Si les bourses mondiales étaient un être humain, ça fait un moment que l’on s’inquiéterait pour sa santé mentale. Mais depuis vendredi dernier, c’est vraiment devenu super-angoissant et on pourrait carrément dire qu’il en train de faire un « Burn-Out » et qu’il serait bon qu’on le mette quelques semaines, voire quelques mois dans un établissement médicalisé, histoire qu’il se reconnecte avec son « moi intérieur » et se demande ce qu’il a VRAIMENT envie de faire de sa vie.

L’Audio du 10 mai 2021

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Les mauvaises nouvelles sont des p**** de bonnes nouvelles !

Souvenez-vous, vendredi dernier – oui, je sais c’était il y a un siècle et depuis il s’est passé un truc hyper-fondamental et méga-important, puisqu’Elon Musk était invité dans Saturday Night Live et que c’était hyper-important pour l’avenir de LA SUPER-TROP-COOL-Cryptomonnaie, la plus hype du monde, le DogeCoin, qui s’est faite démonter de 40% parce que Musk n’a pas dit qu’elle allait guérir le cancer et le COVID, mais qu’il fallait être « prudent en investissant dedans ». Le patron de Tesla a aussi annoncé qu’il était atteint du syndrome d’Asperger. Alors oui, je sais qu’il n’est pas simple de se souvenir de vendredi passé quand on a dû gérer entre des informations capitales comme celle-là, mais il va falloir quand même y passer.

Donc vendredi dernier, au matin, une des angoisses du marché était que les autorités annoncent des créations d’emplois bien plus élevées que prévu, on parlait même de plus d’un million, puisque les « Merveilleux Experts » du monde la finance s’étaient mis d’accord après des jours et des jours d’analyses extrêmement poussées, pour un CONsensus de 978’000 créations d’emplois pour le mois d’avril. Et cela faisait parfaitement sens : en mars c’était moins que ça, mais en mars on n’avait pas encore rouvert autant que ça aux USA et les vaccins n’étaient pas autant avancés qu’ils le sont aujourd’hui. La grande question que la « communauté de la finance » se posait, était donc de savoir de combien le chiffre de vendredi serait SUPÉRIEUR AUX ATTENTES DU MARCHÉ.

Oui, parce que soyons clair. Depuis quelques semaines, il est extrêmement rare de voir un analyste faire une prédiction correcte et en général, il se goure à la baisse, il était donc parfaitement logique que nous attendions AU MOINS un million de nouveaux jobs et ceci sans compter que Biden n’arrête pas de nous chauffer avec tous les JOBS qu’il veut créer – assez paradoxal d’ailleurs, pour un type qui n’a jamais bossé de sa vie – toujours est-il que vendredi, nous étions tous hyper-concentrés à 14h29 en attendant le verdict, prêts à tout vendre en cas de chiffre supérieur à 1 million, parce que tu comprends, si t’as trop de jobs, ça va être inflationniste. Et pas qu’un peu inflationniste. Plutôt inflationniste galopant, inflationniste à un tel point que Yellen va devoir monter les taux – depuis qu’elle a remplacé Powell à la FED.

Et en fait non

Et à 14h30, les chiffres sont sortis à 266’000 nouvelles créations d’emplois.

266’000.

Pas 926’000 ou 880’000 qui aurait été une marge d’erreur tolérable en période de post-pandémie. Mais non. Le Département du Travail a sorti un chiffre qui est grosso modo 70% EN-DESSOUS des attentes !!! 70%.

Donc là on n’est pas en train de se dire qu’on a oublié de comptabiliser les trois nouvelles serveuses qui ont commencé à bosser au bar du coin de la rue, ou la nouvelle directrice de la recherche chez Intel. Non, on a fait beaucoup mieux en se ratant de 712’000 emplois. Pour vous donner un ordre d’idée, 712’000 emplois, c’est 7 stades de foot américain remplis à ras-bord. Ou alors ça fait aussi 1’300 Airbus A380 – on n’a d’ailleurs jamais produit assez d’Airbus A380 pour mettre 712’000 personnes en MÊME temps dedans.

Alors d’accord ; tout le monde peut se tromper et c’est pas facile de calculer le nombre d’emplois créés en période « hors pandémie », mais en période de pandémie, c’est encore pire et c’est pas simple d’avoir toutes les données correctes. Même le Département du Travail se goure lui-même. Je prends d’ailleurs le pari que ce chiffre sera corrigé le mois prochain et le mois d’après. Mais quand même… 712’000 personnes à côté de la plaque. On a sincèrement l’impression qu’ils n’ont pas compté la même chose. Les économistes et autres analystes ont dû compter des grains de raisins et le gouvernement a compté les grappes. C’est pas possible qu’ils parlent de la même chose !!!

Mais c’est pas tout…

Les experts du monde de la finance se sont donc complètement raté sur les chiffres des créations d’emploi et la réalité est encore très loin de la fiction dans laquelle nous vivons – enfin, tant que l’on part du principe que le gouvernement ne ment pas, ce qui est encore un autre gros fantasme, mais passons – le problème, dans toute cette histoire c’est quand même que ça veut dire que notre GENIAL recovery dont on nous rabâche les oreilles 814 fois par jour, n’est pas aussi GENIAL que ça et que les employeurs hésitent quand même un peu à se jeter dans le grand bain et on peut les comprendre étant donné la visibilité quasi-nulle que leur offre leurs gouvernements respectifs. Il y avait donc de quoi s’inquiéter. On pouvait se poser plein de questions :

  • Pourquoi des chiffres aussi faibles ?
  • Pourquoi le rythme imprimé le mois dernier ne suit pas ?
  • Pourquoi le reste des autres chiffres sont aussi bons et que l’emploi ne redémarre pas ?

