Vous le savez certainement, cela fait plus de 15 ans que j’écris cette chronique boursière et bien avant de commencer à écrire, j’avais déjà vu pas mal de marchés complètement débiles, mais je crois que là, en 2021, on atteint des sommets rarement vus en terme de connerie. Oui, j’aurais pu dire « bêtise », mais ça faisait un peu trop gentil et un peu trop propre pour ce qui se passe en ce moment.

L’Audio du 22 juin 2021

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La FED à voile et à vapeur

Donc, si l’on reprend ce qui s’est passé depuis mercredi dernier et si l’on écoutait les théories abracadabrantesques des uns et des autres au sujet des taux et du comportement de la FED, on était au bord du gouffre et on allait tous mourir. Ou à peu près. John Hussman est venu nous dire que les 12 prochaines années seraient pourries comme dans un film déprimant qui aurait gagné la Palme d’Or à Cannes et le « stratège » de chez Moody’s annonçait une baisse de 20% « compte tenu des positions de la FED ». Mais alors justement, c’est quoi « les positions de la FED » ???

Non, parce qu’hier matin on avait tous pris pour « gravé dans le marbre » que Powell allait monter les taux en 2023 (et on n’aime pas quand on monte les taux) et puis surtout, on n’avait pas aimé les Jobless Claims qui remontaient et Bullard qui voulait ralentir les achats obligataires au plus vite. On parlait déjà d’économie qui ralentit et d’affaiblissement du «recovery ». Lundi matin les Japonais ont entamé la journée en mode panique parce « tout d’un coup, la politique monétaire avait changé » et qu’il fallait rapidement vendre toutes ses actions et acheter des obligations pour profiter des taux qui allaient remonter en….en 2023. Soudainement, nous étions tous devenus des « long term investors » alors que depuis 12 ans, on la mémoire d’un poisson rouge et la capacité d’attention d’une portée de Golden Retriever devant leur première gamelle de croquettes.

Sauf qu’hier, il y avait à peu 812 membres de la FED qui ont parlé pour dire qu’en fait ce que l’on a compris, c’est pas trop ce qu’ils voulaient dire.

I’ll be there for yooooooouuuuuuuu !

Parmi ces membres de la FED on a eu droit à Powell qui a quand même dit qu’il avait constaté des énormes améliorations dans l’économie, qu’il surveillait attentivement ce qui se passait au niveau de l’emploi et qu’il ferait « Whatever it takes pour sauver et supporter l’économie jusqu’à qu’elle ait complètement récupéré du COVID, de Trump, de Biden et même de la crise économique de 1930. Rien que ces quelques mots auraient déjà eu le pouvoir de réveiller un trader qui était short vendredi soir. Mais ça ne s’arrêtait pas là, puisqu’il y a plusieurs autres stars de la FED qui ont parlé. Il y a Williams, le Président de la FED de New York qui estime que les objectifs fixés par la FED pour cesser les rachats obligataires sont encore loin. En français ça veut dire que le tapering que nous vendait Bullard vendredi dernier n’est pas encore d’actualité. Et c’est d’ailleurs Bullard lui-même qui nuançait ses propos en expliquant qu’il était content que les membres de la FED « aient parlé du sujet du tapering » lors du dernier meeting. Ce qui, vous en conviendrez est un peu différent de : « c’est sûr, on va commencer le tapering en septembre, c’est Powell qui me l’a dit, mais j’ai pas le droit de le répéter ». D’ailleurs, tiens, au passage, Bullard n’est pas un membre votant de la FED en 2021 – ce qui veut dire que si lors d’un des prochains meeting le sujet du tapering est abordé, même s’il rêve de voir un tapering se mettre en place, il aura à peu près autant d’effet qu’un supporter de foot devant sa télé qui hurle « mais passe à droite, tocard !!! ».

Si l’on résume bien, Powell a réitéré le fait qu’il sera là pour nous, pour l’économie et aussi un peu pour les bourses mondiales et ce, Whatever it takes. Le mec qui a déclenché le sell-off vendredi a reformulé ce qu’il a dit en version homéopathique et en plus, il n’a pas le droit de voter. Du coup, on s’est dit que l’économie n’était pas morte, que les piqûres de produits illégaux qui font monter le Mont Ventoux en 40 minutes à 65 de moyenne sont toujours d’actualité et disponibles en grande quantité.

Rebond

Pour fêter ça et la fin du sell-off, le Dow Jones s’est offert sa meilleure performance depuis le mois de mars, il a effacé la journée de vendredi et la moitié de celle de jeudi. Le S&P500 a défoncé la moyenne mobile des 50 jours à la hausse, comme il l’avait défoncée vendredi dernier à la baisse. Et alors que l’on se demandait combien de temps allait durer le sell-off hier matin, aujourd’hui on se demande quand est-ce que l’on va battre de nouveaux records d’altitude.

En Europe on a eu droit au discours de Madame Lagarde qui a plus ou moins dit les mêmes choses que Powell. Support de l’économie, Whatever it takes, bla-bla-bla. Bref, tout a fini en hausse aussi et l’angoisse de la fin de semaine est oubliée, on a les yeux fixés sur le ciel, le ciel qui est dorénavant notre seule limite. Surtout maintenant que l’on fait de l’investissement long terme sur les 12 prochaines heures.

