Si on ne savait pas qu’une pandémie mondiale avait causé le plus sévère choc connu en temps de paix, ce n’est pas dans les données sur les dépenses en bien ou les achats de logement des ménages américains qu’on le découvrirait. Un soutien fiscal ponctuel a aidé à surmonter le choc. Mais ce soutien est fini et l’on n’a pas (ou pas encore) de signes d’un affaissement à venir. La répartition du choc a son importance aussi. Les pertes d’emploi ont surtout touché les bas revenus, ce qui, en retour, a protégé la classe "moyenne". L’épargne forcée a bondi durant cette crise, elle peut servir à raffermir la reprise.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

En deux mois, sur mars et avril, le nombre d’emplois a chuté de 16% aux Etats-Unis. Quatre mois plus tard, il se situait encore 7% sous son niveau pré-crise. En 2009, même au pire moment, l’emploi n’était tombé que 6 pts sous son pic. A première vue, on aurait pu redouter que ce choc déprime durablement la demande des ménages. Ce n’est pas le cas. Leur consommation en biens et leur investissement immobilier sont très dynamiques. Cela contraste avec la crise financière de 2008. Il avait fallu attendre plus de quatre ans pour dépasser le précédent pic de consommation de biens. Quant au pic résidentiel de 2005, il tient toujours (il est vrai que c’était une bulle).

US : pertes d’emplois par niveau de revenu, 2008 vs 2020

La bonne tenue de la demande des ménages tient évidemment au fort soutien fiscal et à un effet de richesse positif1. Nous pensons qu’un autre facteur est à l’oeuvre qui tient à la répartition du choc selon les types d’emploi. Durant la crise de 2008, les pertes ont surtout affecté des secteurs où la rémunération était au-dessus de la moyenne (+11% par exemple dans la construction). Dans la crise présente, les emplois perdus sont concentrés dans des secteurs peu rémunérés (-41% sous la moyenne pour leisure & hospitality). Par ailleurs, les données salariales suggèrent aussi qu’à l’intérieur de chaque secteur, ce sont les salariés les moins rémunérés qui ont perdu leur emploi. En conséquence, les ménages de la classe « moyenne » au revenu annuel entre 50k$ et 150k$ par an (médiane 80k$) ont vu leurs revenus2 largement épargnés, alors qu’ils avaient été les principales victimes de la crise financière (graphe).

US : pertes d’emplois par âge, 2008 vs 2020

Autre différence notable : les jeunes sont fortement touchés, mais guère plus que les autres classes d’âge, alors qu’ils avaient été touchés de manière disproportionnée en 2008 (graphe). Au bout du compte, en juillet, les salaires n’avaient baissé que de 1% sur un an, huit fois moins que l’emploi (en 2009, les pertes de salaires et d’emploi étaient alignées). Rien ne pousse à une reconstitution de l’épargne, bien au contraire.

Politique monétaire et budgétaire

La mort le 19 septembre de Ruth Bader Ginsburg, l’une des neuf juges à la Cour Suprême, pourrait avoir une conséquence inattendue sur la politique budgétaire. Depuis des mois déjà, Républicains et Démocrates s’opposent sur la taille et le contenu d’un nouveau plan de soutien à l’économie. Désormais, les chances de trouver un terrain d’entente sont presque nulles d’ici les élections du 3 novembre puisque toute l’attention va se tourner vers la bataille autour de ce poste vacant. D’un point de vue constitutionnel, les Républicains ont le droit et les moyens de pourvoir ce siège puisque c’est le président qui propose le nom d’un candidat et c’est le Sénat qui vote (le GOP a une majorité de trois voix). Les Démocrates sont furieux car en 2016, la majorité républicaine du Sénat avait bloqué le vote sur le candidat proposé par le président Obama, dans l’attente que les élections soient passées. Nul doute que cet épisode va électriser les dernières semaines d’une campagne électorale déjà atypique et peut-être influencer le taux de participation.

Malgré ces tensions partisanes, nul ne souhaite un government shutdown. La Chambre a donc voté une loi permettant de financer les dépenses fédérales jusqu’au 11 décembre. Le Sénat devrait suivre. Cette mesure ne se substitue pas à un nouveau plan permettant de prolonger des mesures du CARES Act (chèque de transferts aux ménages). Dans une audition au Congrès, le 22 septembre, le président de la Fed a, une fois de plus, jugé que l’économie avait encore besoin d’être soutenue. Mis sur la défensive par les critiques concernant certains des programmes d’urgence de la Fed (Main Street Lending Program), Jerome Powell a rappelé que la banque centrale avait le pouvoir de prêter, mais pas celui de dépenser. En ce domaine, c’est au Congrès d’agir. D’autres membres du FOMC étaient sur les ondes, ce qui n’a pas manqué de créer un peu de confusion. D’un discours à l’autre, on peut entendre des interprétations un peu différentes de la nouvelle stratégie monétaire. On comprend ce que la Fed veut concernant les taux (ne pas les monter avant longtemps), sa position sur le QE est plus ambiguë.

A suivre cette semaine

Le rapport sur le marché du travail (2 octobre) sera l’événement-phare au plan économique. C’est le dernier à paraître avant l’élection du 3 novembre. Au plan politique, l’attentions se portera sur le premier débat TV entre le président Trump et son opposant démocrate Joe Biden, le 29 septembre. Selon les sondages, les écarts se sont un peu resserrés dans les états-pivot dans les derniers jours, mais restent toujours largement à l’avantage de Joe Biden (tableau).

 

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, Oddo BHF Securities


1. Voir Focus-US du 28/08/2020 : « US: une récession qui enrichit les ménages! »
2. Les revenus considérés ici incluent les transferts fiscaux. Il y a un effet de composition qui explique en partie le paradoxe de voir la classe « moyenne » mieux résister que les « riches » (>150k$).