Le cours du Bitcoin a débuté à moins d’un dollar en 2010 pour atteindre un pic à près de 20’000 dollars en décembre 2017. En chute libre depuis, il est passé en novembre sous le seuil des 5’000 dollars. Des variations de valeur encore plus spectaculaires sont constatées pour d’autres cryptomonnaies, ce qui rend cette classe d’actifs monétaires fortement volatile.

Par Eugénie Rousak pour SPHERE Magazine

 

Mesurant la propension d’un actif à s’écarter de son prix moyen, la volatilité permet de visualiser la fluctuation des prix à la hausse ou à la baisse. Sans valeur intrinsèque, les devises numériques sont d’autant plus sensibles à ces variations. Leur cours futur, basé uniquement sur le jeu de l’offre et la demande, est donc difficilement prévisible. Pour trader, les investisseurs et spéculateurs se fient aux informations diffusées dans les médias et à leur sentiment du marché. Cette approche peut facilement créer un effet de masse. Les prix des principales cryptodevises sont ainsi fortement corrélés entre eux, alors que ces actifs sont décorrélés par rapport aux autres investissements. «La volatilité est toujours un problème considérable et un défi dans le domaine des cryptomonnaies» souligne Ian Simpson, représentant de la Crypto Valley Association et vice-président de la Swiss-Polish Blockchain Association.

Pour estimer l’importance des fluctuations sur ce marché, la plateforme Performance Watcher a suivi les cours des huit plus grandes devises numériques. Nicholas Hochstadter, son fondateur en conclut après analyse que la volatilité de son cryptoindice est 10 fois supérieure à celle du marché mondial des actions. «Nous avons décidé de baser notre analyse sur une comparaison avec le MSCI World Index en dollars, plutôt qu’une monnaie. Même si la variation des prix des actions est plus faible en ce moment, en temps normal la différence reste vraiment très significative» explique-t-il.

L’important spread des prix s’explique par le principe même des monnaies virtuelles

Sans la surveillance d’un organe central, et détachées de tout système politique, elles ne sont que très peu régulées. Ce manque de contrôle laisse aux spéculateurs une grande marge de manœuvre. Alors que les plateformes d’achat et de vente commencent à les limiter, les techniques de manipulation du marché persistent. C’est notamment le cas de la technique Pump & Dump. Surtout utilisée sur des cryptomonnaies avec une petite capitalisation de marché, cette méthode se déroule en deux étapes. Premièrement, une quantité intéressante de la devise est achetée. Cette acquisition provoque une hausse de prix et attire l’attention des autres traders. La seconde phase consiste à vendre l’ensemble de ses positions quand le prix aura augmenté avec l’arrivée des nouveaux acheteurs. Les premiers acquéreurs récupèrent ainsi la différence de valeur. Cette technique joue surtout sur le comportement émotionnel des acheteurs, qui ont peur de passer à côté d’une opportunité. C’est le fameux FOMO, Fear Of Missing Out, auquel la génération des Millenials est particulièrement sensible.

Acheter et vendre les monnaies numériques est également devenu très accessible

«Une plus grande volatilité du secteur des devises numériques par rapport aux marchés traditionnels est, à mon avis, dû à la facilité avec laquelle les participants peuvent y rentrer. Certaines composantes structurelles de la bourse compliquent la gestion des entrées et des sorties d’actifs à large échelle. Ce n’est pas le cas dans la crypto, ce qui augmente les possibilités de chutes et de sauts importants» nuance Ian Simpson.

La technologie de la blockchain étant intangible, les cryptomonnaies n’ont pas de valeur intrinsèque. Elles ne créent pas de valeur et ne génèrent pas de bénéfice sous forme de dividende par exemple. Il est donc impossible de déterminer si le prix est sous-évalué ou surévalué par l’activité des spéculateurs, qui dominent ce marché. Les investisseurs institutionnels ne sont que très peu présents, ayant besoin de plus de régulation, de liquidité et surtout de maturité.

Ainsi, la nature-même des devises 2.0 et la catégorie des acteurs financiers qu’elles attirent expliquent l’importante volatilité et une instabilité des prix.

