La situation est tendue en Allemagne : les élections ont fait entrer sept partis au Parlement et il est plus que vraisemblable que le pays sera gouverné par une coalition «Jamaïque»* . Même si les marchés n’ont guère réagi à l’annonce des résultats du scrutin, il est essentiel que le nouveau gouvernement se forme rapidement car en tant que poids lourd de l’Europe, l’Allemagne joue un rôle central dans l’intégration et la cohésion européennes.

* elle doit son nom aux couleurs du drapeau jamaïcain, le noir, le jaune et le vert, qui sont les couleurs qui symbolisent respectivement la CDU, le FDP et les Verts.

Yves Longchamp, Head of Research, ETHENEA Independent Investors (Schweiz) AG

Le reggae est originaire de Jamaïque. En Allemagne, on écoute Helene Fischer plutôt que le reggae de Seeed, sachant que personnellement, je préfère de loin Hélène Fischer mais je ne fais certainement pas partie de la majorité. Peter Fox, le chanteur du groupe Seeed, a certes enregistré un beau succès commercial en solo avec son titre “Haus am See” ou bien “Stadtaffe” qui a fait son entrée dans les charts. Mais la musique traditionnelle reste sans conteste le numéro un des ventes. Nous autres Allemands sommes un peuple majoritairement conservateur, élevé et nourri aux sons des orchestres d’Oktoberfest.

Les élections au Bundestag ont fait entrer 7 Partis au Parlement, une situation quasi-identique à celle de l’Italie. Une telle configuration n’avait pas été vue en Allemagne depuis la législature de 1953-1957. A la différence des Italiens, nous les Allemands préférons la politique quand elle est un peu moins désordonnée, mais nous ne pouvons pas voter – et ne le ferons pas – jusqu’à ce que le résultat convienne à tout le monde. Les partis vont se débrouiller pour ficeler un gouvernement stable.

Guido Barthels, Portfolio Manager, ETHENEA Independent Investors SA

Avec 32,9 % des voix, les partis de l’Union CDU-CSU ont toute légitimité pour former une coalition. Dans la mesure où le SPD, arrivé en seconde position avec 20,5 % des voix, se dérobe à ses responsabilités et refuse pour l’instant toute négociation, allant à l’encontre de la volonté des électeurs, une seule coalition dite «Jamaïque» émerge pour l’heure entre la CDU, la CSU, le FDP et les Verts. Au niveau local, une telle configuration n’est pas inhabituelle mais sur une échelle plus large au niveau des Länders elle n’a été testé que deux fois (en Sarre et Schleswig-Holstein) et serait une grande première au niveau fédéral.

Et il existe certainement de bonnes raisons pour que cette tentative n’ait encore jamais eu lieu. Les écarts entre les promesses électorales de la CSU et des Verts comme entre celles du FDP et des Verts semblent en partie insurmontables. Je m’imagine mal comment un accord de coalition viable pourrait englober les propositions clés de tous les partis. Et comment il pourrait ensuite être justifié devant les électeurs et la base de chaque parti. Mais nous sommes là dans un débat politique qui n’a rien à faire dans un commentaire de marché. Nous sommes convaincus qu’un gouvernement efficace sera formé avant la fin de l’année et alors, nous ne nous préoccuperons plus de savoir s’il s’agit d’une alliance Jamaïque ou, à nouveau, d’une grande coalition entre l’union et le SPD.

Toutefois, le poids lourd allemand est désormais en proie à ses propres problèmes et ne fait plus office de force fédératrice en Europe depuis un certain temps.

Graphique 1 : évolution du taux pondéré par les échanges de l’EUR

Certes, les Pays-Bas n’ont toujours pas réussi à former de gouvernement depuis les élections du 15 mars 2017, tandis qu’il aura fallu 541 jours à la Belgique pour y parvenir, mais sans vouloir offenser les Belges ou les Néerlandais, l’Allemagne joue un rôle plus important avec son partenaire français. Plus d’intégration européenne et de collaboration dans le sens des propositions du président français Emmanuel Macron ne sont envisageables qu’avec la participation de l’Allemagne. Nous supposons donc que cela entraînera une faiblesse (provisoire) de l’euro, ce qui transparaît déjà dans le taux de change pondéré par les échanges (graphique 1).

Graphique 2 : évolution de l’EUR/USD

L’euro marque une pause dans sa trajectoire durablement haussière face au dollar (cf. Commentaire de marché de septembre 2017 « Le billet vert prend l’eau! À moins que…? ») (graphique 2). En effet, Donald Trump, qui a urgemment besoin d’une victoire, a dévoilé en grande pompe la grande réforme fiscale tant attendue. Mais sans fournir d’efforts particuliers, on s’aperçoit rapidement qu’il s’agit moins d’une réforme que de baisses d’impôts pour les entreprises et les plus riches dont le financement reste flou. En cette période de dette publique colossale, le déficit budgétaire ne semble toutefois pas être la meilleure méthode pour rallier la majorité au Congrès. Par conséquent, nous restons d’avis que la faiblesse du billet vert s’accentuera et que nous traversons une phase de transition.

Mis à part les rendements des emprunts d’État grecs, le reste du marché, actions et obligations confondues, n’a quasiment pas réagi aux élections du Bundestag. Au final, les mesures et déclarations des banques centrales ont bien plus d’importance aux yeux des acteurs financiers.


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