L’économie française s’est relevée du confinement plus vite et fortement qu’il n’était envisageable il n’y a quelques mois. Le rebond de l’activité, du climat des affaires et de la consommation de biens est impressionnant, mais on ne doit pas ignorer ce qui a précédé. Il s’agit surtout d’un rattrapage automatique. La suite est incertaine. D’abord, la crainte sanitaire est à nouveau omniprésente. Ensuite, le rebond a été s’amenuisant entre mai et août, signe que d’autres mesures de soutien sont nécessaires. En martelant l’idée d’un plan de relance à 100Md€, le gouvernement compte créer un choc de confiance, ce qui, en retour, inciterait les ménages à consommer leur épargne accumulée. On croise les doigts.

Focus France par Bruno Cavalier, Chef Economiste 

 

En France, comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe, le retour de vacances est dominé par la pandémie. La résurgence des cas de coronavirus a débuté vers la fin juillet et a été crescendo en août, mais à ce jour, sans hausse concomitante du nombre de décès, ni de tensions notables dans les unités de soin. Comme la France compte désormais plus de 50 millions d’experts médicaux, non inclus les enfants, les avis sur la maladie, ses causes, ses effets, ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour l’enrayer, ne sont pas unanimes on s’en doute. En ce qui concerne le gouvernement, il est clair qu’il ne veut pas répéter l’expérience du confinement général de la population.

Peut-être n’y avait-il pas d’autre moyen de stopper la contagion en mars dernier, mais ce n’est sûrement pas le cas aujourd’hui. L’expérience d’autres pays montre que le respect de protocoles sanitaires adaptés est plus efficace contre le virus pour un coût économique réduit. La politique actuelle consiste donc à durcir les protocoles sanitaires afin de faire en sorte que l’économie, et plus largement la société, notamment le système scolaire, puissent fonctionner aussi complètement que possible.

Avant d’envisager la suite, un mot sur le passé récent. Les comptes trimestriels donnent la mesure la plus extensive qui soit du coût du confinement. Ils montrent qu’à partir du 17 mars quand ont été imposées l’interdiction de déplacement, la mise en place de l’enseignement à distance pour tous les élèves et la fermeture de toutes les activités « non-essentielles », comme les loisirs et le tourisme, l’activité s’est effondrée (tableau). Au total, sur les deux trimestres cumulés, la baisse du PIB réel ressort à 19% en France, contre 12% en Allemagne, 17% en Italie, 22% au Royaume-Uni, 23% en Espagne. Pour une large part, ces écarts s’expliquent par la sévérité du confinement, la France ayant eu l’un des plus stricts selon l’Université d’Oxford.

France : principaux agrégats macroéconomiques

Ces résultats sont calamiteux il va sans dire, mais apparaissent un peu moins mauvais que les estimations des niveaux d’activité sectoriels que l’INSEE et la Banque de France avaient faites en temps réel. Pour rappel, l’activité économique se situait 33% sous son niveau pré-crise à la fin mars, à -29% en avril, -20% en mai, -11% en juin, -7% en juillet. Il y a donc eu depuis quatre mois un très fort rebond de l’activité et de la demande, ce que confirment les indices de climat des affaires. Selon nos estimations, la hausse du PIB réel pourrait dépasser 15% t/t au T3. Compte tenu de ce rebond et sous l’hypothèse que la situation sanitaire restera contrôlée, nous avons relevé nos prévisions de croissance. A ce stade, nous tablons sur une baisse du PIB réel de 8.3% en 2020 (gouvernement : -11%, FMI : -12.5%), puis un rebond de 7.7% en 2021.

Que sait-on de l’activité économique en août?

