On n’a rien inventé hier, l’inflation et les rendements obligataires restent nos préoccupations principales pour justifier le bain de sang sur la tech et même les douces paroles de Powell n’y font rien.

L’Audio du 5 mars 2021

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L’’Europe fait de la résistance et le Nasdaq s’effondre

Hier je vous parlais de cette fine limite qui existe entre la sérénité des marchés et la panique totale des investisseurs qui veulent soudainement se planquer contre toute agression. Cette micro-frontière entre les 1.4999% de rendement sur le 10 ans US où « tout va bien » et les 1.5% sur le même rendement du même 10 ans US où « tout part en vrille, où la technologie ne vaut plus rien, où l’angoisse nous saisit aux tripes et où l’on parle de krach boursiers, de correction majeure et de Bear Market, pour les plus optimistes ». Cette frontière a à nouveau été franchie hier. Et c’est encore une fois de la faute à Powell.

Mais avant d’incendier le patron de la Fed et de lui reprocher toute la misère du monde et de lui coller l’origine du COVID sur le dos, il faudra tout de même noter que les marchés européens ont fait preuve d’une résistance peu commune et semblent soudainement moins exposés aux excès des marchés américains. Alors vous me direz « oui, mais c’est normal parce qu’on n’a pas profité autant du rebond post-mars 2020 et qu’on a moins de technologie dans nos indices principaux et qu’en plus nous on n’a pas reçu le même stimulus que les Américains ». Et vous aurez raison. Sauf qu’une rapide observation des mouvements boursiers de ces 30 dernières années nous auront tout de même appris que chaque fois que l’Europe se prend une claque sur la joue droite parce que les States se cassent la figure, ils ont tendance à tendre l’autre joue et à fournir la batte de baseball pour se faire défoncer le crâne. Mais là non. Sur ce coup-là, l’Europe donne l’impression de détourner le regarde sur ce qui se passe, se disant que si l’on ne regarde par les performances de Wall Street et si l’on se concentre sur autre chose ; les confinements du week-end en France ou le déconfinement progressif de Merkel en Allemagne, on ne subira pas les affres du bain de sang qui prend de plus en plus d’ampleur chaque jour dans la technologie américaine. Pourvu que ça dure.

Powell et la langue de bois

Pendant que les Européens détournent pudiquement le regard sur ce qui se passe aux USA, les traders américains scrutent attentivement le langage corporel de Powell à chaque apparition publique. Il faut s’y résoudre, puisque visiblement le patron de la banque centrale américaine n’arrive plus à trouver de synonymes suffisamment convaincants pour expliquer aux intervenants que l’économie va se reprendre mais sans faire exploser l’inflation et que, selon lui cette dernière va remonter gentiment en direction des 2% et QU’ENSUITE SEULEMENT il envisagera de monter les taux. Il l’a déjà dit et redit, mais les intervenants ne semblent pas parvenir à intégrer la chose dans leurs esprits. Il semblerait que la communauté financière soit à la recherche d’un langage plus clair et plus descriptif, avec des dates et des garanties offertes par contrat. Tant que cela ne sera pas clair, l’instabilité pourrait régner encore un peu.

C’est d’ailleurs l’intervention de Powell d’hier qui a mis tout le monde dans le pâté et qui a plongé le Nasdaq dans un début de dépression mâtinée de crises d’angoisse. Oui, l’indice tech se rapproche dangereusement des 10% de baisse depuis son dernier record et la dernière fois que l’on a été aussi mal en point, c’était en septembre dernier. Pourtant les mots de Powell ont été assez neutres – peu clairs pour les non-initiés, mais neutres.

« Je serais préoccupé par des conditions désordonnées sur les marchés ou un resserrement persistant des conditions financières qui menacent la réalisation de nos objectifs, »

Il a aussi déclaré que la Fed serait « patiente » avec une inflation plus élevée, disant qu’il s’agirait probablement d’un effet « ponctuel » et non de gains de prix qui se poursuivent année après année et en conclusion, il a répété encore et encore que la Fed était « loin » de ses objectifs d’emploi maximum et d’inflation stable de 2%.

