En 2022, malgré un choc historique sur son pouvoir d’achat, le consommateur américain a dépensé allègrement, et cela a continué ces derniers mois à un rythme toutefois plus modéré. Une explication de cet apparent paradoxe est qu’il disposait d’un important stock d’épargne accumulé durant la pandémie. On estime que cet excès d’épargne a diminué de moitié depuis son pic. Vu sa tendance actuelle, il serait plus ou moins épuisé au début 2024. Il n’est pas possible de combiner indéfiniment un faible taux d’épargne des ménages, une profitabilité des entreprises élevée avec un policy-mix restrictif dans un contexte de plein-emploi. Quelque chose doit céder.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2023.05.30.estimations de l'épargne excédentaire
US : estimations de l’épargne excédentaire

Les dépenses nominales de consommation des ménages ont augmenté de 7.3% sur un an au T1 2023, plus de trois points au-dessus de la tendance normale. Cet écart donne l’ampleur du choc d’inflation. Vu la baisse des salaires réels, il aurait dû y avoir un recul du volume de consommation. En fait, la consommation réelle ressort à +2.3% sur un an, en ligne avec le rythme prépandémie. Comment est-ce possible? La réponse est simple: les ménages ont désépargné et pouvait d’autant plus se le permettre que la pandémie a gonflé leurs liquidités. Où se situe désormais l’épargne excédentaire? Les estimations varient beaucoup selon qu’on examine les déviations des comptes de revenu ou des stocks d’actifs liquides. Dans le premier cas, l’épargne excédentaire serait un peu inférieure à un trillion (3.5% du PIB) depuis un pic à plus de deux. Dans la seconde approche, on serait à 2tr$ vs un pic à 4tr$. En somme, la moitié a été épuisée. En extrapolant les tendances, il n’y aurait plus d’épargne excédentaire d’ici neuf à douze mois (graphe).

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US : soldes financiers des agents (variations depuis 2019)

Ménages, entreprises et Etat ne peuvent pas tous épargner (désépargner) en même temps. Une fois épuisée l’épargne excédentaire, dans un scénario de retour sur des tendances soutenables, le consommateur devrait remonter son taux d’épargne, soit par la baisse de ses dépenses, soit par une progression soutenue des revenus du travail. Pour retrouver le taux d’épargne prépandémie, il faudrait ainsi une hausse des salaires de 5%, ce qui vu les parts des salaires et des profits dans la rémunération des facteurs, impliquerait une baisse des marges des entreprises de 20%. Cela aura des répercussions négative sur l’emploi. A la différence de 2020 et 2021, ce n’est pas le creusement du déficit fédéral qui rétablirait l’équilibre (graphe). Un durcissement de la politique budgétaire est plus probable, à la fois pour des raisons économiques (lutte contre l’inflation) et des raisons politiques (plafond de la dette). En somme, combiner un faible taux d’épargne des ménages et une profitabilité élevée n’est pas une situation durable. Les deux paramètres devront s’ajuster.

Economie

En avril, les ventes au détail ont augmenté de 0.4% m/m, après deux mois de recul. Le gain est de 0.7% m/m pour le « groupe de contrôle » qui met à part les dépenses les plus volatiles. Corrigées de l’effet-prix, les ventes au détail sont stagnantes depuis environ deux ans. Ce qui soutient la consommation totale, ce sont les dépenses de services, non les dépenses en biens. Mais l’épargne excédentaire fond.

En avril, la production industrielle a augmenté de 0.5% m/m, en partie grâce à une forte contribution du secteur automobile (+9.3% m/m).

En mai, le moral des constructeurs de maisons s’est repris pour le cinquième mois d’affilée. Il retrouve sa moyenne de longue période (50pts), effaçant 37% de la chute cumulée sur 2022. Les ventes de maisons neuves ont un profil assez similaire. Elles ont progressé six fois au cours des sept derniers mois (dont +4.1% m/m en avril) et ce faisant elles sont presque revenues au niveau précédant le boom de la pandémie. Certains attribuent la vigueur sur le marché du neuf à la morosité sur le marché de l’ancien, ce qui causerait un report de la demande d’un segment à l’autre. D’autres soulignent que les promoteurs sont plus enclins à consentir des baisses de prix que les propriétaires afin de ne pas avoir à financer le stock de maisons à vendre.

