Officiellement, les responsables américains craignent que le pipe-line Nord Stream 2 augmente l'influence de la Russie en Europe et lui permette de contourner un réseau de pipelines qui traverse l'Ukraine, un partenaire américain.

Officieusement, d’énormes intérêts économiques sont en jeu. Les États-Unis espèrent inonder les pipelines européens de leur LNG, issu du gaz de schiste. En 2019, ce LNG a déjà représenté 28% des importations de l’UE, se plaçant deuxième après les pipelines russes.

Petit retour en arrière

L’Akademik Cherskiy a récemment traversé la Mer Baltique. Il mouille actuellement au Nord de Kalingrad.

Fin 2019, le Département d’État américain avait promulgué des sanctions visant ce gazoduc, conçu pour transporter le gaz russe vers l’Allemagne sous la mer Baltique. Elles se concentraient sur les navires poseurs de canalisations. Cela a permis d’interrompre le projet à 160 km de l’achèvement. Récemment, la portée de ces sanctions a été élargie aux entreprises fournissant des services, des installations ou des financements pour «des mises à niveau ou l’installation d’équipements» pour les navires qui travaillent sur Nord Stream 2. Les sanctions avaient fait céder le navire-clé du projet. Les nouvelles directives visent désormais le probable navire de remplacement l’Akademik Cherskiy. Propriété de Gazprom depuis 2015, il a été cédé en juin passé au Samar Heat and Power Property Fund, afin de contourner les risques de sanction. En fait, tout n’est qu’illusion, puisque ce fonds est propriété du groupe… Gazprom.

L’Europe est menacée en même temps par deux puissances belliqueuses à ses portes, la Russie et la Turquie, dont les présidents ne respectent guère l’ancien Ordre Mondial.

Chose intéressante, l’Europe vient de parler pour une fois d’une seule voix sur la Biélorussie, la crise de la mer Égée et sur l’affaire Navalny. Le Novitchok a peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, le déclencheur. Sergei Lavrov, le chef de la diplomatie russe, menace: «si l’Europe ne respecte pas la Russie, Moscou mettra fin au dialogue avec elle… ». Moscou théâtralise sa colère depuis que les 27 ont approuvé une liste commune de sanctions. Décision a en effet été prise de pénaliser l’entourage direct du Président russe. Ces mesures ont, certes, une portée limitée, mais le geste a une signification politique qui n’a pas échappé à V. Putin.

Comme le printemps passé avec le Recovery Fund, la position de l’Allemagne – et l’évolution de sa politique extérieure – est cruciale. Berlin doit sécuriser son approvisionnement en gaz pour compenser son renoncement simultané au nucléaire et au charbon. Sentant le vent tourner, le gouvernement allemand avait promis en 2019 son soutien à la création d’un grand terminal d’importation de gaz naturel liquide destiné notamment à accueillir du GNL américain. Tout dernièrement, l’autorité de la concurrence polonaise (UOKiK) a infligé au géant russe Gazprom une amende de plus de 29 milliards de zlotys (6,46 milliards d’euros) pour avoir démarré la construction du gazoduc sans son accord.

En conclusion

La bataille pour fournir en gaz l’Europe va se durcir ces prochaines années. Nord Stream 2 est un projet plus politique qu’économique. Il symbolisera le véritable potentiel d’affranchissement européen. En effet, l’Union Européenne semble adopter un embryon de posture stratégique. L’offensive de Macron a fait long feu: la Russie est désormais dans son viseur. L’objectif d’une politique extérieure commune de l’Europe n’est plus irréaliste. Dans un scénario optimiste, ces récents événements pourraient même, finalement, faire ressurgir ou accélérer le projet d’union bancaire… On peut rêver. Ça fait du bien en ces temps compliqués.

 

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