Mais le marché est tellement court-termiste dans sa tête qu’il aurait eu besoin d’entendre des mots plus simples comme : « je ne laisserai jamais baisser le S&P500 sous les 3700 points et s’il le faut j’appellerais l’armée pour interdire les vendeurs et les shorts ». Ou encore : « ça va bien se passer, on fera toujours passer le Nasdaq AVANT l’économie réelle ». Que nenni. Hier l’angoisse a pris le dessus, le rendement du 10 ans a explosé les 1.5% pour se poser ce matin à 1.5780% et le graphique ressemble à celui de Tesla avant qu’elle commence à monter ou à celui du Bitcoin quand ça n’était pas encore la religion monétaire que c’est devenu depuis 3 semaines.

Usual Suspects

Une fois que nous eûmes compris que Powell n’allait pas nous dire les mots que l’on aime entendre lorsque nous sommes en mode dépression et que l’on envisage l’éventualité de mourir boursièrement dans un futur proche, tout est parti à la casse. Tout est parti à la casse avec une nette préférence pour tout ce qui était cool et populaire dans le secteur technologique ces derniers temps. Un peu comme en mars il y a 21 ans de cela. Alors oui, bon, c’est pas pareil parce que cette fois c’est VRAIMENT DIFFERENT, mais toujours est-il que Tesla s’est pris 5% de plus dans les dents et que soudainement on n’entend plus parler de Musk comme étant « l’homme le plus riche du monde » toutes les 5 minutes dans les magazines people. Et puis tout le reste des voitures électriques se sont faites allumer aussi, mais aussi tout le reste de la tech en général. On reparlait aussi de Cathie Wood qui se fait exploser avec son ETF ARKK qui est dorénavant en baisse de 25% depuis les plus haut. Il faut dire qu’au top elle a vendu toutes les grosses techs qui sont plutôt stables et a bourré la caisse avec des titres comme Tesla et Palantir.

Graphique du Nasdaq 100 – Source : Tradingview.com

Tout ça pour dire tout s’est pété la figure – un peu comme on le craignait depuis un moment – le Nasdaq est dans une zone que l’on va qualifier de délicate et la perspective de voir arriver les 2% de rendement sur le 10 ans ne va pas aider. Techniquement le « Head ans d Shoulders » qui se dessine sur l’indice n’a jamais été aussi évident et une fois que l’on a admis que le « Head ans d Shoulders » dans ce cas précis n’est PAS UN SHAMPOING ANTI-PELLICULAIRE, mais une figure technique, on peut facilement envisager un objectif à 11’600 sur l’indice technologique américain. Surtout que, depuis hier, le Stimulus de 1900 milliards que Biden tente de faire passer, n’est plus considéré comme « positif pour l’économie », mais plutôt comme « dangereux pour l’inflation ».

Asie en rouge, 10 ans en vert

Ce matin le rendement du 10 ans continue donc de monter et de stresser tout le monde. Du coup, l’Asie continue de se replier – même si là tout de suite, c’est de façon modérée. Le Nikkei est en baisse de 0.8% et les deux autres de 0.3%. Pour le reste, on constatera que même si le patron de Kraken a estimé que le Bitcoin allait devenir la monnaie mondiale qui remplacera tout le reste et qu’un prix de 1 million dans 10 ans était « parfaitement raisonnable », le Bitcoin est actuellement en baisse de 4% sur les 47’000 et offre une opportunité d’achat inouïe, puisque, dois-je le rappeler ? Si vous achetez des Bitcoin là tout de suite, le 5 mars 2031vous aurez fait plus ou moins 2’000% de performance. Ou alors vous achetez du 10 ans et vous faites du 1.5% par année, bien qu’en attendant une semaine, vous aurez peut-être du 2%.

On notera aussi que l’or est officiellement en train d’envisager le suicide. Le métal jaune est à 1689$ l’once et n’a clairement plus de rôle à jouer comme « hedge anti-inflation », puisque la situation actuelle devrait justement être parfaite pour lui et qu’il se fait laminer tous les jours qu’Elon Musk fait. D’ailleurs à ce propos, je voudrais savoir où sont les ULTRA-BULLS sur l’or qui juraient qu’il allait monter à 3’000$ plus vite que la lumière ? Hein ? Ils sont où ????

