« On vous l’avait dit ! » - « On le savait ! » - « ça devait finir par arriver ! » - « ce n’est pas une surprise ! » - « Ce n’est pas fini ! »… Et encore je peux vous en trouver des dizaines de phrases du même type qui résument ce que l’on peut trouver dans la presse ce mardi matin. Hier je disais que ce n’est pas encore un « Black Monday », ben en fait si… Les marchés se sont littéralement effondrés. Le Dow Jones est en baisse de près de 5% c’est la plus grosse« taule » sur l’indice américain en plus d’une année et à voir la tronche des futures ce matin, ce n’est pas terminé.

L’Audio du 6 février 2018

Et je ne vous dis même pas la gueule des marchés asiatiques ; le Nikkei est en baisse de 6.3%, le Hang Seng chute de 5%, il n’y a que la Chine qui limite la casse en ne reculant « que » de 2.5%.

On qualifiera la chute de la veille de « bain de sang ». L’Europe a pourtant limité les dégâts durant la séance, mais on peut leur faire confiance pour rattraper le retard dès l’ouverture de ce matin. Pourtant la théorie reste la même et rien n’a fondamentalement changé depuis vendredi soir. L’inflation est soudainement le principal «problème » des marchés et la hausse des rendements inquiète, ou plutôt je devrais dire « inquiétait », parce qu’avec la claque d’hier soir, le rendement du 10 ans a soudainement chuté à 2.65%, puisque tout le monde se rue sur les bons du trésor US, ce qui fait donc que le rendement diminue logiquement. Ça devrait nous rassurer, mais non.

Non, parce que nous sommes en mode « panique » et que plus personne ne va être capable de penser rationnellement pendant les jours qui vont suivre et qui tout le monde va pleurer de ne pas avoir pensé rationnellement dans 3 mois quand tout cela sera oublié.

Je dis ça parce que ça fait des mois que j’entends : « Oui, moi j’attend que ça baisse pour rentrer parce que je n’aime pas acheter au plus haut » – sauf que maintenant que ça baisse comme un seul homme personne ne va oser acheter parce que « on » sent sûrement que ça va aller plus bas et que l’on veut VRAIMENT acheter au plus bas. Un conseil : « n’attendez pas les 666 sur le S&P500, là où nous étions en février 2009, on ne va pas y retourner !!! ».

La baisse fût donc épique, la baisse, que dis-je : la chute fût donc épique et en ordre de marche parfaitement ordonné. Tous les secteurs du S&P500 étaient en baisse et les 30 titres du Dow Jones étaient dans le rouge. La volatilité était en hausse de115% à près de 38% alors que nous étions péniblement à 10% il y a deux semaines. Je ne vais donc pas vous passer en revue les titres qui perdaient 5,6 ou 7%, c’était le lot de tout le monde, même Qualcomm se faisait décimer et terminait à 60$ alors que Broadcom avait finalisé son offre à 82$. Cela paraît inouï pour ne pas dire complètement débile, mais il est vrai que dans l’ambiance de fin du monde, personne n’osait croire que les actionnaires de Qualcomm pourraient valider l’offre lors de la prochaine assemblée générale dans un mois. On était en mode « courage, fuyons » et rien ni personne n’y pouvait rien.

On pouvait d’ailleurs se poser la question de savoir si cette « correction », ce « mini-krach » étaient réellement liés à des décisions humaines. Selon certains l’accélération finale est principalement due à des programmes de « high frequency » trading qui ont mis la pression sur le marché comme un seul homme, ne pensant que comme une bête algorithmique qu’elle est quelle restera. Plus d’intelligence artificielle dans cette baisse, juste une bonne panique orchestrée par un troupeau d’ordinateurs en goguette.

Il n’y a pas grand-chose à ajouter si ce n’est que tout le monde va s’emparer de l’affaire pour nous expliquer « que l’on savait que ça arriverait ». J’entends déjà les donneurs de leçon sur CNBC et les « experts » dans les journaux et à la radio qui vont venir nous dire qu’ils savaient, mais qu’ils ne pouvaient pas le dire trop fort de peur de paraître arrogant. Dans le doute, ils vont le faire maintenant – paraître arrogant.

Au-delà des marchés boursiers qui se sont fait laminer hier soir, il y un « secteur » qui en a pris ENCORE une fois plein les dents et le reste, c’est les Cryptomonaies qui cette fois se sont faites détruire purement et simplement. On ne trouve plus les superlatifs, mais ce matin le Bitcoin est à 6175$ en baisse de 25% – je rappelle qu’il valait 20’000$ le 17 décembre – l’Ethereum recule de 28% à 597$ et pour les autres, le tarif est similaire, c’est entre 20 et 30% dans la figure, juste depuis hier soir. J’entends encore ce Monsieur au guichet d’une banque de la place il y a quelques jours, qui expliquait à la Conseillère « qu’il allait bientôt avoir une grosse somme à déposer sur son compte à cause de son trading en Ethereum, parce que oui, l’Ethereum c’était trop cool et qu’il allait aller bien plus haut » – c’est il y a 10 jours.

Ce matin c’est donc l’hallali, la presse va ENFIN pouvoir en faire ses choux gras, le marché est donc tombé – les armes à la main – mais tombé quand même, c’est officiel : les arbres ne montent pas au ciel. On se réjouit déjà de voir et d’entendre tous les donneurs de leçons lors des prochaines heures : « Oui, je vous l’avais dit, moi je suis short depuis le niveau des 1800 sur le S&P500, je savais que j’allais finir par avoir raison, je suis content de voir que l’obstination paie, plus que 750 points de baisse et je vais retrouver mon investissement de base ».

