Alors que depuis des années la technologie est reine et si t’as pas de GAFAM dans ton portefeuille t’es qu’un tocard, voici que le marché qui ne sait plus vers qui se tourner, replonge dans son passé et s’intéresse à des secteurs qui semblaient totalement désuets il y a encore 6 mois. Au grand dam des investisseurs ESG, ISR et autres investissements responsables, voici que le pétrole et les pétrolières font leur grand retour. Et cela, sans compter que les banques sont à l’honneur parce que les rendements du 10 ans US qui devaient aller à 1% sont plus en direction des 2. Enfin, tant que les USA ne font pas défaut.

L’Audio du 28 septembre 2021

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Evergrande, si loin et pourtant si proche

La semaine dernière, alors que nous étions en train de calculer comment le géant de l’immobilier chinois allait faire pour s’en sortir tout en essayant d’écouter le discours de la FED dans un grand écart financier sans précédent, on n’a même pas eu le temps de voir venir la hausse du baril, l’envolée du gaz naturel, l’explosion de l’Uranium et le carton du charbon. Nous étions bien trop occupés à tirer des conclusions sur le vocabulaire employé par Powell ou sur les interventions de la banque centrale chinoise. Déjà que pour le commun des mortels, il n’est pas simple de faire plusieurs choses à la fois, dans ce cas précis, c’était presque impossible de voir la crise énergétique dans laquelle nous étions en train de nous précipiter.

Et pourtant, ce matin nous sommes en plein dedans. Et ça donne presque l’impression que demain ça sera pire et que la semaine prochaine on ne parlera que de ça. À moins qu’Evergrande fasse défaut entre deux, ce qui semble d’ailleurs de plus en plus probable. Mais revenons à l’énergie. Nous avons tendance – moi en tous les cas – à rester complètement focus sur le prix du baril. Actuellement, force est de constater, il n’est pas vraiment le seul problème. Les scènes qui se sont déroulées en Angleterre ce week-end rappelaient les années 1970, les automobilistes faisant la queue dans des milliers de stations-service par crainte d’une pénurie de carburant. Mais la panique à la pompe n’est qu’une façade. En Europe et dans le monde entier, les prix du gaz naturel se sont envolés dans un contexte de pénurie, entraînant une hausse des factures des ménages et la faillite de certains fournisseurs.

Mais ça ne s’arrête pas là.

La Chine connaît également sa propre crise énergétique, les pénuries ayant entraîné des prix record pour le charbon et une flambée des prix du gaz naturel. Les conséquences commencent à se faire sentir : la production d’un certain nombre d’usines – dont certaines fournissent Apple et Tesla – a été interrompue. Et certaines banques asiatiques ont déjà revu à la baisse les prévisions de croissance de la Chine. Pas besoin de vous faire un dessin sur ce qui « pourrait » se passer si la Chine persiste et signe dans son ralentissement. Le moteur de la croissance mondiale (comme on l’appelait) est en train de caler et nous on continue à se demander s’il faut être investit dans les titres de croissance ou dans les values… Clairement, hier à New York, à voir la hausse du Dow Jones, la réponse momentanée c’est : les values…

Une autre crise larvée que l’on n’a pas vraiment vue venir ?

Si l’on parle des bourses mondiales et de leur comportement hier, on pourrait croire que tout va bien et que rien n’est en train de se produire. Les Européens boivent les paroles de Lagarde qui estime que l’inflation pourrait être plus forte que prévue. Et on trouve ça super, parce que ça veut dire que les mesures de soutien misent en place par la BCE ont fonctionné et que l’économie locale tourne à plein régime. Personne ne se demande si l’inflation en question n’est pas en train de nous péter à la figure à cause du prix de l’énergie qui prend l’ascenseur à une vitesse vertigineuse.