Actuellement, le marché des cryptomonnaies tend plutôt vers une stabilisation des prix

Selon les analyses de Performance Watcher, l’indice des principales devises numériques est passé de 177% au mois de février 2018 à 85% au mois de novembre 2018. Il a ainsi baissé de moitié, alors que la volatilité du portefeuille des actions n’a diminué que de 1.3% pour se situer à 11,8%.

La première cryptodevise, le Bitcoin, se distingue par une moins haute versatilité. Entre février et novembre 2018, la volatilité est descendue de 145% à 38%, selon les statistiques de Performance Watcher. Aujourd’hui elle est plus de deux fois inférieure à celle de l’indice des devises 2.0. Cette différence s’explique notamment par une grande capitalisation de marché, autour des 98 milliards USD. Pour donner un ordre d’idée, ses deux principaux concurrents Ripple et Ethereum en sont respectivement à 18.5 et 18.3 milliards. Les manipulations de cours sont plus difficiles et le nombre d’échanges est plus élevé sur le Bitcoin. Les transactions d’achat et de vente favorisent sa liquidité, diminuant les opportunités d’arbitrage.

En octobre 2018, Bloomberg a constaté que le prix du Bitcoin a atteint un point d’inflexion, atteignant la volatilité la plus basse des 17 derniers mois. Ce ralentissement pourrait annoncer une maturation du marché et une sortie des spéculateurs, qui perdent leur intérêt dans un actif qui ne montre plus le même rendement. «Les spéculateurs n’amènent pas de la valeur ajoutée. Plus vite leur nombre s’affaiblit par rapport aux utilisateurs et investisseurs, plus la monnaie pourra se stabiliser et progressivement devenir une valeur d’échange» souligne Nicholas Hochstadter.

Cette tendance baissière des fluctuations de prix ouvre la réflexion sur la possibilité des cryptomonnaies de devenir une monnaie au sens classique. Les fonctions de base telles que l’utilisation comme moyen de paiement ou comme réserve de valeur étaient limitées, même si certaines institutions permettaient des paiements en cryptodevises. «Le Bitcoin se stabilise par rapport au cours du dollar, mais le vrai challenge c’est d’en faire une valeur d’échange en gagnant la confiance des investisseurs» détaille Nicholas Hochstadter. Ainsi, le système pourrait bénéficier des avantages des monnaies 2.0, tels que la baisse des coûts des transactions ou la facilitation des opérations en contournant les intermédiaires financiers.

Jusqu’au mois de novembre 2018, le prix du Bitcoin suivait les rebonds d’une balle de tennis qu’on lâche par terre. Après une chute, le cours remontait, mais l’ampleur de la reprise était moins puissante. Ainsi, chaque bond perdait de l’amplitude. «Dès que le cours remontait à plus de 6’000 USD il y avait des reventes, les gros investisseurs, appelés les baleines bleues dans le jargon, sortaient progressivement» explique le fondateur d’IBO. Au mois de novembre 2018, le plancher des 6’000 USD a été franchi et depuis le cours décroit. «Le Bitcoin a traditionnellement été considéré plus fort que les autres devises numériques. Cela dit, la forte baisse enregistrée ces derniers jours montre que certains investisseurs ne sont pas épargnés par les pressions et la panique. Je pense que tant que la cryptomonnaie restera en dehors du domaine des instruments financiers et qu’elle aura un potentiel de hausse élevé, elle constituera un actif volatile» nuance Ian Simpson.

Indexation sur une valeur réelle

Pour limiter ce problème, des monnaies 2.0 indexées sur une valeur réelle, tel que l’or, le pétrole ou le diamant, se développent. Le principe des cryptodevises rattachées à un actif physique, se manifeste également lors des Initial Coin Offering. En échange de leur participation dans une compagnie qui utilise la technologie blockchain, les investisseurs reçoivent une contrepartie numérique, qui peut prendre la forme d’une part du projet ou de l’entreprise. Ainsi, ces solutions gardent les avantages de la sécurité des opérations et réduction des coûts de la chaîne de blocs, tout en rapprochant les cryptomonnaies d’un actif avec valeur.

 

Cet article a été publié initialement dans le magazine SPHERE (N°12 – Janvier/Mars 2019)