Pour la plupart d’entre elles, leur périmètre d’activité s’en tient à l’écran d’un smartphone! Très en vogue en ce moment, les néobanques ont décidé d’ubériser le secteur bancaire avec une offre qui bascule entièrement dans le digital. Elles voient affluer les comptes par millions et les investissements par milliards, dans un marché inévitablement amené à se transformer sous leur impulsion.
Par Eugénie Rousak pour le magazine SPHERE
A l’image de BlaBlaCar, Uber, Airbnb, ou encore Amazon qui ont transformé les secteurs des transports, du logement et de la consommation, les néobanques n’en finissent pas de bouleverser les standards de la finance. Lancées dans le courant des années 2000, ces fintechs «augmentées» s’infiltrent dans le monde bancaire avec un aplomb de conquérant pour rivaliser directement avec ses géants historiques.
«Jusqu’à présent, le secteur a réussi à éviter la disruption technologique, mais tout cela va changer, et à grande échelle» souligne Nikolay Storonsky, cofondateur de Revolut.
Photo par Stephen McCarthy/Web Summit via Sportsfile
Autrement dit: il va y a voir de la casse. En dix ans, d’après la fédération bancaire européenne, 22% des banques présentes sur le Vieux Continent ont disparu. A l’inverse, les néobanques fleurissent à l’échelle planétaire. Rien que pour l’Europe, Exton Consulting en recensait une quarantaine en 2017 et, selon Business Insider, les cinq premières cumulent près déjà plus de 7.5 millions de clients.
Pour se développer, les néobanques ne manquent pas de munitions. Les tours de table proposés à de grands investisseurs atteignent d’ailleurs des montants de plus en plus spectaculaires. Aux Etats-Unis, Chime, qui revendique plus d’un million de comptes, a pu ainsi lever 70 millions de dollars en 2018. Avec une stratégie concentrée sur les milléniaux, elle propose d’arrondir vers le haut les montants que ses clients dépensent, pour alimenter leur épargne à chaque transaction.
Fondée par deux britanniques d’origine russe, Revolut a fini 2018 après avoir ramassé 250 millions de dollars. Sa valorisation a été multipliée par cinq en l’espace d’un an. A 1.7 milliards en 2018, elle est devenue la première licorne britannique dans le secteur bancaire. Avec plus de 500 employés à travers le monde, la néobanque allemande N26 a obtenu de son côté 300 millions de dollars supplémentaires en janvier 2019. Ces fonds lui permettront de se déployer à l’international, notamment en Amérique du Nord et en Asie. Avec une nouvelle levée en février 2019 de 440 millions de dollars, la britannique OakNorth détient de loin le palmarès des financements les plus élevés. Un milliard de dollars au total depuis sa création pour cette spécialiste des prêts aux PME. Elle est aujourd’hui valorisée à un peu moins de trois milliards.
En Suisse, les initiatives sont encore plutôt rares. Les amateurs ne se bousculent pas encore a portillon. La banque Reyl a pris une participation dans Aspiration en 2017 et le projet de projet de néobanque suisse, actuellement en gestation à Zurich, devrait être lancé au troisième trimestre 2019. C’est peu. «En Suisse, nous avons une longue tradition bancaire, qui rend le développement des néobanques plus lent et assez complexe. L’obtention des licences n’est pas immédiate, l’environnement bancaire est assez fermé avec des acteurs nationaux et cantonaux, et la clientèle a l’habitude d’un certain service» remarque Philipp DeAngelis, spécialiste Blockchain et Digital Assets chez Swisscom.
Un modèle unique
Où qu’ils soient basés, ces acteurs suivent tous le même modèle. Zéro succursale. Ou tout du moins, un guichet unique, l’écran du smartphone, pour écouler leurs services entièrement digitalisés. Le potentiel d’utilisateurs s’exprime en milliards. Pour le reste, les néobanques surfent sur les nouvelles tendances comportementales. «Depuis notre lancement, nous avons veillé à faire exactement l’inverse de ce que font les banques traditionnelles» souligne Nikolay Storonsky, cofondateur de Revolut. Les longs formulaires à remplir sur un fauteuil d’agence ont été remplacés par le téléchargement d’une application parcourue en quelques clics. Ainsi, l’ouverture d’un compte est possible 24 heures sur 24 et sa durée a été ramenée de plusieurs semaines à quelques heures. Les néobanques augmentent la vitesse des autres services également, comme le traitement des opérations, par exemple.
Le second argument mis en avant est la baisse des frais bancaires et une transparence totale quant aux charges. Le magazine Challenges a estimé qu’elles sont de 26 à 74% moins chères que les acteurs historiques.
«Des millions de personnes dans le monde ont toujours une expérience négative avec leur banque et paient des frais trop élevés» affirme Valentin Stalf, cofondateur de N26.
Selon une étude de FICO, 45% des 25-34 ans et 36% des 18-24 ans ont cité les coûts comme étant la raison principale les incitant à changer de banque. Avec un back to basics au niveau des services, les néobanques misent donc sur la gratuité des services généralement facturés par les institutions traditionnelles. On peut notamment citer les frais de gestion mensuels, les paiements en devises étrangères ou la carte de débit. La plupart de ces «newcomers», comme N26 ou Revolut, propose en général une offre standard gratuite, mois après mois. Les services premium, tels que les retraits dans le monde entier, les conversions en autres devises ou les assurances sont l’objet de forfaits mensuels qui tournent autour des 10 euros.