Je n’invente rien ; le pétrole valait « moins 35$ » il y a 18 mois et ce matin il est au-dessus des 76$, casse les résistances et est boosté par les augmentations de price target de Goldman Sachs qui le voit à 90$. Je suis une pive en mathématiques, mais de « moins 35 » à « plus 90 », ça fait combien en pourcentage ? Oui, en effet ça fait un paquet et si ça continue comme ça, il va falloir se mettre au vélo, parce que faire le plein du V8 ou même du V6 à la pompe, ça va se compliquer rapidement cet hiver. Alors oui, vous me direz que je n’ai qu’à acheter une voiture électrique.

Oui, en effet, mais d’abord je n’ai pas encore complètement perdu la raison, mais en plus il sera intéressant de voir comment on va charger lesdites voitures électriques lorsque les gouvernements vont réduire la tension des réseaux parce qu’il y a tout simplement un « shortage » d’énergie – peu importe laquelle. Le gouvernement chinois est déjà en train de tirer la prise pour cet hiver au nom de l’économie. Et je n’ai pas besoin de vous dire que pour faire le plein de la batterie d’une Telsa, si vous n’avez que l’ampérage d’une pile Duracell, ça va prendre du temps. Non, soyons clair, depuis 12 mois le pétrole a pris 100$… En 14 mois, le gaz naturel a fait fois quatre, tout comme le charbon. Sans compter que l’Uranium a triplé. J’en suis à me demander si je ne vais pas remplir mon garage avec du bois pour faire des feux de cheminée cet hiver et faire la raclette directement dans le salon.

Crise énergétique

Alors bon, ce matin quand je me suis levé, je n’avais pas prévu de parler de ça. Pour être franc, je n’avais rien prévu du tout. Mis à part de faire des tartines et de boire un litre de Nespresso. Mais disons que lorsque vous lisez la presse du matin et que vous mettez les trucs bout à bout, on a un peu l’impression que l’on a une « perfect storm » qui nous pends au nez. Nous sommes tous collés à nos écrans pour suivre la crise Evergrande, pour écouter les paroles de Lagarde, de Powell ou des guignols du Congrès Américains qui sont en train de se bagarrer pour mettre les USA en défaut ou pas, et pendant que l’on regarde tous la ligue des Champions à la télé, il y a un tsunami énergétique qui nous arrive dans le dos avec une vague de 60 mètres de haut, pendant qu’on mange des chips et qu’on boit de la bière.

Oh putain… Je suis en train de tourner Bearish !!! Nouriel Roubini, sort de ce corps !!!

Non, mais plus sérieusement… On est dorénavant tous d’accord pour se dire qu’Evergrande va faire faillite et que la faillite devrait être contenue à la Chine et que mis à part édenter un peu la croissance locale, ça devrait bien se passer. On est AUSSI tous d’accord pour se dire que Powell va commencer son tapering sur une jambe d’ici la fin du mois de novembre et que ça va bien se passer parce que l’économie US, elle va trop bien avec les multiples stimulus à tiroirs du Messie Joe Biden. Ensuite Powell il va monter les taux et là aussi tout ira bien pour les mêmes raisons que précédemment. Ensuite les politiciens américains vont continuer à se cracher dessus au sujet du plafond de la dette – un peu comme l’ont fait les Républicains hier en votant CONTRE le réhaussement du plafond et en essayant de mettre tout leur poids pour faire plier les Démocrates et les obliger à baisser leur pantalon et à faire des concessions politiques dont on ne veut même pas connaître les tenants et les aboutissants – Et puis ensuite, ils vont se mettre d’accord pour le Happy Ending et tout ira bien. Les oiseaux chanteront, les arbres refleuriront et on retournera en vacances à DisneyWorld pour se faire prendre en photo avec les oreilles de Mickey sur la tête et publier la photo sur Facebook.

Ça a l’air plutôt pas mal. Oui, pas mal du tout.

Oui, mais si…

Mais si Evergrande c’était plus grave que ça ? Et si le tapering et la hausse des taux faisaient caler l’économie qui ne va pas si bien que ça. Si l’emploi partait en vrille et que les Républicains se haïssaient tellement, tellement à un point que les USA fassent vraiment défaut. Le rendement du 10 ans il irait où ??? Et si en plus de tout ça, le pétrole monte à 150$, que le prix à la pompe est multiplié par 2 (dans le meilleur des cas) et si on nous rationnait sur l’électricité ? Et si on ne peut même pas charger la Tesla pour monter à Verbier cet hiver ? Il va se passer quoi ?