J’ai comme le sentiment que l’on n’a pas fini de l’entendre celle-là. Cet hiver les Bears vont sortir d’hibernation un peu plus vite que prévu, même si l’on sait que les Bears n’ont gagné que des batailles et jamais la guerre, leur heure de gloire est arrivée !

Finalement le seul truc qui montait hier, c’est l’or, puisque les systèmes algorithmiques se sont également souvenus que le métal jaune est une valeur refuge quand tout va mal et que l’humain moyen se sent en sécurité avec ses lingots d’or dans les poches en cas de fin du monde. Le métal jaune est à 1347$ ce matin. Le pétrole est en repli aussi, puisque plus personne n’en veut également, il se traite à 63.36$.

Dans le sillage d’un mois de janvier historique, le S&P a donc nettoyé – ou presque – ses gains pour l’année 2018. Les stratèges étaient embêtés il y a deux semaines, parce que les objectifs de 2018 étaient déjà quasiment tous atteints après 30 jours, du coup, les compteurs sont remis à zéro et ça va nous donner de quoi nous occuper d’ici le mois de décembre. À moins que ce soit plus facile de « baisser » les objectifs à cause que la trouille, ça ne se commande pas.

Le S&P500 n’avait donc plus baissé de plus 3% depuis 404 jours. Visiblement ce qui monte verticalement finit forcément par se péter la gueule un jour.

Dans les nouvelles du jour, il y a bien des journaux qui essaient de parler de l’arrivée en poste de Powell à la tête de la FED, mais il faut reconnaître que ce matin personne n’en a rien à faire et que la seule chose qui préoccupe les marchés c’est le « krach » que nous sommes en train de vivre.

Pardon, le « Sell Off ». Oui parce que le « Krach » il faut attendre d’avoir perdu entre 20 et 30% selon les écoles de bourse.

Donc c’est « Sell Off » par-ci, « Sell Off » par-là, tout le monde y va de sa théorie et pendant ce temps, ça continue en Asie et les futures américains sont donnés en baisse de 2.2% de plus à l’heure où je vous parle. Le DAX et le CAC40 ne sont, bien sûr, pas ouverts, mais l’effet rattrapage ne va pas nous décevoir. Depuis le temps qu’on attendait cet « effondrement », on dirait que l’on va se faire plaisir. Et puis entre vous et moi, le grand-public s’intéresse toujours plus à la bourse quand elle se pète la figure que quand elle monte, le téléjournal aura donc forcément des trucs à dire sur le sujet ce soir et l’on peut parier que même le 20 Minutes va trouver quelque chose à dire étant donné l’ambiance de fin du monde qui nous occupe.

Ambiance que l’on n’avait plus connue depuis… au moins 404 jours. Les titres des journaux sont unanimes : « massacre », « boucherie », « moche », « horrible » ou encore « pas de signe ralentissement de la baisse », « effondrement en Asie ». Aucun doute, on va se faire plaisir aujourd’hui.

Côté chiffres économiques, parce que oui, la machine ne s’arrête pas de tourner pour autant, il y aura les JOLTS, chiffres qui étaient chers à Yellen, mais comme elle n’est plus là, tout le monde s’en fout, il y aura aussi le Trade Balance US et les inventaires du pétrole version API.

Il y aura également une avalanche de chiffres trimestriels, mais étant donné l’ambiance, je ne suis pas certain que cela changera la donne, quand ça baisse comme ça, vous pouvez annoncer que vous avez trouvé le remède contre le cancer et que vous vous faites racheter par Apple, tout le monde s’en balance, la seule chose qui compte c’est courir dans tous les sens en hurlant : « Oh my God, Oh my God » jusqu’à que plus personne ne vous écoute, que les choses reviennent à la normale et que la volatilité se calme.

Aujourd’hui nous allons donc passer notre journée avec la tête entre nos genoux en mode « brace, brace, brace » pendant que les « donneurs de leçons », ceux qui savaient, vont vivre leur heure de gloire et pendant ce temps, les Cryptomonnaies vont se faire défoncer.

Alors je ne vais pas vous la jouer citation du jour en disant « après la pluie, le beau temps », non – dans ce genre de journée, il faut juste laisser aller et attendre que ça passe, c’est comme chez le dentiste, plus vous vous crispez, plus ça fait mal. En général, ça finit toujours par passer. En tous les cas, moi, ça fait depuis 1992 que je m’en prends plein la figure avec des journées comme ça, toujours est-il qu’en 1992 le Dow Jones était à 3000, alors si à la place, au lieu de courir dans tous les sens en hurlant à la mort je m’étais contenté d’acheter et d’attendre, j’aurais tout de même multiplié mon investissement par 8. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, on a tellement oublié le concept du long terme et c’est tellement plus « fun » d’aller dans les bars à la mode de la ville pour raconter combien de fric on a gagné en traitant sur le Nasdaq et surtout à quelle vitesse on est devenu riche et trop cool, qu’on oublie que l’investissement c’est du long terme et qu’à la fin c’est Warren Buffet qui gagne.

Je ne vais pas vous souhaiter une bonne journée, parce qu’elle ne sera pas bonne, si ça se trouve il va pleuvoir. Mais que votre café soit bon et souvenez-vous que dans 3 ans on sera plus haut que ce matin.

Peut-être à demain. On ne sait jamais, Trump va peut-être décréter l’état d’urgence pour « empêcher SON marché de baisser ». Et puis au fait, vous avez remarqué ? On ne parle plus que de l’inflation et des taux qui montent, mais PLUS personne ne parle de la Réforme Fiscale qui allait changer le monde…

Tiens au fait, elle est où cette réforme fiscale ??? Ah oui, tout le monde s’en fout… j’avais oublié.

Thomas Veillet
Investir.ch

« Life is 10% what happens to me and 90% of how I react to it ». —Charles Swindoll