Je vous l’ai toujours dit, dans le monde merveilleux de la finance ; nous sommes des visionnaires. Il n’y a que très peu de gens sur la planète Terre qui peuvent anticiper et voir aussi loin que les experts en investissement et les stars de Wall Street. Cette capacité d’analyser plusieurs nouvelles de front et d’en tirer des conclusions précises et – la plupart du temps – exactes, en l’espace de quelques minutes ne cesseront jamais de m’épater. Hier encore, nous avons pu exposer nos compétences au-dessus de la moyenne en détruisant le marché et le pétrole à cause de la récession qui arrive et de réussir à retourner le marché parce que la récession, ça fait baisser les taux.

L’Audio du 6 juillet 2022

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Moins égaux que les autres

Alors oui, on n’a pas réussi à tout faire en même temps et dans la même seconde. Il y a donc forcément eu des dommages collatéraux. En dans le cas précis qui nous occupe ; les dommages collatéraux ont un nom : l’Europe.

Au début de la séance hier matin, nous étions à la limite de l’euphorie boursière, parce que les Américains étaient « à ça » de baisser leur pantalon face aux Chinois en ce qui concerne les droits de douane, tout ça pour faire baisser l’inflation de 0.1%. Et puis tout d’un coup, la rumeur s’est répandue comme une trainée de poudre :

Nous pourrions finalement être très bientôt en récession !!!

Ça n’est que c’est une « monstre » surprise, vu que l’on ne parle que de ça depuis au moins 3-4 mois. Mais il faudra retenir qu’hier, nous avons fait un pas de plus dans la conviction que ça va être la merde totale et que l’on a peut-être un peu minimisé la chose. Que la FED va devoir tout faire pour faire baisser cette fameuse inflation et que l’époque du « Whatever it takes pour aider le marché » est bien terminée. Ça n’est pas qu’il y a eu une nouvelle forte et convaincante qui nous a montré la voie. Non. Juste le fait que l’on est un plus convaincu que nous serons en récession, que nous l’étions la veille. Et probablement moins que demain. Ou pas.

Bain de sang récessionniste en Europe

Quoi qu’il en soit, et peu importe d’où vient cette soudaine conviction que la récession nous guette un peu plus aujourd’hui qu’hier, la première région du monde à en avoir pris plein les dents ; c’est l’Europe. Le marché a totalement craqué sous les craintes des vendeurs et le bilan final était sans équivoque : le DAX en plongée de 2.91%, le CAC qui reculait de 2.68% et l’indice italien qui abandonnait 2.99%. En Suisse, on « limitait » la casse avec une baisse de « seulement » 1.65%. Dans cette vague de crainte récessionniste, les intervenants ont absolument tout balancé sans faire de prisonnier avec une nette préférence sur le secteur pétrolier. Le secteur qui était au TOP la veille, a subi les assauts agressifs des vendeurs qui regardaient le pétrole s’effondrer en même temps.

OUI, PARCE QUE FIGUREZ-VOUS QUE L’ON VIENT DE PRENDRE CONSCIENCE AVEC CERTITUDE QUE NOUS ALLONS ENTRER EN RÉCESSION, QUE PLUS PERSONNE NE VA ACHETER DE PÉTROLE, JAMAIS. Le baril s’est donc littéralement pété la gueule au-dessous des 100$. Il y a 20 jours en arrière, vous auriez demandé à n’importe quel analyste, n’importe quel trader, n’importe quel investisseur, il vous aurait répondu que le pétrole NE POUVAIT PAS BAISSER et que la question n’était pas de savoir s’il allait monter, mais plutôt de savoir jusqu’où il allait monter. La réponse était : jusque-là. Il y a 20 jours nous étions à 123.75$ et TOUT LE MONDE était convaincu que nous allions à 150, ou 180.. AU MINIMUM. Il y a même un gars de chez JP Morgan qui est venu ce week-end pour nous dire que le baril pourrait même aller à 380$. Et que le seul moyen de faire baisser le pétrole, c’était la « destruction subite de la demande ».

La destruction subite de la demande

Hier, en nous rendant compte et en acquérant la quasi-certitude par je-ne-sais-quel-moyen que nous allions rentrer en récession, les intervenants ont donc anticipé la destruction de la demande. Il y a même un analyste de chez Citi qui estimait, je cite : « que la récession dans laquelle nous allons entrer est tellement moche que le baril pourrait même aller à 65$ d’ici la fin de l’année et à 45$ en 2023 ». Et PAF, le coup sûr du pétrole à 180$ qui vient de partir en fumée. Le 814ème coup sûr sur 814 que j’ai connu dans ma carrière qui part en fumée. Il va quand même falloir que je me mette à rencontrer les bonnes personnes !

En Europe nous avons donc traduit la baisse du pétrole par le fait que nous allons vivre une des pires récessions de l’histoire de l’humanité et que ceux qui avaient de la chance c’est les vegan parce qu’ils ont déjà appris à ne pas manger de viande, pour les autres, ils allaient devoir apprendre à chasser les rats dans les rues de Paris et ensuite de trouver des recettes de cuisine sur internet pour les cuisiner. Les marchés se sont donc effondrés, le DAX et le CAC40 terminant au plus bas de l’année. La clôture était absolument IMMONDE d’un point de vue graphique.

