Le secteur de la santé a vécu plusieurs phases boursières au gré des volontés politiciennes et de certains discours électoraux. Considéré par la plupart des investisseurs comme un secteur défensif, il est néanmoins plus complexe qu’il n’en paraît. Mathieu Chabert, le gérant du fonds Exane Care, partage son analyse.

Mathieu Chabert, gérant du fonds Exane Care

Durant les cinq dernières années, la performance et la valorisation du secteur de la santé se décomposent en deux phases distinctes :

• Entre 2013 et 2016, le secteur de la santé a régulièrement surperformé le marché des actions européennes. Ce phénomène a été accompagné par un re-rerating important du secteur face au marché (jusqu’à 3 points de prime en P/E versus marché).

• En 2016 et 2017, le secteur a sous performé le marché notamment en raison de craintes sur le prix des médicaments aux Etats-Unis.

Aujourd’hui, le secteur de la santé en Europe se traite sur un multiple de 15.8x P/E 1 an forward, soit une légère prime par rapport au marché.

Quatre points nous semblent importants pour comprendre l’évolution du secteur :

La reprise de l’innovation

L’industrie pharmaceutique adapte de plus en plus les traitements à chaque patient grâce à l’essor de la médecine personnalisée et une meilleure connaissance du génome humain grâce au séquençage.

Le développement de nouveaux traitements comme l’immuno-oncologie favorise des avancées significatives dans la prise en charge du cancer. Actuellement plus de mille molécules et cinq cent mille patients sont en cours d’études cliniques avec des retombées potentielles en termes de ventes de l’ordre de cinquante milliards en 2024.

Un environnement plus favorable de R&D

L’amélioration de la productivité de la R&D est une thématique importante pour le secteur de la santé. Grace à une R&D plus efficiente, l’industrie est aujourd’hui capable de réduire ses temps de développement en étant plus ciblée dans ses développements (ex : Tagrisso d’AstraZeneca dans une mutation très spécifique du cancer du poumon développé en 3 ans versus 10 ans historiquement). Par ailleurs, l’accélération des interactions avec les autorités sanitaires (FDA, EMA) permet aussi d’instaurer un climat favorable du point de vue réglementaire.

Le prix des médicaments

Les prix très élevés de certains médicaments ont été dénoncés publiquement depuis la dernière campagne électorale aux Etats-Unis et certains abus du passé ne sont plus possibles aujourd’hui dans une industrie qui s’est autorégulée. La tendance actuelle dans l’industrie est à la préservation du « pricing power » pour l’innovation plutôt qu’à la hausse du prix de médicaments déjà sur le marché depuis plusieurs années.

La réforme fiscale aux Etats-Unis et l’accroissement du M&A

La réforme fiscale américaine va bénéficier aux entreprises pharmaceutiques. Le marché américain représente 50-60% des profits mondiaux pour les laboratoires. Cette nouvelle donne fiscale va permettre le rapatriement de 160 milliards de dollars pour les sociétés américaines. Par ailleurs, on estime à 130 milliards la force de frappe des sociétés européennes, de quoi financer de nouvelles acquisitions. Ainsi, plusieurs opérations de M&A ont eu lieu au cours du début d’année : Celgene/Juno (9bnUSD), Sanofi/Ablynx/Bioverativ (16bnUSD) ou encore l’offre de Takeda sur Shire (60bnUSD).

Un exemple suisse : Roche

Le laboratoire pharmaceutique suisse Roche est l’une des principales positions depuis le lancement du fonds Exane Care en Juin 2017. Le début d’année 2018 a été marqué par une sous-performance du titre par rapport au secteur de la santé. Cette sous performance s’explique par un manque de confiance du marché dans la capacité de l’entreprise à soutenir ses marges face à l’apparition des médicaments bio-similaires. En parallèle, le marché sous-estime le potentiel de plusieurs médicaments prometteurs récemment lancés comme Ocrevus (Sclérose en plaques) ou Hemlibra (médicament pour les patients atteints d’hémophilie A). Ainsi, le lancement d’Ocrevus en Europe semble très encourageant.

Notre cas d’investissement se base principalement sur la prochaine vague de produits dans le pipeline de Roche qui nous semble totalement ignorée par le marché. Roche possède ainsi des produits qui pourraient représenter des avancées thérapeutiques majeures dans l’oncologie, l’autisme ou la maladie d’Huntington. Le lancement des nouveaux produits, le potentiel du pipeline seront selon nous suffisants pour permettre au groupe de croitre dans les prochaines années. Par ailleurs, le groupe possède une situation de bilan très saine qui pourrait lui permettre de réaliser des acquisitions dans les prochains trimestres.