Pour M&G Investments, Richard Woolnough gère le Optimal Income Fund, l’un des plus importants fonds obligataires européens. Succès d’autant plus appréciable que le fonds a été lancé voilà maintenant un peu plus de 10 ans, quelques semaines avant que n’éclate la crise des subprimes.

Par Jérôme Sicard; photo © Dirk Beichert BusinessPhoto

 

Richard Woolnough, gérant du fonds M&G Optimal Income

En dépit de la reprise économique qui se confirme à l’échelle globale, l’inflation a plutôt tendance à stagner. Comment cela impacte-t-il votre stratégie d’investissement?

Dans un environnement où la croissances réelle semble engagée sur la bonne voie, les annonces portant sur la normalisation des politiques monétaires en Europe et au Royaume-Uni ont quelque peu effrayé les marchés. Même avec la volatilité des prix de l’énergie, les cassures dans les courbes de Phillips et la baisse des anticipations inflationnistes qui bloquent le retour de l’inflation, les banques centrales des marchés développés sont passées à une rhétorique plus agressive.

D’après moi, nous entrons dans une période de normalisation, avec le retour à la fois de la croissance et de l’inflation. Tandis que les chiffres de l’inflation se font plus discrets, que les effets de base liés à l’énergie s’estompent, et que l’inflation sous-jacente tend à la baisse, je m’attends à ce que l’inflation reste un thème porteur à l’avenir. Nous avons ainsi ajouté des financières au portefeuille comme un moyen de se positionner sur cette thématique du « reflation trade« . Le fonds a donc une duration courte dans la mesure où j’anticipe une hausse des rendements obligataires sur le moyen terme.

Vous avez écrit plus tôt cette année que les effets des décisions politiques, telles que l’assouplissement quantitatif, sont souvent perçus comme au mieux déroutants, et au pire inappropriés pour le monde réel. Pensez vous que les banques centrales n’ont pas traité la crise comme elles auraient dû?

Ce qu’il est vraiment difficile d’apprécier, c’est à quel point la situation aurait pu empirer si les banques centrales n’étaient pas intervenues. Alors que les marchés apprennent encore à composer avec les effets provoqués par les injections massives des banques centrales, au moins la reprise mondiale est dans l’ensemble engagée.

Pour vous, quels changements structurels ont le plus profondément affecté l’univers obligataire au cours de ces dix dernières années?

La récente désintermédiation des banques, conséquence de la crise financière, a élargi le spectre des émetteurs obligataires. Le marché obligataire est devenu un marché large, profond, sain, et il poursuit sa croissance. La nature de la classe d’actifs a changé elle aussi. Alors qu’à une époque, les investisseurs considéraient les obligations d’entreprises de type investment grade comme une alternative à la dette gouvernementale, ils sont devenus aujourd’hui autrement plus réceptifs à des noms moins cotés. Cela reflète la sophistication croissante aussi bien des investisseurs que des émetteurs. Cette façon dont les marchés ont évolué et continuent d’évoluer a considérablement agrandi l’univers dans lequel nous investissons.

Comment avez-vous adapté votre style de gestion à tous ces changements?

Le fonds M&G Optimal Income a été conçu pour générer de la performance dans différents environnements de marché. Son approche sans restriction nous permet de couvrir tout l’univers obligataire, et de pouvoir également détenir jusqu’à 20% du fonds en actions. Je dispose donc d’un bon nombre d’outils dont je peux me servir dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Ce qui inclut la possibilité de réduire la duration du fonds ou de se positionner sur des actifs moins exposés au risque de taux, tels que les obligations à haut rendement ou les actions, selon la valeur que je peux y percevoir.

Comment vous expliquez-vous le succès rencontré par le fonds depuis sa création voilà dix ans?

Sur le long terme, la réussite du fonds tient à la manière dont nous avons exploité sa flexibilité dans les périodes de forte tension, La capacité du fonds à investir sans restriction a été décisive par exemple avant la grande crise financière quand nous nous sommes montrés très prudents vis à vis des bancaires. En parallèle, la possibilité d’ajuster la duration nous a permis également de limiter l’impact du Taper Tantrum en 2013.

Nous n’avons pas eu peur de procéder à d’importants changements dans notre allocation. Nous avons toujours tenu à assumer des niveaux appropriés de risque pour le compte de nos clients. Quand vous voulez de bons rendements, il faut savoir prendre les bons risques aux bons moments.

Dans la mesure où vous pouvez investir une partie du fonds en actions, quels critères employez-vous afin de déterminer si, pour une société donnée, il est plus intéressant d’y investir en actions ou en obligations?

Les actions constitueront toujours un élément décorrélé à l’intérieur du fonds, et nous investissons uniquement dans des titres individuels quand ils présentent une opportunité d’investissement plus attrayante que les obligations émises par l’entreprise. Nous cherchons à investir dans des actions dont le retour est significativement plus élevé que le rendement à l’échéance de l’obligation, pour compenser le risque supplémentaire. L’objectif est d’identifier la partie la plus attrayante dans la structure du capital de l’entreprise, et les deux mesures d’évaluation que nous prenons en compte sont les earnings yields, le rendement de gain, et le rendement à maturité des obligations à longue échéance. Si ces dernières ne sont pas disponibles, nous utilisons un proxy en ajoutant l’écart de CDS de l’émetteur au rendement des obligations souveraines

Quels ont été les grands virages stratégiques appliqués à l’allocation du fonds depuis son lancement?

Le fonds a été lancé à un moment difficile pour les marchés de crédit et, au départ, il ne prenait que peu de risque de crédit ou de duration. Il était duration courte en début d’année 2007 à l’époque où la croissance économique était forte et le marché immobilier se trouvait en plein boom. Cependant, quand la crise du crédit a éclaté, nous avons été capables de nous repositionner très vite sur une duration longue. Nous avons également fait le choix décisif de sous-pondérer nettement les financières.

Plus récemment, le portefeuille a été réalloué pour exploiter la reprise économique globale : duration courte, bien que nous pouvons allonger à la marge quand les taux montrent des signes de hausse ,et positif sur le crédit.

Au cours du premier semestre, quelles ont été vos principales orientations?

Nous sommes restés duration courte et nous sommes restés l’écart des segments de marché qui ont été faussés par les interventions des banques centrales. La duration a oscillé autour des 2,1 années. Nous sommes négatifs sur la livre sterling car nous pensons que l’économie britannique est plus avancée dans le cycle que les marchés obligataires ne l’anticipent. Nous pensons que le crédit investment grade est plus attrayant que le high yield, et nous avons donc réduit notre exposition à ces derniers en conséquence. Nous sommes persuadés qu’il y a encore de la marge sur la compression des écarts de taux. Dans le segment investment grade, nous apprécions les financières. Ce secteur a bénéficié d’une offre significative en raison des nouvelles règlementations relatives aux fonds propres, il n’a pas été impacté par les programmes de rachats des banques centrales et il devrait profiter enfin de la hausse des taux d’intérêt. Récemment, nous avons également augmenté la part investment grade liés à des actifs européens, en augmentant par exemple notre position sur un indice CDS 10-ans en euros.

Où regarder encore aujourd’hui pour trouver les opportunités les plus attrayantes dans l’univers obligataire?

En plus des différents domaines que nous venons d’aborder, nous arrivons à identifier de bonnes opportunités cross-markets – en achetant et en revendant par exemple des emprunts du même émetteur, mais libellés en différentes devises.

 

Cet article a été publié initialement dans le magazine SPHERE (N°7 – octobre/décembre 2017)