«Tout se presse après l’or. De l’or tout dépend! Ah, pauvres que nous sommes!»

Source : Goethe, Faust. Première partie de la tragédie, 1808. Le soir, Marguerite seule

 

Par Michael Blümke, CFA, CAIA, Senior Portfolio Manager

Même si cette citation peut sembler hors contexte, elle est en fait plus que jamais d’actualité dans le contexte de politique monétaire actuelle des grandes banques centrales. Au cours des deux dernières années, rares ont été les classes d’actifs à enregistrer de meilleures performances que l’or et à tant faire parler d’elles. Quels sont les moteurs du prix de l’or? La correction actuelle depuis des sommets historiques représente-t-elle vraiment une opportunité d’achat?

Avant de répondre à ces questions, nous aimerions vous présenter plus en détail ce métal précieux et son histoire. L’or est notamment prisé à cause de sa résistance contre la corrosion et l’oxydation. On attribue la découverte des premières pépites d’or à des ouvriers égyptiens environ 6000 ans avant J-C. Alors que les débuts de l’exploitation aurifère remonteraient à l’époque chalcolithique, les premiers objets en or trouvés en Europe centrale seraient datés d’environ 2000 ans avant J-C. Avant d’être utilisé sous forme métallique comme moyen de paiement pendant des millénaires dans différentes civilisations, l’or a d’abord été transformé dans quasiment toutes les régions du monde afin de servir à la fabrication d’idoles religieuses. Jusqu’en 1971, date de la fin de l’«étalon-or» à l’initiative des États-Unis, le métal précieux servait même de base à la valeur du dollar américain. Fait intéressant, et non sans importance pour son évaluation actuelle, pendant 40 ans et jusqu’en 1974, il était interdit de détenir de l’or aux États-Unis. La quantité d’or exploitable à l’échelle de la planète est estimée à près de 250 000 tonnes¹. Jusqu’à présent, 198 000 tonnes ont déjà été extraites. Fondu ensemble, cela représenterait un cube de 21,7 mètres de côté, soit une valeur de 12 100 milliards USD au prix de 1 890 USD l’once (31,103 g) du 30 septembre 2020. À titre de comparaison : le même ordre de grandeur que l’accroissement cumulé des bilans de la Fed et de la BCE ces 12 dernières années, qui a représenté environ 12 000 milliards USD. Les utilisations actuelles de l’or sont illustrées dans le graphique 1 ci-dessous.

Graphique 1 : Types d’utilisations de l’or

Il est évident que l’or ne génère aucun flux de trésorerie et n’offre aucun avantage mesurable. Son stockage comporte même des coûts (donc des flux de trésorerie négatifs). Par conséquent, que l’or soit considéré comme une monnaie, une matière première, une classe d’actifs ou un bijou/bien de consommation, il n’existe actuellement aucun modèle permettant d’établir de manière théorique sa valeur intrinsèque. Comme on peut s’y attendre, cet aspect est une des principales critiques de ses opposants et constitue effectivement un inconvénient. Toutefois, tant que sa fonction de valeur-refuge ne sera pas contestée, l’or a forcément une valeur. L’avantage de l’or par rapport à la monnaie fiduciaire, comme moyen d’échange et valeur-refuge alternative, réside tout simplement dans la limite du stock disponible. Contrairement à la monnaie classique, l’or ne peut pas être imprimé.

Alors comment le prix de l’or est-il déterminé? Pour évaluer les prix de l’or, il est indispensable de considérer l’équilibre historique entre l’offre et la demande. Les deux graphiques ci-dessous montrent bien que: 1) au cours des dernières années, l’offre a été relativement stable et 2) les fluctuations relatives de la demande des investisseurs et des banques centrales sont devenues de plus en plus marquées.

Graphique 2 – Offre d’or

Graphique 3 – Demande d’or

Étant donné qu’une modification importante de l’offre est improbable, celle-ci étant conditionnée par les capacités réellement disponibles des mines d’or, il faut s’attendre à des déséquilibres durables entre l’offre et la demande, en particulier du côté de la demande, et plus précisément de celle des investisseurs.

Nous en venons donc à la question : quels sont les facteurs dont dépendent la demande des investisseurs, et par conséquent le prix de l’or ? La corrélation la plus manifeste, laquelle s’explique par ailleurs très plausiblement, est la dépendance entre le prix de l’or et le niveau des taux réels2. Cette corrélation est bien visible dans le graphique ci-dessous.

Graphique 4 – Prix de l’or et rendement des obligations américaines liées à l’inflation

Les raisons en sont les suivantes

Quand les intervenants de marché sont assez nombreux pour reconnaître à l’or ses caractéristiques de valeur-refuge et sa fonction de moyen d’échange, dans des conditions de libre-échange et détention, l’or peut être considéré comme une alternative valable à la monnaie-papier. Dit plus simplement, le pouvoir d’achat de la monnaie dépend du niveau des taux nominaux après déduction de l’inflation, autrement dit des taux réels. Dans la mesure où cette relation ne vaut pas pour le « pouvoir d’achat » de l’or, le prix de ce dernier (mesuré en monnaie-papier) doit être inversement proportionnel aux taux réels. La transposition de ce rapport théorique revient donc à l’ensemble des investisseurs, qui déterminent le prix de l’or en pesant continuellement l’attrait relatif entre la monnaie et l’or au travers de leurs échanges commerciaux.

