Nowcasters et vues macro de l’équipe en charge de l'allocation dynamique des stratégies multi-assets d'Unigestion.

Guilhem Savry, Jérôme Teiletche, Jeremy Gatto, Florian Ielpo, Olivier Marciot

En l’espace de quelques semaines, le sentiment des marchés a considérablement changé. D’un monde de croissance synchronisé source d’une faible incertitude macro, nous sommes passés à une situation où davantage de disparités inter-pays se sont fait jour. D’un monde dans lequel les chiffres d’inflation ne cessaient de décevoir les anticipations, les récentes enquêtes et les derniers chiffres d’inflation ont plutôt égalé voire dépassé les attentes.

D’un monde de liquidité abondante, les marchés connaissent actuellement un assèchement de cette dernière, tel que souligné par la montée des Ted spreads. Enfin, d’un monde de complaisance extrême vis-à-vis de la valorisation des marchés action, il apparait clairement aujourd’hui que la prudence reste de mise. Si le mois de février aura marqué un retour du risque, le mois de mars traduit à notre sens un sentiment nouveau: celui d’une montée de l’incertitude.

Avec Frank Knight (Risk, uncertainty and profit, 1921) la théorie économique opère une distinction intéressante entre risque et incertitude qui nous semble assez bien faire écho à la situation actuelle: on parle de risque lorsqu’un événement futur peut être «probabilisé» et d’incertitude quand ce n’est pas le cas. En atteignant quotidiennement 10 000 pas par jour, un humain fait baisser son risque d’accident cardio vasculaire: il ou elle fait décroitre sa probabilité d’avoir un accident cardiaque. L’incertitude reflète une situation pour laquelle il est impossible d’assigner ces mêmes probabilités ou même de connaitre ex ante le champ des possibles: le changement technologique fait peser sur le monde une incertitude. Si en février, la volatilité implicite des options sur actions s’est envolée, c’est que les investisseurs révisaient leur compréhension des risques de pertes et de gains associés à leurs investissements. Leur demande de couverture accrue a ainsi conduit le VIX et d’autres indices de volatilité à s’envoler : du point de vue de Frank Knight, ce sont les symptômes d’un retour du risque.

Graphique 1 : Nowcaster de croissance et indice de diffusion (pourcentage de données en amélioration au sein des nowcasters). Source: Bloomberg, Unigestion.

Comme décrit dans le premier paragraphe, nous pensons que la situation actuelle est bien différente: c’est un retour de l’incertitude que l’on observe actuellement. Nos Nowcasters de croissance montrent aujourd’hui que le cycle ralentit depuis des niveaux très élevés, tel que présenté en Graphique 1: en dépit de cette évolution, le risque de récession reste faible. L’origine du problème réside davantage dans la divergence entre économies: selon nos indicateurs, le ralentissement est en effet plus visible en Europe qu’aux Etats-Unis, la zone pour laquelle les marchés semblent les moins confiants dans leur anticipation du futur de la politique monétaire. Cette récente divergence constitue un premier facteur d’incertitude. Ce ralentissement inégal survient de plus alors que le risque d’une surprise d’inflation demeure, là encore source d’incertitude. La combinaison de ces deux éléments laisse également planer une moindre visibilité – à ce stade marginale – vis-à-vis du futur des politiques monétaires.

Graphique 2: VIX vs. Ted spread (gauche) et Volatilité du VIX (VVIX) vs. Glissement annuel du Ted Spread. Source: Bloomberg, Unigestion.

Un autre élément clef dans ce panorama des incertitudes est l’élévation des Ted spreads aux Etats-Unis: lorsqu’une banque centrale entame un processus de normalisation, son action contraint mécaniquement la liquidité sur le marché interbancaire. Historiquement, une telle contraction s’accompagne d’une remontée de la volatilité – une réévaluation du risque – ainsi que d’un accroissement de la volatilité de la volatilité tel qu’illustré sur le Graphique 2. Le fait que la volatilité de la volatilité croisse est l’un des symptômes d’une montée de l’incertitude : le risque semble du point de vue des marchés plus difficile à mesurer aujourd’hui, plus incertain.

Enfin, le dernier facteur qui pèse probablement sur le moral des investisseurs est ce grand changement d’attitude vis-à-vis du marché action, de l’exubérance irrationnelle de ce début d’année vers une extrême prudence à présent. Notre ressenti à ce stade est qu’il semble plus difficile de forger un scénario de marché à présent: d’un côté, tel qu’illustré par le Graphique 3, la valorisation des actions reste à risque. Les taux de croissance des dividendes semblent éloignés des moyennes historiques. Pour autant, la croissance mondiale reste bonne: une croissance négative des earnings cette année reste assez improbable: l’incertitude réside ici dans le fait que la balance entre les facteurs positifs et négatifs semble bien plus équilibrée que de par le passé. Le «range trading» récent est le parfait reflet de cet état de fait: une incertitude accrue pèse sur les marchés aujourd’hui.

Notre positionnement, en accord avec notre compréhension de la situation économique, a été considérablement neutralisé, notamment pour ce qui de l’univers action. La prudence reste donc de mise, même si à plus long terme nous continuons de penser que nos thèmes de croissance et de surprise d’inflation devraient reprendre leurs droits.

Graphique 3 : croissance des dividendes attendue en 2018 / long terme implicite dans le prix des indices actions vs. Moyenne 2006-2017 de la croissance réalisée des dividendes. Source: Bloomberg, Unigestion