Et puis si l’or se fait exploser, son cousin, l’or noir prend le chemin inverse et s’envole parce que l’OPEP n’a pas rouvert le robinet. Actuellement pour acquérir un baril il vous en coûtera 64 dollars et 43 cents et demain, ça sera plus cher.

Nouvelles du matin

Dans les nouvelles du jour on parle du premier jour de trading de l’ETF BUZZ qui s’est soldé par une baisse de 3.4%. Le nouvel ETF qui va traquer les rumeurs et les bruits des réseaux sociaux n’aura pas choisi le meilleur timing pour mettre le nez dehors. Autrement, la Chine a pour objectif d’atteindre les 6% de croissance du PIB dans leur vie post-COVID, les articles sur les mots de Powell et l’explosion des rendements du 10 ans sont légion et puis on parle aussi beaucoup d’IPO. Malgré l’ambiance pas terrible qui plane actuellement sur les marchés, on se précipite de tous les côtés pour se faire coter en bourse. Le FT mentionne le cas de Deliveroo qui a pour objectif de peser 10 milliards dès son premier jour de trading – ils auraient tort de s’en priver, étant donné que le cousin américain DoorDash pèse déjà 50 milliards pour livrer de la bouffe tiède dans des boîtes en carton. Jean-Pierre Coffe en serait malade.

On notera aussi que le listing direct de Coinbase fait couler beaucoup d’encre – vous trouverez d’ailleurs un article à ce sujet juste sous cette chronique – la valorisation pourrait friser les 100 milliards dès le premier jour. Il y a aussi Elon Musk (encore lui) qui pense que d’ici 5 ans, il pourra lancer la colonisation de Mars.. S’il y a bien un truc dont on se fout, c’est bien ça. On est déjà pas capable de s’en sortir avec cette planète et ils sont déjà en train de nous les briser menues avec la planète Mars… En revanche, on ne sait pas s’il faudra un passeport vaccinal et un test PCR pour embarquer sur le vaisseau SPACE-X – oui, parce que « by the way » – on ne trouve plus un article au sujet du COVID dans les médias financier. On n’a rien le droit de faire dans la vraie vie et la police traque le type qui n’a pas de masque comme s’il avait braqué une banque, mais dans la finance, on est déjà passé à autre chose.

Chiffres du jour

Pour le moment les futures sont en baisse de 0.3% et continuent de creuser gentiment mais sûrement. Le Stimulus avance toujours mais ce n’est plus une bonne nouvelle depuis trois jours – parce que trop inflationniste – les Jobless Claims d’hier était en ligne avec les attentes, mais sans être fabuleux intrinsèquement parlant. Sans compter que s’ils avaient été bons, ça aurait inflationniste, donc PAS BON et cette après-midi, nous aurons les chiffres de l’emploi.

Alors ; on attend 182’000 nouvelles créations d’emplois et un taux de chômage à 6.3%, même si on sait qu’il est complètement bidon. Il faudra noter que tout chiffre supérieur à 182’000 sera considéré comme inflationniste et tout chiffres inférieur à 182’000 sera considéré comme conséquence du COVID et preuve comme quoi l’économie ne repart pas et donc penchera en faveur du Stimulus, voire même d’un autre Stimulus encore après, ce qui sera super-inflationniste – ce qui ramène à dire que peu importe ce qui va sortir cette après-midi, ça ne sera pas bon et ça va baisser ce soir. Si l’on respecte la logique du marché actuel en tous les cas…

En ces temps troublés, il est important de se raccrocher à des certitudes, je vous annonce donc que ce soir c’est le week-end et que pendant deux jours, on va pouvoir penser à autre chose que l’inflation. Alors je me recommande ; pas trop de shopping ce week-end, rappelez-vous que chaque centime dépensé va directement dans le portefeuille de l’inflation et pousse le rendement du 10 ans à la hausse et tout le reste à la casse.

Je vous souhaite un excellent week-end et on se retrouve lundi matin !

Thomas Veillet

Investir.ch

“My doctor told me that jogging could add years to my life. I think he was right. I feel ten years older already.”

– Milton Berle