Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, les analyses et arguments étaient extrêmement partagés au sujet des pays émergents. Et en règle générale, les vues négatives l’emportaient.

D’un côté, beaucoup convenaient que macroéconomie et fondamentaux microéconomiques étaient en passe de s’améliorer, et que 2017 réserverait des surprises positives. De l’autre côté, les menaces de “représailles” commerciales vis-à-vis d’un certain nombre de pays émergents justifiaient la plus grande prudence.

Bien que malaimées fin 2016 et début 2017, actions et dettes émergentes affichent, au 15 mars, parmi les meilleures performances de leurs classes d’actifs avec respectivement 8.8% et 1.8% (en euros).


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Où en sommes-nous actuellement dans la confrontation des arguments ?

 

Des perspectives macroéconomiques améliorées, malgré une grande hétérogénéité

Pour la première fois depuis quelques années, les anticipations de croissance pour les BRICS1 ont été revues à la hausse, à 5.4% pour 2017-une nette hausse par rapport à 2016 où elles avaient atteint 4.8%.

Le Brésil et la Russie, qui sortent actuellement de récession, sont les principaux contributeurs à ce changement. Notons également que la démonétisation de l’économie indienne n’a pas eu les effets désastreux attendus et que la macroéconomie locale a surpris positivement.

En termes d’inflation, la différenciation l’emporte sur l’homogénéité. Elle poursuit sa décrue en Amérique Latine, alors qu’elle accélère en Asie, le rebond le plus marqué se constatant en Europe centrale et orientale. Le Mexique, l’Inde et la Russie font exception dans leurs régions respectives.

Si chacune des banques centrales agit en cohérence avec le cycle propre à l’économie locale, elles restent prudentes dans leur ensemble. Seul peut-être l’institut d’émission brésilien fait exception, avec une politique d’assouplissement marquée. Depuis que la décélération de l’inflation a été actée comme certaine et durable à l’automne dernier, le Selic2 a perdu 200 bps. Depuis 18 mois, ce mouvement accompagne une forte réduction du déficit courant ainsi qu’un ensemble de réformes visant à stabiliser puis réduire les déficits publics, y compris sur le long terme.

Le contexte macroéconomique a donc constitué un terreau favorable à de bonnes performances pour les dettes souveraines de ces pays. Encore fallait-il que les risques de guerres commerciales disparaissent ou, du moins, voient leurs probabilités d’occurrence fortement réduites.

 

Des choix clairs, dans l’ordre de priorité des réformes aux Etats-Unis, mais des ambiguïtés qui restent fortes

L’examen de l’ensemble des propositions de D. Trump au cours de sa campagne, notamment les réformes domestiques (fiscalité des entreprises US) et la politique commerciale agressive vis-à-vis de pays comme la Chine et le Mexique, avait mis en évidence la difficulté de mener l’ensemble de ses batailles simultanément. Aucun indice sur le planning de la future équipe présidentielle n’ayant été divulgué lors de la campagne. Aujourd’hui, quelques clarifications ont été apportées et la priorité semble avoir été donnée aux réformes domestiques.

Les spécialistes Républicains de la fiscalité préparent une réforme majeure comprenant une réduction du taux d’imposition des entreprises et, peut-être, des allègements fiscaux à l’exportation, des taxes à l’importation, une non-déductibilité des charges d’intérêts et la possibilité d’amortir sur un an les investissements productifs, l’ensemble devant rester proche de la neutralité fiscale. Autant dire, un chantier colossal, semé d’embuches.

Parallèlement, nous avons pu observer un certain nombre de signes d’apaisement entre les Etats-Unis et les partenaires commerciaux qui étaient visés au premier chef. En effet, on parle dorénavant d’ouverture de négociations avec le Mexique et le Canada, et non plus de décision unilatérale de sortie du NAFTA3. S’agissant de la Chine, il aurait été convenu d’entretenir des échanges réguliers, voire d’organiser une rencontre entre M. Xi et M. Trump.