Et puis surtout :

  • Est-ce que l’on ne fout pas un tout petit peu de notre gueule quelque part ???

On pouvait se poser des questions, c’est vrai. Mais comme dans le monde fabuleusement intelligent de la finance, un monde qui n’est jamais à court d’idées de génie, on est parti dans une autre direction. On s’est simplement dit :

« Oui, d’accord, les chiffres de l’emploi ne sont pas bons. Mais ça veut aussi dire qu’il n’y a pas d’inflation et que l’on peut repousser la hausse des taux au siècle prochain !!! »

La conclusion s’imposait donc d’elle-même : il fallait bourrer la caisse et à la fin c’est les Bulls qui ont gagné. Ce qui est une bonne nouvelle, ne vous méprenez pas sur mes paroles. Tout ce qui peut faire monter le marché au plus haut de tous les temps est bon à prendre. Sauf que parfois on a l’impression que le marché marche sur la tête et que tout le monde trouve ça normal. Aujourd’hui on a une société qui publie des chiffres au-delà de nos rêves les plus fous ; on va la vendre parce que tu comprends, le trimestre prochain ça sera trop dur. Ensuite on a des chiffres qui sortent et qui disent : l’emploi ne va pas si bien… Mais nous on s’en fout, on sort nos cartes de crédit, on aligne des lignes de coke sur table du salon et on s’arrose de champagne en chantant : « trop cool !!! Y a pas d’inflation !!! ». Ce qui est bien avec cette réflexion, c’est qu’on pourrait aussi se dire que dans le cas présent, ça veut aussi dire qu’il y a des gens qui ne trouvent pas de boulot et qui ne peuvent pas consommer, mais au moins ce qu’ils ne consomment pas n’augmente pas. Et puis ça ne reste que des problèmes des gens de Mainstreet, nous a Wall Street on rigole, parce qu’il n’y a pas d’inflation. Youpie.

Alors voilà. Moi je dis ça, je ne dis rien, mais peut-être que le marché a besoin de faire un break. De partir 1 mois en thalasso, de respirer autre chose que de l’air climatisé, de se poser des questions sur ce qu’il a VRAIMENT envie de faire. Je n’en sais rien, mais ce que je sais, c’est que l’on est dans un marché qui ressemble de plus en plus à la bulle des tulipes et que tout le monde ressort de là en se disant : « non, non, mais tout va bien, c’est trop génial, tiens, si j’achetais un peu de Dogecoin avec mon fonds de pension pour la retraite ? »

Ah oui, j’ai oublié de vous dire que les 712’000 emplois qui n’ONT PAS été créés ont quand même poussé le marché au plus haut de tous les temps. Est-ce que la bourse est la représentation ésotérique de l’économie ? Ou est-ce que c’est juste devenu un casino légalisé qui n’a plus aucune connexion avec la réalité, avec les fondamentaux ? Une espèce de jeu de l’avion que l’on en peut pas arrêter au risque de voir le château de cartes s’effondrer ? En ce matin d’automne, je m’interroge.

Les nouvelles du jour

Pour ce qui est des nouvelles du jour, l’Asie ne fait pas grand-chose après ces chiffres de l’emploi qui en ont laissé sceptique plus d’un. L’or est en train de monter gentiment dans le dos de tout le monde et le pétrole ne fait rien. On parle beaucoup de l’émission de Musk de l’autre soir, mais je ne vais pas m’attarder dessus, ne faisant pas trop dans la presse people. Il y aussi le fait qu’il y a de moins en moins de gens qui ont « peur du krach », ce qui n’est pas une bonne nouvelle et il y aussi l’inévitable Cathie Wood qui parlait sur CNBC ce week-end, comme tous les deux jours.

Cathie Wood a révélé que c’est le patron déchu d’Archegos qui lui avait permis de lancer ses premiers ETF et elle a aussi déclaré qu’elle était super-contente que les prix de ses titres fétiches soient en chute libre, parce que pour elle ce n’est qu’une indication faussée puisqu’elle SAIT ce que ça vaudra plus tard. Hhhhmmmmm, j’adore ce genre de déclarations qui laissent entendre que le marché a tort et que « ELLE », elle a raison et que quand le marché se rendra compte qu’il a tort, tout rentrera dans l’ordre. Le dernier qui m’a dit ça a fermé son fonds dans les deux ans qui ont suivi et personne ne l’a jamais revu depuis qu’il est parti dans une lamaserie au Tibet.

Les chiffres du jour

Côté chiffres économiques il n’y aura rien, côté publications trimestrielles, il y aura BioNTech et Novavax, mais aussi Marriott, Wynn et Roblox. Pour le moment les futures sont en hausse de 0.2% et tout le monde essaie de se motiver au fait que le marché est câblé dans le mauvais sens et dorénavant, on cherche les mauvaises nouvelles pour que ça monte.

Passez un très bon lundi. Je pense que ce n’est pas nécessaire de vous souhaiter une bonne terrasse au vu de la situation. Dans l’intervalle, moi je vous retrouve demain pour analyser le prochain coup de génie des marchés financiers.

Thomas Veillet

Investir.ch

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Ambrose Bierce