Pour répondre à la question de l’évolution future du prix de l’or, il est donc important de prêter attention à la tendance des taux réels. Nous savons qu’en principe, la monnaie-papier est contrôlée par des banques centrales indépendantes, contre la promesse de garantir une relative stabilité des prix. Sans faire débat ici de la question sur la confiance envers les banques centrales (ce qui sera vraisemblablement de plus en plus le cas à l’avenir), il convient de se demander sous un angle critique comment cette promesse de stabilité des prix pourra être tenue à l’avenir. Compte tenu de perspectives de croissance inférieures à la moyenne et des inconvénients politiques des programmes de rigueur ou de hausses d’impôts, la plupart des États sont confrontés à un déficit chronique de leurs finances publiques. Entre temps, les plans budgétaires déployés pour lutter contre la crise de la Covid-19 représentent une nouvelle surenchère dans une spirale qui porte le volume mondial des emprunts d’État à un niveau impossible à tenir sans taux nominaux historiquement faibles et sans la monétisation des dettes publiques (achat d’emprunts d’État par les banques centrales). Les banques centrales ayant déclaré que les taux d’intérêt resteraient faibles pendant une période prolongée et sachant qu’il est presque certain que l’expansion rapide de la masse monétaire (voir Graphique 5) par le biais de la monétisation des dettes publiques aura des conséquences négatives sur l’inflation, il faut encore s’attendre à des taux réels en baisse au cours des prochaines années. Ce qui devrait clarifier la trajectoire des prix de l’or.

Graphique 5 – Croissance de la masse monétaire M2 aux États-Unis

Il est plus difficile de se prononcer en ce qui concerne le niveau absolu des prix. Si l’on considère que les mouvements susmentionnés mettent généralement du temps à prendre effet et que le prix de l’or a récemment atteint un nouveau sommet historique à cause des mesures massives de politique monétaire adoptées dans l’ensemble du monde, l’on peut également envisager des prix cibles nettement plus élevés. Les graphiques ci-dessous font ressortir deux informations. La première est que, durant le dernier rallye de l’or, les prix ont accusé des corrections de 25 % ou plus ; la seconde est que, même après une longue période de prix record, le cours de l’or a encore réussi à doubler, voire presque tripler. Naturellement, rien ne permet d’anticiper des mouvements du même ordre. Il serait plus juste de dire que le prix de l’or peut monter au-delà de ce qui est tenu pour possible actuellement. En particulier si l’on doit faire face à une très forte inflation.

Graphique 6 – Prix de l’or en USD

Des conclusions directes peuvent être tirées en matière d’allocation d’actifs pour nos fonds multi-actifs, et plus généralement pour les investisseurs. Une exposition à l’or calibrée en fonction de la tolérance au risque doit faire partie intégrante de l’allocation d’actifs, dans le cadre d’une opinion précise à l’égard des taux réels. Le constat selon lequel une corrélation élevée pouvait s’observer récemment entre les actions et le prix de l’or, nuisant ainsi à l’effet de diversification recherché, n’est pas dépourvu de sens à court terme mais n’a plus de pertinence dans une perspective plus éloignée. En principe, il est vrai que les deux classes d’actifs ont largement bénéficié de la baisse des taux l’an passé. Cette synchronisation se reflète en particulier dans la comparaison de leurs performances hebdomadaires respectives ces cinq dernières années (voir graphique 7).

Graphique 7 – Diagramme de dispersion des performances hebdomadaires de l’indice S&P500 et du prix de l’or

Bien qu’aucun lien ne se dégage sur l’ensemble de la période considérée, les points situés aux extrémités, qui correspondent tous à 2020, reflètent une corrélation élevée. Cette tendance ne représente toutefois pas la règle et ne peut pas être extrapolée de manière systématique. L’évolution de l’or se dissociera de celle des actions notamment dans le scénario, déjà évoqué plus haut, d’une forte poussée d’inflation (impossible à prévoir). Même chose en cas de chute des cours des actions causée par un autre facteur qu’un mouvement des taux. En prévision de ces situations, l’or est nécessaire en complément, voire en remplacement des actions.

Ce qui permet de revenir à la citation de Goethe: en ce moment, tout dépend vraiment de l’or. Pour conclure, n’oublions pas de mentionner que les Américains eux-mêmes ont jadis imprimé sur leurs «Gold Certificates»: «…payable au porteur en pièces d’or à sa demande.» Bien entendu, cette époque est révolue depuis longtemps et une toute autre phrase à la référence sur l’échange en pièces d’or serait inscrite de nos jours. Nous nous abstiendrons de tout commentaire.

 

Plus d’informations sur les fonds Ethna

 

¹ World Gold Council, www.gold.org [30.09.2020]
² Pour l’exprimer simplement, il est ici fait référence aux taux nominaux ajustés à l’inflation.