Certains sujets de tension persistent entre les deux grandes puissances, comme en Mer Jaune ou à l’OMC. Mais, le scénario central est dorénavant celui d’un pacte de non agression et d’évitement d’une guerre commerciale. Sachant aussi qu’au regard des critères du Trésor américain, la Chine peut difficilement être désignée comme manipulatrice de son taux de change. Parallèlement, cette dernière s’efforce d’ailleurs de ne pas trop le déprécier. Ce qui est cohérent avec sa politique d’endiguement des flux sortants du pays.

Dans un certain nombre de pays, nous assistons également à une orientation positive du momentum politique. En Inde, par exemple, la victoire de M. Modi aux élections de l’Uttar Pradesh renforce nettement son pouvoir central et fait de lui le favori des prochaines élections générales. En revanche, les tensions ont rarement été aussi fortes avec le Pakistan. Au Brésil, M. Temer a entamé des réformes majeures, pour l’instant plutôt bien acceptées par le Congrès. En avril, une réforme du système de retraites sera proposée au vote, l’objectif étant de renforcer les finances publiques. Mais M. Temer n’est pas un président élu – il remplace Dilma Roussef – et sa légitimité est extrêmement fragile. En Corée, nombre d’investisseurs considèrent que la finalisation de «l’impeachment» de la Présidente et l’arrestation du CEO de Samsung étaient des signaux positifs en termes de gouvernance du pays et des Chaebols4. Concernant la Chine, nous ne sommes pas particulièrement inquiets. La perspective du 19ème Congrès du Parti cet automne va amener les autorités à limiter la volatilité de l’économie et de ses marchés financiers, tout en poursuivant le processus de destruction créatrice sectorielle.

 

Peut-être le début d’un retournement des indicateurs microéconomiques

L’évolution positive des risques liés au momentum politique a permis aux prix des actions des marchés émergents de retrouver leurs niveaux pré-élections US, avec quelques nuances d’un pays à l’autre. La plupart des indices locaux sont aujourd’hui valorisés à proximité de leurs plus hauts de ces 5 dernières années. Faut-il pour autant s’abstenir d’investir dans ces pays ?
Pas nécessairement si l’on considère que :

  • Ces pays sortent de 3 à 4 ans de «derating», pour de bonnes raisons d’ailleurs : forte hausse de l’endettement, détérioration des marges, évolution mitigée des ventes et des profits et peu d’améliorations côté gouvernance, si ce n’est la révélation de différents scandales de corruption (Brésil, Corée, Inde….).
  • Les niveaux de valorisation se situent nettement en deçà de ceux constatés dans les pays développés, notamment du point de vue du «Price/Book Value» (1.6 contre 2.3).

La poursuite de la hausse des actions émergentes passe donc par une reprise des résultats, une amélioration des bilans et de la gouvernance. Or, les trois derniers mois donnent des signaux positifs sur les marges, le taux d’endettement (par rapport à l’Ebitda), et les ventes. Et le (bon) traitement des actionnaires minoritaires est de plus en plus intégré par les équipes dirigeantes des entreprises de ces pays.

Ajoutons que les devises de la plupart des pays émergents restent sous évaluées, donc un attrait supplémentaire pour les investisseurs en euros ou en USD.

Pour conclure, quels sont les risques ? Un changement radical de la politique commerciale américaine constitue probablement le premier d’entre eux. Une rechute significative des prix du pétrole – et des métaux industriels – en est un autre. Et il va de soi que la perspective d’une récession aux Etats-Unis viendrait directement et significativement altérer la valeur des actifs de ces pays, crédit, dettes souveraines comme actions. Pour l’instant, pris séparément, nous n’affectons de probabilité importante à aucun de ces trois scénarios. Le risque majeur pourrait finalement être la combinaison «d’un peu des trois». Mais peut-on rester complètement à l’écart de marchés représentant 58% du PIB mondial (en PPP, 38% en USD courants), et un tiers de sa capitalisation boursière, selon la Banque Mondiale ?

 


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(1) Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud
(2) Taux de base monétaire brésilien
(3) Accord de libre-échange nord-américain
(4) Consortium d’entreprises, en Corée, de secteurs variés, entretenant entre elles des participations croisées.