Sauf qu’il y a deux manières d’interpréter le mot récession.

Le rebond américain

Hier, à l’heure où New-York ouvrait, le monde entier était d’accord sur le fait que le mot « récession » voulait dire qu’on était dans une sacrée merde et que sans les banques centrales, avec une destruction totale de la demande, le système capitaliste allait tomber comme une pomme trop mûre et que la fin était proche. Les indices américains ont donc entamé la séance dans l’ombre de l’Europe, en faisant tout comme l’Europe. Et puis, une fois que l’Europe eût terminé sa journée au fond du trou, sur ou sous les plus bas de l’année, il y a un Américain quelque part qui a lancé une idée un peu folle…

Une idée un peu folle qui partait du principe que si le pétrole se pétait la gueule parce que la demande se dissipait dans l’atmosphère et que le monde entier se mettait à rouler en vélo, à économiser l’électricité, manger local et ne plus prendre l’avion pour partir en vacances, ainsi que de plus rien commander sur le net qui pourrait être livré par bateau qui marche au diesel… Eh bien du coup, l’inflation allait disparaître comme par enchantement, comme si l’équipe d’Harry Potter à Poudlard avait bossé en même temps pour la faire disparaître à coup de baguette magique. Et si l’inflation se diluait dans l’atmosphère, la FED n’aurait plus besoin de monter les taux. JAMAIS. Ils pourraient même devoir les baisser. Sans compter que pendant en bref instant hier, nous avons vécu une inversion de la courbe du 10 ans et du 2 ans, confirmant une nouvelle fois que la récession arrivait au galop. Même si d’habitude on se préoccupe de ce signal seulement quand ça nous arrange, cette fois on s’est clairement dit que dans ces conditions, la FED ne pouvait être que notre amie et que Powell était quand même un chic type.

Le retour de la croissance

Dans cette ambiance de joie et de bonheur où soudainement l’on vit Powell descendre du ciel pour ouvrir les flots de l’Atlantique pour que les gens puissent aller en vélo aux USA pour ne pas faire du mal à l’empreinte carbone et qu’ensuite il est allé multiplier les promesses de baisses de taux comme Jésus avait multiplié les pains et les litres de pinard, les marchés ont fait un virage à 180 degrés et on fait exactement l’inverse de ce qu’ont fait les indices du vieux continent. Les titres de la tech dont plus personne ne voulait sont redevenus à la mode et soudainement, on était ébahi par le fait que les rendements du 10 ans repartaient à la baisse et que du coup, les values étaient moins à la mode que les titres de croissance.

La séance d’hier aura extraordinaire dans le sens où l’on a pratiquement appliqué toutes les théories économiques en les traduisant en performances boursière en l’espace d’une journée sans avoir aucune information concrète, si ce n’est de la spéculation et de l’interprétation. Sans oublier que ce soir nous aurons les minutes du FOMC Meeting qui devraient confirmer que Powell a tellement envie de ramener l’inflation à 2% qu’il n’est pas exclu qu’il nous dise que « Whatever it takes, je vais faire baisser l’inflation et le reste je m’en tape ». En tous cas, le pétrole a donc décidé de participer à l’effort de guerre pour aller dans cette direction. Le prix de l’essence aux USA est en baisse constante depuis 21 jours et le prix de l’essence en Europe est toujours au top, alors que l’on se demande si c’est bien de baisser les prix et de donner des mauvaises habitudes aux automobilistes, vu que de toutes façons on va bientôt leur interdire de rouler.

Le reste

Ce matin l’Asie est plutôt partisane du fait que l’inflation va faire mal et que même si les taux ne montent plus jamais ; pas sûr que ça suffise. Les trois indices sont tous en baisse d’en moyenne 1.2%. Le pétrole est à 100$, l’or est à 1766$ – vu qu’il n’y aura plus jamais d’inflation avec le pétrole à 45$ l’an prochain et le Bitcoin est à 20’000$ – comme tous les matins.

Dans les nouvelles du jour, on retiendra que la proposition de Biden de supprimer les taxes fédérales sur les carburants a été rejetée. Ben forcément, maintenant que ça baisse autant que ces idiots d’automobilistes continuent à payer des impôts. On va pas leur faire des cadeaux. Autrement Boris Johnson est à nouveau mal pris alors que plusieurs Ministres foutent le camp. Mais ça ne fait d’effet à personne. Pour le reste on parle du pétrole, de l’inflation, de la récession et du fait que les Minutes du FOMC Meeting qui seront publiées ce soir vont nous changer la vie. Jusqu’aux non-farm payrolls de vendredi.

Il y aura néanmoins plein d’autres chiffres et la BCE qui devrait parler. Aux USA nous aurons les JOLTS, mais aussi l’ISM non-manufacturier et le PMI des services. Je n’ose même pas imaginer l’interprétation qui pourrait en être faite. Pour l’instant, les futures sont en baisse de 0.16%, l’Asie est dans le rouge et le pétrole, cliniquement mort.

Il me reste à vous souhaiter une très belle journée et on se revoit demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Success is not final; failure is not fatal: It is the courage to continue that counts. » -Winston S. Churchill