La récession économique a été bien plus sévère en 2020 qu’elle n’avait été lors de la crise financière de 2008, mais non la récession des profits. La chute des profits depuis leur pic est de 22% dans la mesure des comptes nationaux, une baisse deux fois moindre qu’en 2009. Cet écart tient à deux facteurs : la bonne santé du secteur bancaire d’une part, la relance budgétaire de l’autre. Même si on attend encore une rallonge fiscale, le point bas est peut-être déjà passé. Les secteurs les plus frappés par la pandémie (certains services) sont peu intensifs en capital, et ne devraient pas empêcher un fort rebond des profits en 2021.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

Graphe 1
US : décomposition de la baisse des profits

Selon les comptes nationaux (1), les profits des entreprises US se situaient au T2 2020 à 22% sous leur pic pré-pandémie (-27% si on exclut le secteur financier). La récession des profits, quoique très forte, fait presque pâle figure comparée à la crise de 2008. À l’époque, la baisse avait été de 40% du pic au creux (-31% ex-secteur financier). Pourtant, la récession économique a cette fois été bien plus sévère, la production ayant chuté deux fois plus vite qu’à l’époque. Il y a deux explications.

Primo, la récession de 2020 n’a pas causé de crise financière, en partie car les banques étaient dans une situation plus solide qu’il y a douze ans, en partie car la Fed a répondu aux dysfonctionnements de marché au fur et à mesure qu’ils apparaissaient. A l’opposé, en 2008, il fallait purger une bulle de crédit. En 2020, le secteur financier n’a pas pesé sur la profitabilité d’ensemble de l’économie (graphe 1). Cette fois, le recul des profits vient du secteur domestique non-financier ainsi que du reste du monde. Secundo, les entreprises ont bénéficié d’un soutien fiscal sans précédent. Sur l’année fiscale 2020, le déficit fédéral va dépasser 15% du PIB, mais sur le seul T2, il était plutôt au voisinage de 30% du PIB. Les

Graphe 2
US : partage des revenus des sociétés non-financières

ménages (2) ont absorbé une large partie de ce soutien, mais il en est resté un montant conséquent pour les entreprises, surtout à travers le Paycheck Protection Program (prêts transformés en subventions afin de soutenir l’emploi). Au total, environ la moitié de la baisse des revenus des entreprises a ainsi été absorbée par le gouvernement (graphe 2).

À ce jour, le Congrès n’a toujours pas voté l’extension du programme budgétaire. La production a toutefois vivement rebondi. Les secteurs les plus à la peine (hôtels, restaurants, loisirs) sont peu intensifs en capital. Pré-pandémie, ils représentaient 13% de l’emploi mais 3% des profits (avec le secteur aéronautique, on passe à 14% et 6%). Ils n’ont pas un poids tel que le rebond espéré des profits s’en trouve très affecté.

Politique monétaire et budgétaire

La nouvelle stratégie de la Fed annoncée à Jackson Hole (voir Focus-US de la semaine passée) continue de susciter des commentaires variés. Certains jugent que c’est une révision radicale de nature à favoriser le rebond de l’inflation, d’autres que les changements sont cosmétiques et formulés dans des termes imprécis. Beaucoup de choses, il est vrai, ne changent pas du tout: la Fed garde un double mandat visant un emploi maximal et la stabilité des prix; il n’y a pas de cible numérique sur l’emploi; la cible numérique sur l’inflation reste à 2%; les décisions de la Fed sont censées tenir compte des prévisions macroéconomiques et de l’état du système financier. Pour autant, dans un discours prononcé le 31 août, le vice-président de la Fed Richard Clarida a souligné deux implications profondes que pourrait avoir cette nouvelle stratégie.

Primo, un bas niveau de chômage n’est pas en lui-même une condition suffisante pour resserrer la politique monétaire, dès lors qu’il n’y a pas d’autres signes de tensions sur les prix ou les salaires. Avec le recul, on peut penser que la Fed se serait retenue de monter ses taux à partir de 2016 (ou l’aurait peut-être fait plus tard) si la nouvelle stratégie avait été en place à l’époque. C’est ce qu’a suggéré Lael Brainard, autre membre du Board, le 1er septembre. Ces dernières années, les modèles liant le chômage et l’inflation ont été critiqués, non sans raison, pour avoir prédit une inflation qui ne venait jamais. La cause en est que les paramètres structurels de l’économie avaient trop changé. Désormais, la Fed veut se donner la latitude de ne pas suivre la prescription de ses modèles, si aucun autre signal ne vient corroborer l’existence d’un risque d’inflation. De surcroît, en laissant aller le marché vers la surchauffe, on renforce les chances d’améliorer les conditions d’emploi des catégories les plus fragiles (non-diplômés). Il est explicite désormais que l’emploi maximal est un objectif visant l’inclusion du plus grand nombre, un point souvent souligné par Jerome Powell durant la revue de stratégie.

Secundo, la Fed doit tenir compte de l’asymétrie de la politique monétaire. Dans une phase de resserrement, la Fed n’a pas de limite bridant sa capacité de monter ses taux directeurs. A l’opposé, dans une phase d’assouplissement, elle bute sur la limite des taux zéro (les taux négatifs ne sont vus comme une option praticable dans le cas américain). Pour surmonter ce problème, la Fed doit être prête à tolérer des dépassements de la cible de 2% afin que, dans la durée (over time), l’inflation soit en moyenne à ce niveau. C’est ce que Mme Brainard appelle une politique de « reflation opportuniste ».

Maintenant que la revue de stratégie est terminée, la Fed va se pencher sur d’éventuelles modifications dans la présentation de ses projections économiques, et ce faisant, dans la formulation de sa forward guidance. Richard Clarida a précisé que cela interviendra avant la fin de l’année.

Les discussions budgétaires n’avancent pas, malgré quelques téléphonages entre les négociateurs des deux partis. Les Républicains seraient prêts à accepter une rallonge de 1.5tr$, les Démocrates ne veulent pas aller sous 2.2tr (propositions initiales étaient 1 et 3.5tr). De son côté, le CBO a actualisé ses projections de déficit du budget fédéral à 16% du PIB pour FY2020 et 5% pour FY2021.

A suivre cette semaine

L’inflation sera la principale publication (le 11). L’inflation sous-jacente serait stable à 1.6% en août, l’indice total passant de 1% à 1.2% (effet énergie).

 

1 Les profits des comptes nationaux diffèrent des profits publiés. En particulier, ils n’incluent pas les gains/pertes en capitaux. La baisse des profits des sociétés du S&P500 a été de -34% au H1 2020 (-77% en 2008/09).
2 Voir Focus US du 28 août : « US : une récession qui enrichit les ménages! »

 

Sources : Thomson Reuters,  Oddo BHF Securities