En mai, selon les enquêtes PMI, la divergence de sentiment s’est encore accrue entre le secteur manufacturier (-1.7pts à 48.5) et les services (+1.5pts à 55.1) pour atteindre un record historique, si l’on met à part les perturbations de la pandémie.

Il y a quelques semaines, les inscriptions au chômage avaient bondi, hausse due en large partie au seul état du Massachussetts touché par une affaire de fraude aux indemnités. Après révision, les inscriptions au chômage sont stables sont au plus bas depuis fin février. Encore une fausse alerte…

Politique monétaire et budgétaire

Les discussions entre Républicains et Démocrates ont patiné à la fin de la semaine passée avant de reprendre le 22 mai par une nouvelle rencontre entre le Speaker McCarthy et le président Joe Biden de retour du sommet du G7 au Japon. Le 24 mai, Fitch a placé le AAA des Etats-Unis sous surveillance négative. Chaque camp affirme vouloir s’entendre avant la date critique du 1er juin mais la pendule tourne, d’autant qu’il est prévu un délai de 72 heures pour laisser au Congrès le temps pour examiner un éventuel accord. Le principe de limiter la croissance des dépenses fédérales n’est plus rejeté par les Démocrates mais le point d’achoppement est la durée et l’ampleur de ces limites (Focus-US du 12 mai: « Un peu d’austérité budgétaire plutôt qu’un défaut« ). Les équipes de négociation ont apparemment réduit leurs divergences. Aux dernières nouvelles, un accord limitant les dépenses sur deux ans serait imminent.

Dans ce climat d’incertitude, les questions monétaires sont reléguées au second plan. Selon les minutes de la réunion du 3 mai (qui avait abouti à une hausse du taux directeur de 25pdb), le FOMC est devenu plus hésitant quant à ses actions futures. Les dernières données économiques étant mitigées, ni trop chaudes, ni trop froides, le champ des prévisions possibles est large. Le staff de la Fed prévoit une contraction modeste du PIB réel au T4 2023 et T1 2024 tandis que le FOMC est sur un scénario de freinage sans récession. Les délais de transmission des hausses de taux passées sont incertains, de même que les répercussion du stress bancaire.

Pour la réunion du FOMC du 14 juin, Christopher Waller du Board considère qu’il y a trois choix possibles. Le premier est de monter les taux directeurs. James Bullard de St.Louis, Neel Kashkari de Minneapolis, Lorie Logan de Dallas ont signalé qu’ils penchaient dans cette voie mais cela ne fait pas une majorité au FOMC. Les deux autres choix consistent à opter pour un statu quo, dans un cas en gardant un biais haussier, éventuellement pour la réunion du 27 juillet, et dans l’autre en signalant que c’est l’amorce d’une pause prolongée. Dans tous les cas, une baisse des taux ne semble toujours pas une éventualité sérieuse à court terme. Les taux implicites tirés des contrats futurs ou des swaps anticipent désormais une hausse des taux de 25pdb d’ici fin juillet, ce qui repousse la première baisse de taux à novembre. Ces gyrations incessantes (cela dure depuis Jackson Hole 2022) en disent plus sur les hésitations du marché que sur les incertitudes de la banque centrale.

A suivre cette semaine

L’agenda sera dominé par le rapport sur le marché du travail (le 2 juin). Le consensus attend un freinage du rythme des créations d’emploi (de +253k à +180K), une hausse du chômage de 3.4% à 3.5% et une modération des gains salariaux. Si tel est le cas, la Fed pourrait justifier de passer son tour en juin. On ne saurait omettre de rappeler que depuis dix mois environ ce rapport a toujours surpris par sa vigueur.

 

Sources : Thomson Reuters, ODDO BHF Securities