A la mi-2020, les entreprises US sont entrées en phase de reprise avec des stocks bien trop bas par rapport à la demande, une situation tout à fait atypique après une récession. Depuis deux ans, elles reconstituent leurs stocks à un rythme effréné. Ce n’est pas soutenable si l’on pense que le consommateur est amené à modérer ses dépenses par suite du choc négatif sur ses revenus réels. Somme toute, c’est ce que veut la Fed: que la demande ralentisse pour que l’inflation se calme enfin. Vu l’affaiblissement récent des nouvelles commandes, le secteur manufacturier devra ajuster ses stocks. Idem dans le commerce de détail.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

2022.06.07.Cycle des stocks
US : le cycle des stocks dans deux crises (2008 / 2020)

Si les entreprises connaissaient parfaitement la demande qui leur sera adressée, elles pourraient planifier leur activité de sorte à n’être jamais ni en rupture de stocks, ni avec des stocks excédentaires. En réalité, la demande subit des chocs non ou mal anticipés. Dans une crise typique, les stocks s’ajustent avec retard à la demande et la reprise s’en trouve ralentie le temps de purger le surplus. En 2009, quand l’économie US a émergé de la crise financière, le ratio stocks/ventes dépassait de 12% son niveau pré-crise. Il a fallu près de dix-huit-mois pour revenir au point de départ. Dans la crise du Covid, au contraire, le redémarrage a été si fort et si rapide que les firmes se sont vite trouvées avec des stocks trop bas (graphe). Il leur a fallu accroître leur activité à la fois pour satisfaire la demande des ménages stimulée de tous côtés et pour retrouver des stocks plus normaux. Cette situation a favorisé le choc d’inflation. Offre contrainte, demande soutenue et stocks insuffisants pour combler l’écart offre-demande, rien de tel en effet pour alimenter les tensions sur les prix.

2022.06.07.Cycle des stocks en volume
US : le cycle des stocks par grands secteurs

La reconstitution des stocks a été rapide, mais jusque récemment elle était moindre que la progression des ventes. Sur les 42 branches détaillées par le Census Bureau, seuls deux ont réduit leurs stocks au cours des deux dernières années, l’habillement et surtout l’automobile (-29%), du fait de la pénurie de composants. Dans toutes les autres, la progression a largement dépassé les tendances pré-Covid, environ deux fois plus que la normale dans le secteur manufacturier, presque quatre fois plus dans le commerce de détail hors auto (graphe). A ce jour, le « consommateur-type » s’est plaint du choc d’inflation, d’où la faiblesse du moral des ménages, mais il a pu maintenir un bon rythme de dépenses car durant la pandémie il a accumulé de l’épargne, il a vu son patrimoine immobilier s’envoler et désormais il fait un usage intensif de ses cartes de crédit (voir Focus-US du 20 mai). Ce n’est pas une situation extrapolable sans limite. Il y a quelques signaux inquiétants dans le dernier Livre Beige de la Fed, confortant les profit warnings donnés récemment par plusieurs groupes de distribution. Le cycle des stocks pourrait donc entrer d’ici peu dans une phase d’ajustement pesant sur l’activité.

Economie

La grande majorité des indices de climat des affaires ont baissé en mai, de manière assez limitée dans les services et l’industrie, plus marquée dans la construction résidentielle (tableau). Toutefois, tous ces indices demeurent largement en territoire d’expansion. La confiance des ménages reste plombée à cause du choc d’inflation mais, pour autant, la consommation des ménages reste solide.

2022.06.07.Confidence survey

S’il y a quelques signes que la hausse des taux hypothécaires a commencé à peser sur la demande de logements, on n’observe à ce jour aucun impact négatif sur les prix des maisons qui continuent de monter à un rythme approchant 20% par an (tableau). Le repli des ventes de maisons est très fort sur le marché du neuf (-27% sur un an en avril) et, de ce fait, les promoteurs se retrouvent avec des inventaires élevés par rapport aux maisons à vendre (et d’abord à construire). Pour les maisons existantes, la situation est toute différente: les stocks représentent environ deux mois de vente, un record de faiblesse. La moyenne pré-Covid était d’environ quatre mois. Dans ces conditions, les tensions de prix peuvent perdurer.

2022.06.07.Housing market

Selon le Livre Beige recensant les conditions d’activité jusqu’au 23 mai, quatre des douze districts notent explicitement un ralentissement de la croissance. De plus, la moitié des districts disent que les consommateurs s’ajustent au choc de prix, soit en limitant leur volume de dépenses, soit y substituant des marques moins chères.

Politique monétaire et budgétaire

Ces derniers mois, les marchés retenaient surtout les propos les plus « hawkish » de membres du FOMC. James Bullard (St.Louis) était à l’honneur. De fait, la Fed s’est largement alignée sur ses positions en faveur d’une accélération des hausses de taux. Maintenant la question est de savoir si et quand la Fed montrera des signes d’apaisement. Le tout premier est venu de Raphael Bostic (Atlanta) disant qu’il envisagerait une pause dans la hausse des taux en septembre afin de voir comment l’économie réagit au resserrement monétaire (200bp anticipés en six mois). A ce jour, la proposition de M. Bostic n’a pas été reprise par d’autres membres du FOMC. Lui-même a précisé le 1 er juin qu’il ne s’agissait pas de réintroduire un « Fed put », comme certains ont pu le croire. La ligne générale à la Fed est de poursuivre les hausses au rythme de 50bp par réunion, comme l’a rappelé Christophe Waller (Board) le 30 mai, considérant que le marché du travail reste en surchauffe. Le 2 juin, Lael Brainard (Board) a elle aussi rejeté l’idée d’une pause.

A suivre cette semaine

Le chiffre-clé sera le CPI de mai (le 10) car tout le monde, des banquiers centraux aux investisseurs, est à la recherche de preuves montrant que l’inflation a passé son pic. Il y a des signes en ce sens mais le doute reste permis. En avril, le taux d’inflation avait baissé de 0.2pt mais cela tenait plus à une comparaison favorable avec la situation du printemps 2021 qu’à une modération des tensions présentes. De plus, ce repli est insignifiant au regard du niveau élevé du taux d’inflation (+8.3% sur un an pour le CPI, +6.2% pour le CPI-core). D’un mois à l’autre, il peut y avoir divers chocs ponctuels. En avril, les prix de l’essence avaient baissé (-6.7% m/m) mais depuis ils sont repartis à la hausse car la demande est soutenue tandis que les stocks de produits raffinés sont bas. A l’opposé, certains prix de services avaient bondi en réponse au reflux de la vague Omicron, par exemple les billets d’avion (+22% m/m). Cet effet-là sera absent en mai, ou en tout cas bien moindre. Vu la tension sur les prix de l’énergie, l’inflation totale ne devrait pas beaucoup baisser cette fois-ci (le consensus table sur +8.2%) mais un signal plus encourageant pourrait venir de l’inflation sous-jacente.

 

Sources : Thomson Reuters, Oddo BHF Securities