Lors des périodes de marchés haussiers, les investisseurs aiment s’identifier à quelques titres phares. C’est le cas de Tesla, capable de déchainer les passions même autour d’une bûche de Noël.

Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank

 

A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’action Tesla rime avec 666: le cours du titre a dépassé le niveau des 600 dollars, le titre est en hausse de 600% depuis le début de l’année et la capitalisation boursière se traite désormais aux alentours des 600 milliards. Le chiffre du démon va-t-il porter malheur à Tesla? Rien n’est moins sûr. En effet, les «Bull» continuent de croire au potentiel de hausse du titre. Mais les «Bear» interprètent ces chiffres comme un signe que la fin de règne est proche.

Ci-dessous, nous nous essayons à une revue des principaux arguments mis en avant par les deux camps dans ce débat passionnel et passionné.

Tesla, symbole de disruption technologique.

L’entreprise Tesla surfe sur la vague du marché des voitures électriques, qui sont appelées à remplacer les véhicules traditionnels d’ici à 2030, en tout cas dans certains pays. Aux Etats-Unis, la marque Tesla est considérée comme étant à la pointe de l’innovation sur ce segment en tant que seul constructeur exclusivement dédié aux voitures électriques. Alors que les grandes marques automobiles rentrent progressivement sur l’électrique, elles ne le font pour l’instant qu’à travers certains modèles. Tesla devrait dès lors continuer à bénéficier de son avantage de premier entrant sur ce marché, notamment grâce aux synergies développées sur les batteries électriques suite à la fusion avec Solar City. La société dirigée par Elon Musk a su s’améliorer de manière constante depuis sa création, autant au niveau de sa technologie que dans ses processus de production.

Tesla peut également bénéficier d’économies d’échelles via son modèle diversifié qui regroupe à la fois les véhicules privés et les taxis/VTC. Cette verticalité du modèle d’affaire devrait encore se renforcer avec l’arrivée du système de conduite autonome, une fonctionnalité qui permettra à Tesla de développer sa propre flotte de taxi.

Les «Bear» ne voient pas les choses ainsi. Certes, Tesla a été un précurseur dans l’électrique mais l’avenir pourrait s’avérer beaucoup plus compliqué. La concurrence devrait être exacerbée, non seulement sur le marché américain avec une montée en puissance de la production des fabricants traditionnels, mais surtout en Chine où des centaines d’entreprises locales sont en train d’entrer sur le marché.

La croissance actuelle de Tesla est alimentée par le lancement de nouveaux modèles et de nouvelles usines mais masque la réalité des ventes de produits «matures» qui sont en déclin dans la plupart des pays développés. Le principal modèle de Tesla, le modèle 3, est même en baisse de plus de 10% par an partout dans le monde sauf en Chine. D’autre part, Tesla continue à faire face à des problèmes de taille de ses capacités de production.

Concernant la conduite autonome, des aspects réglementaires pourraient constituer une barrière à ce système de conduite, notamment sous une administration Biden. D’autre part, plusieurs études montrent que Tesla est en retard sur ses compétiteurs. Ainsi, selon Guidehouse 2020 AV, c’est Waymo, la filiale d’Alphabet, qui est la mieux classée sur la technologie de véhicule autonome (AV) et ce depuis plusieurs années. Tesla apparait en bas du classement, derrière Ford et General Motors et ne figurent même pas dans le top 10.

Alors que Tesla est perçue comme une entreprise à la pointe de l’innovation et disruptive pour le secteur automobile, sa domination sur les véhicules autonomes est loin d’être avérée. Cette faiblesse pourrait constituer un véritable handicap pour la croissance de la société dans le futur.

Un icone de la transition énergétique.

Comme indiqué en introduction, Tesla s’est apprécié de plus de 600% cette année. Une partie des achats sur le titre provient de l’intérêt porté par les investisseurs pour les titres dits «responsables». En effet, Tesla est le porte-drapeau non seulement des véhicules électriques, mais aussi d’un nouvel «agenda vert», qui promet de transformer radicalement le secteur automobile traditionnel et, par extension, l’industrie pétrolière et gazière.

Par le jeu des flux de fonds vers les investissements responsables et grâce à son statut de porte-drapeau, la valorisation de Tesla s’est envolée et dépasse désormais les 600 milliards de dollars, soit davantage que l’ensemble de l’industrie automobile européenne ou Berkshire Hathaway, la société holding de Warren Buffet. Comme nous le verrons ci-après, d’autres facteurs expliquent ces hauts niveaux d’évaluation. Mais il est fort probable qu’une prime «verte» très élevée soit inclue dans le prix.

la valeur de marché de Tesla dépasse désormais celle de l’intégralité de l’industrie européenne
Source : Bloomberg

Les bénéfices sont (enfin) au rendez-vous

Tesla a toujours été perçue comme une société de croissance. Avec plus de 500,000 voitures vendues cette année, la production de Tesla est en hausse de 36% par rapport en 2019. Cette production devrait encore s’accélérer en 2021 avec 867,000 unités espérées, soit une hausse de 73%. Cette croissance se reflète désormais sur la dernière ligne du compte de résultat puisque Tesla a publié cinq bénéfices trimestriels successifs, la qualifiant pour une entrée dans l’indice S&P 500.

Elon Musk avait insisté ces dernières années sur les objectifs financiers suivant: la rentabilité, la génération de «cash flows» positifs, l’augmentation des fonds propres (cf graphique ci-dessous) afin de réduire l’endettement de l’entreprise et de ce fait consolider le bilan.