Pionnières dans la digitalisation du secteur financier, les premières banques de l’ère digitale ont été pendant un temps directement associées à des acteur reconnus. Hello Bank dépend de BNP Paribas, GoBank est une marque de Green Dot Bank, Soon est rattaché à Axa Banque. La proposition de valeur consistait alors à offrir un compromis entre la sécurité des banques traditionnelles et une expérience digitale. Sur ce plan, les néobanques ont plutôt choisi de ne pas transiger. Elles se sont d’abord concentrées exclusivement sur le mobile, à la différence de leurs aînées qui se sont mises à exploiter ce canal bien après s’être d’abord lancées sur le web. Elles ont fait ensuite le pari de démarrer sans licence bancaire, laissant assumer à leurs clients le risque de ne pas être couverts, en cas de faillite de l’établissement, par les fonds de garantie. La Federal Deposit Insurance Corporation, aux Etats-Unis, assure par exemple les avoirs bancaires des clients jusqu’à 500’000 dollars.
Pour pallier cette insécurité et s’ouvrir de nouveaux axes de développement, de nombreuses néobanques ont fini par se soumettre à la législation. Certaines, comme Chime, se sont alliées à des banques historiques. D’autres, comme N26, Atom Bank, Tandem Bank ou encore Revolut, ont obtenu elles-mêmes une licence qui leur permet de proposer des services supplémentaires, tels que les prêts, quitte à supporter davantage d’obligations. Dans son guide, la Banque Centrale Européenne a notamment mentionné son souhait d’augmenter le minimum du capital requis pour les fintechs, autant pour limiter les risques associés à ces startups que pour tempérer l’ardeur des éventuels candidats.
Le défi de la rentabilité
Au-delà de la réglementation, les néobanques doivent aussi relever le défi de la rentabilité, puisqu’elles ne disposent pas de ces importants générateurs de revenus que sont les projets à long-terme, du type épargne ou prêts financiers. Avec des taux faibles et une politique de frais réduits, elles misent surtout sur les économies d’échelle. Pari réussi, puisqu’elles ont su jusqu’à présent intéressé un impressionnant nombre de curieux, qui voulaient tester une nouvelle formule bancaire. Il reste à voir si ces clients sont profitables, ou s’ils peuvent le devenir.
Nickel a révélé que 85% de ses comptes sont réellement actifs. Parmi ceux qui l’utilisent comme leur banque principale, ils ne sont que 65% à verser une somme tous les mois. Les autres clients possèdent des comptes auxiliaires, souvent éphémères. En France, selon une étude d’OpinionWay, seuls 4% des sondés sont prêts à utiliser une néobanque comme leur principal établissement. Si elles savent jouer sur leur côté digital, pas loin de l’effet de mode, elles ne ne peuvent pas prétendre aujourd’hui à remplacer les acteurs traditionnels. Leur modèle est certes très avantageux pour les voyageurs fréquents ou les interdits bancaires du système classique, mais il est restreint à de faibles montants.
Dans son rapport 2018, Monzo a révélé que les dépôts de ses clients s’élevaient à 71.3 million de livres sterling. Moins de 150£ par compte. «Sauf quelques rares exceptions, les banques en ligne comme les néo-banques ne sont pas parvenus à dégager des résultats positifs en 2017», a relevé l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution. «Les néobanques ont un nombre important de clients et des coûts d’acquisition assez bas, mais pour gagner en rentabilité, elles doivent agrandir leur offre avec des crédits, par exemple. Ce n’est pas simple, puisque les clients ne leur font pas encore confiance» remarque Philipp DeAngelis.
Par contre, leur intrusion dans le secteur bancaire va sûrement pousser les acteurs historiques à une digitalisation plus rapide et à un assouplissement de leurs politiques tarifaires. Certaines banques traditionnelles ont d’ailleurs su tirer profit de cette mutation sectorielle. BNP Paribas a par exemple acheté en 2017 Compte Nikel pour environ 200 millions d’euros. Cette néobanque avait réussi à gagner un million de clients en quatre ans et demi, se classant première en France par le nombre de nouveaux comptes ouverts. Cette acquisition est intervenue au moment de l’annonce de la suppression de postes au sein de la BNP Paribas. 640 en France et jusqu’à 2 500 en Belgique. L’innovation a un coût! «Bien au-delà de la simple digitalisation, les banques traditionnelles doivent penser à une restructuration stratégique et globale. L’avancée technologique porte cette industrie vers la tokenisation et l’utilisation de la blockchain. Un nouvel écosystème va donc se développer et les acteurs, aussi bien anciens que nouveaux, devront y trouver leur place» conclut Philipp DeAngelis, pour Swisscom.
Il semblerait bien que le remue-ménage ne fait que commencer.
Cet article a été publié initialement dans le magazine SPHERE (N°14 – Juillet/Septembre 2019)