A première vue, la pandémie peut avoir des effets ambigus sur les prix de biens et services. Initialement, quand seule la Chine était à l’arrêt, on a pu redouter que les perturbations des chaînes de production causent une pénurie et une hausse des prix. Depuis que le confinement s’est généralisé, on observe surtout une spectaculaire chute de la demande (exemple, le pétrole). L’effet est fortement désinflationniste, avec le risque, si une remise en route n’intervient pas sans trop de délai, de glisser vers la déflation. La forte réponse monétaire et budgétaire vise à éviter ce scénario. Craindre un dérapage de l’inflation nous paraît infondé.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

US : inflation sous-jacente en biens et services

Au moment où les unes de journaux débordent de comparaison entre la crise actuelle et la Dépression des années 1930, qui est le mètre-étalon en matière de déflation, on entend ici et là des mises en garde sur le risque de dérapage de l’inflation que créerait l’assouplissement extraordinaire de la politique économique. Des prédictions du même type ont couru après la crise financière de 2008, quand ont été lancés les programmes de quantitative easing. L’expansion de la base monétaire était censée débaser la valeur du dollar, et par suite, les prix auraient dû s’emballer. Les faits, comme on sait, ont totalement contredit ces vues.

Comme quoi, il est préférable de ne pas appliquer un schéma monétariste (l’inflation est un phénomène monétaire) à une situation qui est on ne peut plus keynésienne (sous-emploi, rationnement du crédit). Le mois dernier, c’est-à-dire il y a une éternité, les États-Unis avaient un taux de chômage historiquement bas, sans que cela cause de tension sur les prix ou les salaires. Aujourd’hui, ils ont un chômage historiquement élevé ; ce n’est pas propice à une poussée de l’inflation.

US : sentiment des entreprises sur les prix

À court terme, la récession est d’une telle ampleur qu’elle va peser sur les prix. En mars, l’inflation sous-jacente baissait déjà à son rythme le plus rapide depuis 2010, sous l’influence du prix des biens et, à un degré moindre, du prix des services (graphe du haut). S’ajoute l’effondrement du prix du pétrole brut, au plus bas depuis 2002. Les anticipations de prix des entreprises s’affaissent aussi (graphe du bas). L’inflation pourrait passer en négatif d’ici peu, et cela pour une durée qui dépendra du rythme de réouverture de l’économie et du rebond de la demande.

Pendant ce temps, l’inflation va s’éloigner davantage de la cible de la Fed. Depuis 2012, le retard accumulé est de d’environ 4.5 points, on se dirige vers 6 points à la fin de l’année. Avant la pandémie, la Fed réfléchissait aux moyens de compenser ce retard, pour éviter que les anticipations d’inflation ne refluent durablement. Cet objectif est plus que jamais crucial. La revue de stratégie est oubliée pour le moment mais la Fed n’a pas besoin de cela pour savoir que sa priorité est de lutter contre le risque de déflation.

Politique monétaire et budgétaire

Même si l’attention générale est toute occupée par la crise sanitaire et par la crise économique qui en résulte, il y a aussi des répercussions dans le champ politique. La suspension de toutes les grandes réunions publiques a figé la campagne des primaires démocrates à un point où Joe Biden avait atteint une telle avance en termes de délégués que son concurrent Bernie Sanders ne pouvait plus espérer le rattraper. Le 13 avril, Sanders s’est rallié à la candidature de Biden, qui a aussi reçu les soutiens de Barack Obama dont il avait été le vice -président pendant huit ans et d’Elizabeth Warren. A 200 jours de l’élection présidentielle, le camp démocrate s’affiche beaucoup plus uni qu’il y a quatre ans.

Du côté républicain, le président Trump a compris que la crise actuelle pouvait lui coûter sa réélection. Primo, c’est l’exception (Coolidge, 1924) plutôt que la règle d’être réélu quand l’économie est en récession ou vient de connaître une récession. Secundo, le président sera sans doute jugé sur sa réponse à cette crise inédite. À court terme, les impératifs sanitaires (donner des moyens adéquats au système de santé) et les impératifs économiques (minimiser le choc sur les ménages et les entreprises) ne sont pas facilement conciliables. Le confinement permet en effet de freiner l’épidémie mais il implique une chute d’activité et de demande sans précédent. La question de la levée graduelle du confinement n’est pas tranchée. Elle oppose la Maison Blanche et les gouverneurs (démocrates) de nombreux états, ne serait-ce que pour savoir qui a l’autorité suprême pour en décider.

Victime de son succès, le programme de soutien des PME (Paycheck Protection Program) a atteint son plafond de 350Md$ le 16 avril. Il est à l’arrêt dans l’attente d’une rallonge budgétaire. Par ailleurs, divers bugs ont empêché l’IRS de verser l’aide gouvernementale pour des millions d’Américains qui y sont éligibles. Et dire que le Président Trump voulait voir son nom imprimé sur ces chèques!

A suivre cette semaine

L’indicateur le plus à même de suivre presque en temps réel l’évolution de l’économie réelle est le chiffre des initial claims (le 23 avril, pour la semaine close le 18). On attend confirmation que le pic est atteint en termes de flux. Mais sans levée du confinement, il n’y aucun chance que le stock commence à décroître. Par suite, aucune chance non plus que les indices de confiance des ménages interrompent leur chute (indice Bloomberg le 23, Université du Michigan le 24).

Pour une vue prospective, le point fort sera l’enquête flash de Markit auprès des directeurs d’achat (le 23). Vu le Livre Beige, les indices PMI ont un large potentiel de repli en avril. Ils étaient ressortis à 48.5 (manufacturier) et 39.8 (services) en mars, avec une correction bien moindre qu’observée en Europe.

 

Sources : Thomson Reuters, Oddo BHF Securities