La première information vient des indices de mobilité des personnes fournies par exemple par Google ou Apple. Quand on considère la fréquentation des commerces, des transports, des lieux de travail, etc., la mobilité était tombée 50% sous la normale entre mi-mars et début-mai (confinement). Elle s’est ensuite vivement reprise ensuite et évolue sur un plateau à -10% de la normale depuis quelques semaines. La seconde information vient des enquêtes de confiance. Du côté des entreprises, la tendance reste à l’amélioration selon l’INSEE dans tous les secteurs, mais cela reflète surtout la remise en route des sites de production. Les composantes plus prospectives (carnets de commandes, production future) apparaissent plus hésitantes. L’indice PMI-composite, après un rebond de 46 points entre mai et juillet a reculé de 5.6pts en août, tout en restant dans la zone d’expansion.

France : Nombre de chômeurs et « quasi-chômeurs »

En somme, l’optimisme est tempéré par l’incertitude au sujet des conditions d’activité future. De son côté, le moral des ménages est à peu près stable, au-dessus de son point bas de mai, mais loin encore du niveau pré-virus. Les consommateurs sont inquiets des perspectives d’emploi. Le système de chômage partiel créé au moment du confinement a fonctionné à plein (8.8 millions de personnes en avril, 4.5M en juin), permettant d’éviter une vague de licenciements. Le système est prolongé jusque la fin d’année dans des conditions un peu moins avantageuses pour les entreprises, et un système de longue durée aidera les secteurs les plus touchés au-delà. Cela étant, les conditions d’emploi se sont dégradées au cours des derniers mois (graphe).

Cent milliards d’euros, c’est un chiffre rond, facile à retenir, et qui impressionne

C’est l’équivalent de 4.5% du PIB. Cent milliards, c’est devenu l’unité de base dans la communication du gouvernement. Le Ministre de l’économie dit que les ménages ont constitué durant la pandémie un matelas d’épargne de 100Md€, qu’il serait bienvenu de dépenser (choc de demande). De son côté, le Premier ministre est sur toutes les ondes pour faire la publicité d’un « plan de relance » de 100Md€ axé surtout vers le soutien aux entreprises (choc d’offre). Au moment où nous écrivons, les détails sont rares. Voici ce qu’on peut reconstituer au vu des diverses déclarations, souvent floues, car il s’agit tout autant, sinon plus, de communication politique que de décision économique. Il y a des élections qui se profilent au printemps 2022.

40Md€ sont destinées à la « ré-industrialisation »

Près de la moitié pourrait venir de la baisse des impôts de production répartie sur 2021 et 2022 (10Md€ sont semble-t-il assurés sur 2021). Divers rapports ont montré que ces impôts expliquent une part de la faible compétitivité des entreprises française1 mais nul gouvernement n’avait voulu s’y attaquer à ce jour, car il aurait fallu compenser les pertes de recettes de certaines administrations d’une manière ou d’une autre. Le gouvernement voudrait aussi encourager le recours des entreprises aux prêts participatifs, qui sont des quasi-fonds propres et à ce titre renforceraient leur situation financière. Il est évoqué aussi diverses aides à l’exportation, à la relocalisation, au développement des nouvelles technologies. A noter aussi que la baisse de l’impôt sur les sociétés, interrompue après la crise des « gilets jaunes », va se poursuivre vers l’objectif de 25% en 2022.

30Md€ sont destinées à la transition écologique

…mais on croit comprendre que ce chiffre intègre 10Md€ de l’enveloppe précédente. Les priorités sont ici la rénovation des bâtiments, les transports, l’énergie, et sans doute pour une part l’agriculture.

20Md€ sont destinées à renforcer l’offre de travail

au travers de mesures sur la formation, l’incitation au recrutement des jeunes.

Enfin, il y a déjà diverses annonces signalant l’objectif d’encourager l’investissement dans le secteur de la santé, soutenir les entreprises du secteur culturel, etc.

 

Sources : Thomson Reuters, INSEE, Oddo BHF Securities


1. Les diverses taxes sur la production et les importations représentent 3.7% de la valeur ajoutée des sociétés en France, contre 0.7% en Allemagne.