Les banques centrales affrontent la récession causée par la pandémie de Covid-19 et les turbulences des marchés à l'aide de programmes d’achats d’actifs de plus en plus massifs. La taille de leurs bilans ne cesse de battre de nouveaux records. Mais tous ces achats sont-ils véritablement nécessaires?

Par Dr. Volker Schmidt, Senior Portfolio Manager

Les banques centrales ont-elles même un plan pour mettre un terme à l’expansion continue de ces programmes d’achats? Une solution consisterait à appliquer un contrôle sur la courbe des taux au lieu d’investir des sommes considérables pour acheter des obligations, comme c’est le cas jusqu’à présent. Avec une telle approche, non seulement les banques centrales déterminent les taux d’intérêt à court terme fixés administrativement par leur politique monétaire, mais en plus, elles cherchent à limiter les rendements de la courbe des emprunts d’État.

On en trouve des exemples au Japon et en Australie, mais aussi aux États-Unis. Depuis 2016 déjà, la Banque du Japon a abandonné ses programmes d’achats d’obligations au profit d’une politique de contrôle des taux. Les taux directeurs des dépôts des banques commerciales auprès de la banque centrale ont été fixés à -0,1 %. En outre, la Banque du Japon fait en sorte de maintenir les rendements à 10 ans des emprunts d’État nippons dans une fourchette étroite, comprise entre -0,2 % et +0,2 %. En Australie, la banque centrale a adopté des mesures similaires depuis le mois de mars. Le taux des crédits interbancaires au jour le jour a été réduit à 0,25 %, tandis que la Banque centrale australienne limite les rendements à 3 ans des emprunts d’État australiens à 0,25 % par le biais d’achats sur le marché secondaire. Elle cherche ainsi à maintenir à un niveau faible les coûts de refinancement pour l’ensemble de l’économie. Par le passé, même la Réserve fédérale américaine a déjà expérimenté ce type de politique. Dans les années 40, elle a contrôlé de cette manière la totalité de la courbe des taux des bons du Trésor, aidant le gouvernement à bénéficier d’un faible coût pour financer la guerre.

Politique de contrôle de la courbe des taux: la plus avisée?

Un contrôle efficace de la courbe des taux suppose naturellement que la banque centrale qui le pratique dispose de moyens suffisants à sa disposition pour mener à bien un tel projet. Au Japon, par exemple, depuis l’instauration des contrôles de la courbe des taux, ceux-ci ne sont descendus en-dessous de la fourchette déterminée qu’à une seule occasion, à l’automne 2019. La Banque du Japon détenant maintenant la majeure partie des emprunts d’État japonais à 10 ans (88%, selon les calculs de HSBC), il ne fait aucun doute qu’elle est en mesure d’exercer un contrôle efficace des taux d’intérêt. Si les rendements s’effondrent, la banque centrale peut alléger ses propres positions. D’autre part, les pressions à la vente ne peuvent jamais être fortes au point d’obliger la banque centrale à intervenir massivement sur le marché. De plus, les achats d’emprunts d’État effectués par la Banque du Japon dans la crise actuelle sont nettement inférieurs à ceux des autres banques centrales, ce qui constitue un autre avantage de la politique de contrôle de la courbe des taux. En effet, les achats mensuels d’emprunts d’État nippons, qui représentaient environ 10 000 milliards de yens en 2016, s’élèvent actuellement à environ 5’000 milliards de yens. Cela tient au fait que la Banque du Japon a déjà acheté d’énormes volumes d’obligations d’État japonaises ces quatre dernières années, ce grâce à quoi elle est actuellement en mesure de contrôler (pour ne pas dire manipuler) la courbe des taux. Elle n’a donc plus besoin de continuer à dépenser de grosses sommes pour maintenir les rendements au niveau souhaité.

Toutefois, les questions de la viabilité et des conséquences à plus long terme se doivent d’être posées, comme pour les autres politiques monétaires. Cette approche incite-t-elle vraiment les entreprises à investir? Une hausse de l’inflation est-elle à prévoir, et un désendettement de l’État est-il possible? L’exemple du Japon montre que grâce à cette politique, les pouvoirs publics peuvent emprunter à faible taux et ainsi soutenir la consommation ou les investissements. De plus, jusqu’à présent, elle n’a pas entraîné de flambée de l’inflation dans le pays ni d’allègement de la dette publique. En revanche, l’abandon d’une telle politique ne peut fonctionner que si les investisseurs sont prêts à racheter les obligations détenues par la Banque du Japon. Au niveau actuel des rendements, ce scénario ne pourrait avoir lieu que sous la contrainte ou en l’absence d’alternatives plus intéressantes.

Une étude récente de la Fed de New York¹, publiée cette année, a analysé le contrôle de la courbe des taux pratiqué par la Réserve fédérale en collaboration avec le ministère américain des Finances entre 1940 et 1945. À cette époque, cette politique a déterminé les taux d’intérêt des bons du Trésor pour les échéances comprises entre 13 semaines et 30 ans, et des achats et des ventes ont permis de maintenir continuellement les rendements juste en-dessous des niveaux fixés. Cette étude creuse notamment la question de savoir s’il était vraiment judicieux de faire le choix d’une courbe des taux ascendante ou s’il aurait été plus avisé d’opter pour une courbe plate. Ses auteurs s’interrogent également sur la meilleure manière de mettre un terme à une telle politique. Quelles que soient les conclusions que la Fed en tire pour sa future politique de taux, une chose est sûre : aujourd’hui, la banque centrale n’aurait aucune difficulté à contrôler la courbe des rendements à long terme. Au cours des quatre premiers mois de cette année, les États-Unis ont émis près de 200 milliards de dollars de nouveaux bons du Trésor d’une échéance de 10 ans ou plus. Depuis mars uniquement, la Fed a déjà acheté pour plus de 1’500 milliards de dollars d’emprunts d’État. Si ces achats ont été explicitement concentrés sur la partie longue de la courbe, il devait alors être facile de limiter une éventuelle hausse des rendements.

Contrôle des courbes de taux: pas de remède miracle!

Le contrôle de la courbe des taux ne peut être efficace que si, d’une part, la banque centrale est autorisée à acheter des emprunts d’État dans des proportions arbitraires, et d’autre part qu’elle dispose de suffisamment d’emprunts d’État pour pouvoir les revendre en cas de menace de baisse des rendements. La politique de contrôle des taux n’est donc possible à mettre en place que si des achats d’emprunts d’État ont eu lieu en grande quantité au préalable. Ainsi, les banques centrales disposent d’une flexibilité un peu plus grande et peuvent suspendre leurs achats lorsque la demande des investisseurs est forte. Elles ne sont donc pas obligées de s’en tenir obstinément à un rythme et à des volumes d’achats prédéfinis. Enfin, les programmes d’achats d’obligations, tout comme la politique de contrôle des courbes de taux, ont pour objectif de faciliter le refinancement de déficits publics de plus en plus importants à des taux d’intérêt raisonnables. En cas de creusement supplémentaire des déficits nationaux, une politique de contrôle des taux ne pourrait pas non plus éviter de nouveaux achats. Elle ne représente donc pas une véritable alternative.

 

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