En 2013, à l’évocation d’un possible arrêt des achats d’actifs (tapering), le marché obligataire a fait une grosse colère, causant une vive envolée des taux longs. En 2021, la même crainte commence à poindre. La logique est celle-ci: l’inflation va tellement bondir que la Fed ne pourra garder une politique aussi accommodante. Il y a bien des différences entre ces deux périodes. En 2013, le bas niveau des taux longs n’était pas en phase avec les projections agressives du FOMC sur les taux courts. Un réalignement était inévitable. Actuellement, on ne constate pas un tel écart. De plus, la nouvelle stratégie de la Fed est plus tolérante à l’inflation.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

En complément des notes récentes sur le tapering et l’inflation, nous faisons un bref retour sur le taper tantrum de 2013, c’est-à-dire la forte correction du marché obligataire en réponse à l’évocation par le président de la Fed d’alors d’un arrêt possible du QE.

US : projections de taux directeur, 2020 vs 2013

Première différence. En 2013, le marché s’était fait à l’idée d’un « QE-infini », vu comme le seul moyen de soutenir les marchés d’actions. L’histoire ultérieure a montré que la sortie du QE en 2014-15, pas plus que la remontée des taux en 2016-17, n’était une cause suffisante pour une correction brutale des marchés.

Deuxième différence. La Fed a désormais une nouvelle stratégie qui justifie par avance une certaine tolérance à l’inflation. Ce que Jerome Powell a répété hier.

Troisième différence. En 2013, le niveau des taux d’intérêt longs était mal aligné avec des projections de taux courts plutôt agressives, tant dans la date de démarrage du cycle de hausse des taux que dans la cible finale (4%). Dans la mesure où le QE est un signal sur la trajectoire future des taux courts, l’évocation d’un futur tapering par Ben Bernanke avait donc entraîné un ajustement violent. Rien de tel aujourd’hui (graphe).

US : variations du taux à dix ans, 2020 vs 2013

A long terme, le niveau d’équilibre des taux courts est attendu à 2.5%, soit à peine plus que zéro en termes réels. Il est par ailleurs intéressant de décomposer la hausse des taux longs en 2013 et celle observée depuis l’automne dernier. En 2013, le mouvement reflétait avant tout une hausse des taux réels et des anticipations d’inflation quasi stables. Depuis octobre dernier, c’est l’inverse (graphe) : les anticipations de taux réels ont peu changé, c’est l’inflation anticipée du marché qui s’est redressée vers son niveau pré-pandémie.

La perspective d’une vive reprise, une fois la pandémie disparue ou sous contrôle, peut encourager une remontée des taux longs, d’autant que leur niveau actuel, au voisinage de 1% à dix ans, paraît bas pour une économie dont la croissance nominale avoisine 4% en tendance. Pour autant, un emballement comme en 2013 réclamerait un changement complet du panorama d’inflation aboutissant à des anticipations d’inflation beaucoup plus élevées au point d’inquiéter la Fed. Cette condition n’est pas remplie.

Economie

En janvier, la confiance des directeurs d’achat s’est améliorée depuis des niveaux déjà élevés. L’indice PMI-manufacturier ressort à 59.1 points (+2.0), confirmant la bonne tenue des indices régionaux des districts de Richmond, New York, Dallas et Philadelphie. L’indice PMI des services est à 57.5 (+2.7). En dépit des incertitudes liées à la pandémie, les entreprises sont plus réactives aux espoirs venant des vaccins et aux promesses de stimulation budgétaire.

Le redressement de l’industrie est confirmé par des données dures. En décembre, les commandes et les livraisons de biens durables (hors défense et aviation) ont continué de se reprendre pour le huitième mois à la file. Elles ressortent avec un gain de 8% et 6.6% sur un an respectivement.

