronavirus en ce moment, même les meilleures études en économie n’offrent aucune garantie de succès sur les marchés. Les facteurs externes sont trop complexes, les prévisions trop incertaines et la psyché humaine trop présente. Le célèbre expert boursier André Kostolany estimait en son temps que le rôle de la psychologie dans l’évolution des marchés ne devait en aucun cas être sous-estimé: à l’en croire, elle explique 90% des mouvements des marchés à court et à moyen terme.

Quel que soit le pourcentage exact, le moins que l’on puisse dire est que l’influence du comportement humain sur les marchés financiers est importante. C’est pourquoi il est évident que cette composante occupe une place tout aussi importante dans nos analyses macroéconomiques. Outre les chiffres des économies nationales, la géopolitique et les politiques budgétaires et monétaires, les fondamentaux des entreprises, les valorisations absolues et relatives ou les dérivés de taux d’intérêt, de matières premières et des devises, ce sont précisément ces aspects désignés avec l’expression de «sentiment» qui contribuent à notre vision d’ensemble et qui viennent enrichir la prise de décision déterminant une exposition aux actions adaptée du point de vue du risque et des rendements. Parfois, ce sont justement ces facteurs, plutôt non conventionnels à première vue, qui se révèlent décisifs pour une allocation réussie dans les situations marquées par de profondes incertitudes (ou prétendument sûres).

Si l’on se penche sur l’historique d’allocation d’actifs tactique d’Ethna-DYNAMISCH, les quelques années qui viennent de s’écouler regorgent d’exemples dans lesquels l’analyse du sentiment des investisseurs est finalement l’élément qui a fourni le signal le plus significatif dans la gestion active de la part actions et la maîtrise des risques. Le fait que les investisseurs anticipent le pire et se positionnent en conséquence, ou au contraire qu’ils prévoient un avenir radieux, manifestant leur euphorie au sein du portefeuille, peut justement faire une différence décisive. C’est ce qui s’est produit par exemple au début de l’année et nous a incités à réduire progressivement les risques actions et mettre en place des couvertures, alors que les premiers cas de coronavirus en Chine n’avaient même pas encore été annoncés. Quelques mois plus tôt, à la fin de l’été 2019, la situation du point de vue de l’économie comportementale était encore diamétralement opposée, ce qui, à l’époque, et en considération d’autres aspects, nous avait convaincus de renforcer largement notre exposition aux actions.

Le dernier déclic en date dans ce contexte de psychologie des marchés devait avoir lieu les 10 et 11 mars de cette année: les cours des actions se sont effondrés de près de 20% depuis leurs sommets, et nous avons d’abord adopté une attitude constructive et acheteuse, car nous sous-estimions encore les conséquences ultérieures de la pandémie de COVID-19. Enfin, le moment était venu d’ «acheter au son du canon», comme le dit un adage boursier. Mais plus nous regardions autour de nous, plus il devenait clair que tout le monde se positionnait à l’achat. Au lieu de l’esprit de capitulation régnait comme une atmosphère de cupidité contrôlée. Rapidement, de plus en plus de signes ont indiqué que le marché actions était encore loin d’atteindre un plancher durable: c’est pourquoi Ethna-DYNAMISCH a de nouveau renforcé de 30% ses couvertures actions, pour atteindre son plus faible niveau d’exposition nette au marché depuis plusieurs années. Jusqu’aux injections de liquidités inédites des banques centrales, les actions ont perdu 20% de plus.

Les exemples pratiques ci-dessus, mais également les données scientifiques, démontrent toute l’importance d’une approche de gestion prudente pour les fonds multi-actifs. Depuis toujours, les fonds Ethna et leur gestion se caractérisent par une grande flexibilité, dans les portefeuilles comme dans l’esprit des gérants. C’est pourquoi le sort de nos investisseurs n’est pas totalement suspendu aux caprices des marchés, auxquels ils accèdent au contraire par l’intermédiaire de concepts de fonds actifs, prévoyants et œuvrant au contrôle des risques. Car les fortes vibrations ne font pas que rendre les ponts instables : souvent, elles ont aussi raison de la capacité de résistance des investisseurs dans les phases de tension sur les marchés. Ce qui est également (vous l’aurez deviné) l’une des découvertes de la finance comportementale.

 

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