Le fait de sortir des chiffres rouges permet à Tesla de rentrer dans un cercle vertueux : l’accès aux liquidités permet d’augmenter les capacités de production, et de ce fait les revenus et bénéfices, ce qui génère encore davantage de liquidités disponibles pour son expansion, etc.

Nombre de titres Tesla en circulation (chiffres trimestriels)

En 2020, le titre Tesla a clairement bénéficié des bonnes nouvelles en terme d’expansion des capacités: l’arrivée du modèle Y, l’accélération de la production dans sa «Gigafactory» de Shanghai ainsi que dans les usines de Berlin en Allemagne et d’Austin au Texas. Ces deux dernières sont plutôt en retard dans la montée en puissance de la production mais devraient être un des éléments moteurs de la croissance en 2021. En effet, pour que le Modèle 3 devienne un véritable véhicule grand public, les usines doivent être en mesure de délivrer le jour où la demande et les infrastructures de recharge seront prêtes, soit bien avant l’échéance de 2030 que certains pays tels que le Royaume-Uni ont fixé comme date de péremption pour les véhicules à essence et diesel.

Mais pour les “Bear”, ce cercle vertueux peut à tout moment se transformer en cercle vicieux. En effet, une chute de l’action mettrait à mal la capacité de Tesla à se refinancer à bas prix et remettrait en question la hausse des capacités de production et de ce fait la rentabilité de l’entreprise. Ce lien entre cours du titre et perspectives bénéficiaires renforce à coup sûr le facteur «momentum» du titre Tesla.

Un nouvel élan avec l’inclusion dans l’indice S&P 500

Un des principaux développements du mois passé est l’annonce par S&P Dow Jones de l’inclusion du titre Tesla dans l’indice S&P 500 en décembre.

L’inclusion du titre était déjà à l’ordre du jour au mois de septembre. Mais la décision avait été repoussée malgré le fait que le fabricant de véhicules électriques ait rempli les critères de 4 trimestres consécutifs de bénéfices. La forte volatilité du titre était alors la raison invoquée pour la non-inclusion du titre. Mais suite à un 5ème trimestre consécutif de profits, il a finalement été décidé que Tesla fera bel et bien parti du S&P 500, ce qui obligera de nombreux instruments répliquant les indices (par exemple les ETF) à acheter le titre. Gageons que de nombreux fonds gérés de manière active feront de même.

Dès son entrée, Tesla sera l’une des plus grosses capitalisations boursières du S&P 500 et fera probablement partie du «Top 10» avec une pondération proche de 1%. C’est d’ailleurs la première fois qu’une entreprise de cette taille fait son entrée dans l’indice, incitant S&P Dow Jones à planifier une inclusion en deux étapes: une première tranche au 14 décembre et une deuxième au 21 décembre.

L’annonce a été accueillie avec enthousiasme par les investisseurs. En effet, le consensus pense que cette nouvelle aura un effet positif sur le cours de titre dans les mois qui viennent.

Rappelons que le monde académique (Famas) avait identifié dès 1970 le phénomène de hausse d’un titre suite à son entrée dans un indice comme l’une des rares «anomalies» de marché. Des études approfondies concluent que l’inclusion dans l’indice a un effet court terme positif sur la performance du titre mais que cet effet s’estompe après une année.

Autre élément important mis en avant dans cette étude: alors que les gérants de portefeuilles pouvaient «exploiter» cette anomalie de marché avec un certain succès dans le passé, il semblerait que cette inefficience soit en train de disparaitre. En effet, les investisseurs–mieux informés–ont tendance à fortement anticiper les effets positifs liés à l’inclusion.

C’est potentiellement le cas du titre Tesla. En effet, une cohorte d’investisseurs a accumulé des titres ces derniers mois afin de pouvoir un jour revendre leurs positions à un prix nettement plus hauts aux fonds qui répliquent les indices (et donc dans l’obligation d’acheter le titre lorsqu’il en fera partie).

Le principal argument des «Bear»: le prix

Il est donc tout à fait possible que l’ensemble des bonnes nouvelles soit déjà intégré dans le prix (voir même davantage). Rappelons par exemple qu’avec une capitalisation boursière proche de $600 milliards, le titre Tesla se traite à plus de 20 fois les ventes et 1,200 fois les bénéfices. Avec 3% de parts du marché des voitures pour les particuliers (18% dans l’électrique), la capitalisation boursière de Tesla est supérieure à celles de Toyota, Volkswagen, Ford, Honda, Nissan/Renault et Hyundai cumulées, alors même que ces 6 groupes détiennent environ 40% des parts du marché automobile. Tesla pourrait perdre 90% de sa capitalisation boursière et serait toujours évalué à 60 milliards de dollars, ce qui resterait supérieur à Ford et GM aujourd’hui …

Les investisseurs doivent garder en tête que les perspectives de croissance liées au potentiel de la voiture autonome sont peut-être surestimées. Un élément–et de taille–participe à l’engouement des investisseurs pour Tesla: il s’agit de l’effet Elon Musk.

Avec lui, pas besoin de grands spots publicitaires à la télévision. Le charisme d’Elon Musk en fait le meilleur «influencer» de la marque et de nombreux investisseurs sont conquis par sa vision. Pour de nombreux «Bear», dont fait partie le «Big short» Michel Burry, Elon Musk est l’élément moteur de l’effet bulle sur Tesla.

L’avenir nous dira qui des «Bear» ou des «Bull» avaient raison. Pour l’instant, Tesla a fait de nombreux heureux chez les épargnants alors que la plupart des shorts ont dû se résoudre à clôturer leurs positions…

 

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