La note macro de Nicolas Blanc, Responsable de l’Allocation chez Ellipsis AM.

La baisse des taux souverains aux US, qui a débuté avec les craintes de ralentissement l’année dernière, et que le retournement de la politique de la Fed cette année a amplifiée, a engendré brièvement une configuration inversée entre le 3 mois et le 10 ans. Ce seuil, au fort impact psychologique, est vu par certains augures comme le présage d’une récession prochaine. Du point de vue d’un allocataire, il nous semble qu’il faut le considérer avec prudence.

• Le choix du 0 comme niveau d’alerte ne correspond bien sûr à aucun seuil économique. Selon les maturités que l’on retient, il peut se trouver franchi ou non. La probabilité d’une récession que la pente de la courbe prévoit, croît continûment lorsque celle-ci diminue. Elle se situe effectivement aujourd’hui à un niveau élevé, ce qui devrait pousser un allocataire à écarter les actifs risqués, exposés à la croissance. Mais elle était déjà élevée en début d’année (elle est passée de 0,22 à 0,25 sur le premier trimestre) et les actifs risqués ont réalisé depuis une performance spectaculaire.

• La logique économique qui sous-tend la prédiction apportée par la pente de la courbe est qu’elle constituerait une anticipation par les marchés du contexte de taux futur, et donc de l’activité future. Mais les anticipations les plus précises que l’on peut tirer de la courbe des taux sont les taux forward. Or, ceux-ci n’évoluent pas en ce moment dans le même sens que la pente de la courbe (ils dépendent de de la pente et des niveaux) et ils n’apparaissent pas aujourd’hui à un niveau particulièrement bas (environ 2,5% pour le 8 ans dans 2 ans).

• Bien qu’elle semble évidente sur des représentations graphiques, la précision statistique de la prévision des récessions par la pente est, selon nos calculs, assez faible. Il faut considérer un horizon futur de 18 mois au moins pour avoir une significativité du modèle supérieure à 5%. Le niveau actuel de la probabilité est à 0,25 mais elle est en moyenne à 0,17. On voit, là aussi, qu’il est difficile de prendre des décisions d’allocation sur la base de signaux statistiques aussi «faibles».

• La persistance du pouvoir prédictif du modèle est enfin discutable. Sur les 50 dernières années, l’inflation a joué un rôle déterminant dans la plupart des récessions. En fin de cycle, les banques centrales ont été contraintes de réagir aux tensions naissant sur les facteurs de production et ont précipité l’économie en récession. Or, dans le cycle actuel, la résorption des capacités excédentaires n’a engendré nulle part des hausses de l’inflation. On peut également avancer que, avec la taille des programmes d’achats d’actifs souverains par les banques centrales, la formation des taux longs a évolué et ne reflète probablement plus les anticipations de la même manière qu’avant. Ceci est particulièrement évident au Japon, où les taux longs sont directement encadrés par la BoJ. On voit donc que les forces qui régissent les segments courts et longs de la courbe ont évolué sur le long-terme et qu’il est hasardeux d’attribuer à la pente de la courbe un pouvoir explicatif inchangé.

Brexit: la peur change de camp

Il est surprenant d’entendre les commentaires officiels européens faisant état d’un risque extrême de hard Brexit à court-terme. En effet:

  • face à son incapacité à faire avancer le dossier aux Communes, Mme May a demandé une extension;
  • le Parlement a voté pour le lui imposer dans tous les cas;
  • l’UE semble disposée à accéder à cette demande (car Mme May préparera les élections européennes, dans l’espoir toutefois de ne pas avoir à les tenir) et devrait préférer un délai long.

En cas de persistance du blocage, c’est plutôt le risque d’un «no Brexit at all» qui prend clairement le pas sur le «no deal», ce qui va d’ailleurs peut-être amener les Brexiteers radicaux à un compromis.