Les Japonais ont eu leur Pearl Harbor

Hier matin les Japonais avaient bien capté le message : les taux allaient remonter aux USA, le ralentissement économique se rapprochait, la FED allait ralentir la cadence des rachats. En un mot comme en 100, ça allait être Fukushima sur le Nikkei et la récession était aux portes de Tokyo, sans compter que les monstres qui s’attaquaient à Bioman dans les séries de notre enfance étaient en train de pénétrer la ville en faisant des mouvements de kung-fu avec leurs tentacules en polystyrène. En ce lundi de fête de la musique, le Nikkei s’est fait détruire au rouleau compresseur parce que la fin de la croissance était proche. Et ce matin ils se réveillent avec l’impression de s’être fait avoir comme les lignes de défense américaines lors de l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. On pourrait presque croire que c’est une stratégie délibérée des Américains pour se venger, mais ça paraît presque trop intelligent pour être vrai.

Du coup ce matin le Nikkei rebondit comme si le prochain stimulus américain de 6’000 milliards allait être alloué à booster l’économie japonaise. Le Nikkei bondit de près de 3%, pendant que Hong Kong ne fait rien et que la Chine monte de 0.7%. Pour le reste, on notera que l’or ne sait plus trop quoi penser après les girations de ces derniers jours, inflation ou pas inflation, il s’était fait déglinguer à cause de la non-inflation, mais là avec ce que vient de dire Powell, c’est un peu un démenti, mais le métal jaune n’ose pas remonter pour autant. Il se traîne à 1788$ et on dirait qu’il n’a plus confiance en personne, dans ce marché dirigé par des clowns et pilotés par des infos contradictoires et peu claires, avec une vision aussi claire qu’un matin d’automne dans les rues de San Francisco. Quant à lui, le pétrole, il est reparti à l’attaque de l’objectif des 76$. À l’instant, il se traite à 73.75$, lui qui a adoré les commentaires de Powell qui veut « supporter l’économie par tous les moyens » – ça tombe bien, le pétrole est l’indicateur de bonne santé de l’économie ! Il ne lui reste plus qu’à péter les 76$, puis ensuite c’est direct à 100, pour voir les stars qui vont sortir du bois pour dire « oui, selon mes calculs, le pétrole peut aller à 300$ ». Ensuite on pourra acheter des Tesla, des Lucids et des Fisker et shorter le baril.

Nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, on parle du COVID et du variant Delta qui devient un problème pour l’Europe. Les contaminations augmentent et on espère juste que la France aura le temps d’être championne d’Europe avant que Macron reconfine tout le monde en signe de représailles parce que ses compatriotes n’ont pas assez voté pour son parti durant les élections régionales. On parle toujours de gros délais dans les ports chinois à cause de flambées de contaminations. Mais ça fait plusieurs jours voire semaines, que l’on en parle et tout le monde à l’air de s’en foutre comme de leur première cravate. Probablement que l’on pense que nos iPhones et autres PC viennent directement de l’économie locale de proximité et que ça ne pose pas de problèmes.

Article intéressant dans le FT de ce matin qui explique le fait que le cours du bois est en chute libre depuis trois semaines ; selon le journal, c’est parce que les gens ont arrêté de faire du bricolage pour sortir au restaurant. Oui, c’est assez logique, le mec a acheté 25 stères de bois pour construire sa maison de campagne, mais là tout de suite, il laisse tout tomber pour aller se bourrer la gueule à la Bud Light. Et puis ce matin, on parle du Bitcoin, il semblerait que la Chine continue de mettre la pression sur les fermes de « mining » basées là-bas et que les Américains sont au bord de lancer une série de scuds sous forme de régulation des cryptos – ce matin tout le secteur est sous pression et le Bitcoin est à 32’000. Il semble cependant refuser d’aller tester le dernier rempart des 29’900$ – la Death Cross qui se dessine sur le chart n’intéresse personne parce que le Bitcoin c’est différent, mais on peut se demander si c’est le « last man standing » avant l’hallali ou est-ce qu’il y a encore de la vie à l’intérieur…

Chiffres du jour

Aujourd’hui il n’y a pas de chiffres, mais il y a des types de la FED qui parlent et Powell qui va témoigner devant le Joint Economic Committee et tant qu’il s’en tient à ce qu’il a dit hier, à savoir « je ferai Whatever it takes pour soutenir l’économie », ça devrait bien se passer. Les futures sont en hausse de 0.2% et ils ont l’air d’y croire.

Que votre journée soit belle, que votre croissant bio soit croustillant et que votre café à la noisette soit brûlant. Souvenez-vous que ce qui est écrit dans la pierre aujourd’hui peut être réécrit en trois minutes et que le monde merveilleux de l’investissement et bien plus volatile – en terme de convictions – qu’un jerrycan d’essence au milieu du désert.

Passez une excellente journée et à demain !

Thomas Veillet

Investir.ch

“Never underestimate the power of stupid people in large groups.”

― George Carlin