L’autre secteur dont le dynamisme ne se dément pas est l’immobilier résidentiel. En décembre, les ventes de maisons existantes sont en hausse de 22% sur un an. L’accélération du prix des maisons traduit ce surcroît de demande. En novembre, l’indice national S&P/Case-Shiller progresse de 9.5% sur un an, nettement au-dessus de la tendance à +5%par an observée depuis 2015.

Le moral des ménages reste toutefois teinté de prudence. L’indice de confiance du Conference Board s’est repris en janvier (+2.1 points) mais cela n’efface qu’une petite part de la chute de novembre et décembre (-14.3). Le gain est tiré par les anticipations (+5.5) alors que la situation présente se dégrade encore un peu (-2.8). L’indice des conditions du marché du travail se replie modestement. Ces résultats décrivent des consommateurs attentistes, face à des risques immédiats qui restent dominés par la crise sanitaire. Depuis quelques jours, le rythme des nouveaux cas tend à se modérer et celui des décès à plafonner (environ 3000/jours). Au 27 janvier, près de 8% de la population avait reçu une première dose de vaccin, en nette accélération depuis la mi-janvier.

Politique monétaire et budgétaire

Le 27 janvier, le FOMC a reconduit à l’unanimité la politique monétaire en l’état, à savoir un taux directeur dans la fourchette 0-0.25% et des achats d’actifs au rythme de 120Md$ par mois (2/3 de Treasuries, 1/3 de MBS). Le communiqué se contente de noter que depuis la réunion du 16 décembre les rythme d’activité et d’emploi ont ralenti, du fait de la pandémie qui pèse lourdement sur certains secteurs. Lors de sa conférence de presse, Jerome Powell a répété qu’il était prématuré de spéculer sur des dates de tapering, et plus généralement sur la stratégie de sortie. Malgré les risques immédiats, il a noté que l’économie résistait mieux que prévu et s’est montré assez positif sur la deuxième partie d’année. L’objectif du moment n’est pas d’abandonner la politique très accommodante, mais de la prolonger. Il a redit aussi que la Fed serait patiente quand elle constaterait d’ici quelques mois un sursaut de l’inflation, sursaut qu’elle envisage à ce jour comme n’étant que transitoire.

La nouvelle administration se met en place. Janet Yellen a été confirmée à une très large majorité du Sénat comme Secrétaire du Trésor. Les deux partis se sont mis d’accord sur les règles de procédure pour la prochaine législature. Les Démocrates ont certes la majorité en cas d’égalité grâce à la voix de la vice-présidente mais les Républicains gardent certaines marges d’obstruction. L’examen par le Sénat du procès de l’ancien président débutera le 8 février. Un vote préliminaire suggère que la super-majorité ne sera pas atteinte pour aboutir à une destitution. Chuck Schumer, le nouveau chef de la majorité sénatoriale, a indiqué qu’il visait un vote sur le stimulus budgétaire d’ici la mi-mars au plus tard. Le montant initialement annoncé de 1900Md$ a de fortes chances d’être réduit au terme des discussions.

A suivre cette semaine

L’agenda de début de mois est toujours décisif, avec la publication des indices ISM (manufacturier le 1er février, services le 3) et du rapport mensuel sur le marché du travail (le 5). La reprise de l’emploi a nettement ralenti avec la troisième vague de l’épidémie qui a débuté en octobre. En décembre, le solde net était même une perte de 140.000 postes, et dans le seul secteur Leisure & Hospitality, le recul était de 500k.

Autrement dit, en dehors des secteurs directement touchés par la pandémie, la tendance de l’emploi reste positive. Dans ces conditions, il ne faut pas s’arrêter aux seuls chiffres-clés que sont la variation mensuelle de l’emploi et le niveau du taux de chômage, mais se pencher aussi sur les détails de l’enquête, par exemple la distinction qui est faite entre les destructions d’emploi permanentes et les destructions temporaires. Entre les deux périodes de référence, le niveau des inscriptions au chômage a un peu monté (+8k). Cela ne présage pas de grandes modifications dans les conditions d’emploi au cours du mois écoulé.

 

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg, Oddo BHF Securities