Assez rigolé

Bon, vous savez quoi ? On ne va pas répondre à toutes ces questions ce matin, mais disons qu’il y a quand même pas mal de trucs qui sont en train de se mettre en place et pas que des bons trucs. Le concept de la hausse à coup de milliards est peut-être en train partir en vrille et d’être massivement remis en question par d’autres facteurs comme le prix de l’énergie et le shortage d’à peu près tout. Même des Iphones… ça fait une semaine que j’attends le mien, c’est dire.

Alors pour le moment, on ne va pas se dire que tout va nous péter à la figure, mais gardez quand même cette chronique dans un coin, parce que si un jour les USA font défaut, Evergrande contamine le monde, Powell se fait assassiner par des commandos d’extrême droite et son successeur monte les taux à coup de 2% et que l’on interdit aux Tesla de rouler parce que ça pompe trop d’électricité, je pourrais au moins dire que… « je vous l’avais dit ».

Et pendant ce temps, dans le monde des Bisounours

Ce matin la plus grande partie de l’Asie est en baisse à cause des craintes liées à Evegrande et au problème énergétique. Certaines provinces sont de retour 800 ans en arrière, puisque l’électricité a été coupée et que certaines usines sont à l’arrêt. Ça tombe bien, c’est juste au moment où y a pas de shortage et que l’on manque de rien. Surtout pas de semi-conducteurs. Par contre, pendant que la Corée est en baisse, que le Japon est en baisse, la Chine et Hong Kong sont les deux seuls marchés à être dans le vert, comme quoi, on est jamais mieux servi que par soi-même.

Pendant ce temps, l’or ne fout rien. Comme d’habitude. Et comme un jour sur deux, les cryptos sont en baisse parce que les Chinois confisquent activement du matériel de mining et que des opérateurs jettent l’éponge dans la région. Le Bitcoin perd à nouveau 3% et reste coincé dans un range ennuyeux à mourir. L’Ether est en baisse de 5%.

Dans les nouvelles du jour, on parle de Yellen qui hurle à la mort et craint le pire en cas de défaut, de la FED qui met en garde contre des réactions extrêmes de marché en cas de défaut et pendant que tout ce petit monde parle de ce qui va se passer en cas de fin du monde et d’attaque des petits hommes verts, Rosengren et Kaplan ont donné leur sac et quittent la FED suite des allégations comme quoi ils « auraient profité » de leurs positions à la FED pour faire du trading qui s’est avéré extrêmement lucratif. Ils partent afin de respecter une certaine déontologie (selon eux) et pour éviter que la SEC leur colle un procès aux fesses (selon moi). En tous les cas, ils essayent de se faire passer pour des héros, mais pas sûr que ça prenne ce coup-ci. Pour le reste, les futures sont inchangés et on attend de voir. Par contre la tension sur l’énergie semble à son comble et même si les articles sont peu tranchés, on sent quand même que ça devient gentiment angoissant. Pourvu que l’on parvienne à tenir le niveau d’angoisse jusqu’à Halloween.

Les chiffres du jour

Pour la journée d’aujourd’hui, on va regarder la confiance du consommateur aux USA et vérifier qu’il n’envisage pas de s’ouvrir les veines en regardant ce que va lui coûter le plein d’essence du Ford Raptor et celui de la citerne à mazout au fond du jardin. Puis il y aura Lagarde qui parlera, ainsi que Powell qui témoignera. Pas le genre de journée les plus passionnantes que nous puissions connaître, mais ça peut quand même donner du grain à moudre.

Il me reste à vous souhaiter une très belle journée et on se retrouve demain matin. En attendant, moi je vais aller couper du bois, couper du bois et couper du bois.

À demain !

Thomas Veillet

Investir.ch

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