Oubliée, la guerre en Ukraine. Oubliée, l’inflation qui pourrait mettre à genoux le consommateur. Oubliées, les tensions avec la Chine. Oublié, le ralentissement chinois. Oublié, le pétrole qui devait aller à 180$. Oubliés aussi, les risques de récession. Oublié bien sûr, le ralentissement annoncé par bien des sociétés du S&P500. Presque oubliée, la hausse des taux qui rendait l’argent plus cher et qui freinait la croissance. Et évidemment, oublié également, le fait que l’économie américaine a eu deux trimestre de PIB négatif. Incroyable comme une inflation qui passe de 9.1% à 8.5% - soit 0.6% de moins peut transformer l’esprit de l’investisseur.

L’Audio du 11 août 2022

Télécharger le podcast

On a gagné, on a gagné, les doigts dans le nez

La FED a donc fait le job. Powell n’a pas encore été canonisé par les instances du Vatican, mais selon les informations du Wall Street Journal, ça ne saurait tarder. Hier les chiffres de l’inflation américaine ont donc démontré que les hausses de taux massives que la FED a mis en place depuis le début de l’année ont eu l’impact attendu et les plus optimistes ne cachaient pas leur joie en rachetant tout et n’importe quoi pour autant qu’il y ait de la croissance dedans. On a vécu une avalanche d’explosion sur des actions qui avaient été reléguées au stade de « daube sans espoir » et qui viennent de redevenir la solution absolue pour devenir très riche et très vite.

Alors oui, je m’emballe et comme d’habitude, j’exagère dans mes propos. Mais hier les marchés ont obtenu exactement ce qu’ils voulaient obtenir : un signe comme quoi l’inflation était en train de ralentir et que les actions de la FED fonctionnaient comme prévu. Depuis quelques mois on attendait clairement ce signe des Dieux pour nous annoncer officiellement le retour de la croissance, des oiseaux qui chantent et du soleil qui brille dans le ciel. C’est le retour du printemps sur les bourses mondiales. Oui, hier soir le Nasdaq est sorti du Bear Market et « techniquement » nous entrons dans un nouveau Bull Market. Oui, hier le Dow Jones est sorti de sa zone de correction et oui, hier Disney a pulvérisé les attentes du trimestre, rattrapé Netflix du côté du nombre d’abonnés et gagnait encore 8% de plus hier soir after close.

On n’ose à peine rêver

Les chiffres de l’inflation ont donc baissé – comme prévu. Même plus que prévu, puisque les analystes attendaient un chiffre à 8.7% et que c’est sorti à 8.5%, ce qui est donc massivement mieux qu’attendu ! Le Core CPI n’est même pas monté comme on le craignait et reste à 5.9% – même si certains éternels négatifs pensent que ça n’est pas encore gagné et qu’il pourrait reprendre sa hausse sur les chiffres de fin août – ce matin on s’en fout du négatif et l’on se prend à rêver d’un jour où la FED va commencer à se montrer moins agressive et va parler de ralentissement dans le cycle de hausse des taux. Les plus fous et les plus optimistes se prennent même à oser imaginer qu’un jour Powell descendra du ciel et annoncera même qu’il va baisser les taux, marquant la fin d’une période noire et déprimante. Ça ne veut pas dire que les problèmes économiques dans lesquels nous sommes sont réglés et que l’avenir est rose pour la classe moyenne, tout comme pour la population ukrainienne, mais disons qu’hier on se foutait pas mal du reste et la seule chose qui intéressait les investisseurs c’est le fait que le CPI était en baisse et que – selon les derniers sondages, 60% des sondés pensent que la FED va MOINS monter les taux que d’habitude lors de son prochain meeting du 20 et 21 septembre.

Hier le seul truc qui était à contre-courant du reste de l’euphorie des marchés ; c’était Sanofi qui se faisait démonter de 8% parce qu’ils mettaient la pédale douce sur le développement d’un médicament et parce que l’UBS downgradait l’action. Pour le reste, c’était la fête au village et autant on est capable de tout vendre à vil prix quand tout va mal, autant nous sommes capables d’acheter n’importe quoi la tête dans un sac quand il y a le moindre rayon de soleil à l’horizon. Si vous avez un doute, je vous laisse observer le comportement de titres comme Roblox ou Coinbase. Les deux étaient au fond du bac mardi soir après avoir publié des chiffres pourris pour le trimestre et en clôture APRÈS la publication du CPI, tout était oublié et pardonné. La croissance était à l’honneur et nous étions à l’aube d’un nouveau cycle où les Bulls allaient piétiner les Bears avant d’humilier encore une fois Nouriel Roubini et ses prévisions apocalyptiques. Pourtant, on sent quand même que personne n’y croit vraiment.

Un Bear Market Undercover

Les chiffres étaient meilleurs, l’inflation semble avoir fait son top et c’est bien. C’est bien, mais c’est quand même encore 8.5% d’inflation. Nous sommes encore loin des 2% que la FED aimerait voir s’afficher sur le compteur de vitesse de l’inflation et sur la liste de shopping des consommateurs américains – pendant que tout le monde se tape dans le dos à cause des « bons chiffres du CPI » – le prix du beurre est en hausse de 26% et le prix des œufs grimpe de 38% sur une année. Alors vous me direz qu’ils n’ont qu’à arrêter de manger du beurre et des œufs et que ça sera meilleur pour leur cholestérol, mais disons tout de même que tout n’est pas tout rose dans les publications d’hier.

Et c’est sûrement ça qui donnait l’impression que la joie d’hier n’était pas partagée par tout le monde. D’ailleurs lorsque l’on voyait les commentaires dans le camp de sceptiques, on sentait bien que l’on ne voulait pas trop y croire et les observateurs avaient même tendance à dire qu’il faudrait un peu « plus que ça » pour que la FED commence à changer son fusil d’épaule. Difficile de prendre un pari à cet instant précis puisque nous n’avons clairement pas encore assez de visibilité, mais lorsque l’on regarde le passé, on se rend compte que si l’on se projette 12 mois après que le Nasdaq soit sorti d’un Bear Market, la performance moyenne est de 23%.

Ça, c’était pour la bonne nouvelle. La mauvaise c’est qu’historiquement, après une correction massive comme nous avons eu ces derniers temps, les rebonds sont fréquents, imposants et souvent violents. Sauf que ça ne marche généralement pas du premier coup. Après la bulle internet nous avions déjà vécu une explosion pareille avant de retourner faire des « new lows », tout comme nous l’avions fait en 2008-2009. Comme d’habitude, dans le monde merveilleux de la finance, il va falloir sortir l’arme fatale contre le doute :

– La pièce de monnaie et faire un bon vieux pile ou face.

En résumé, les chiffres d’hier étaient bons, mais ne démontraient pas encore suffisamment clairement que tout soit derrière nous. Il y a encore des échéances qui nous attendent et c’est comme quand vous commencez une cure avec les alcooliques anonymes, c’est pas parce que vous n’avez rien bu pendant 3 semaines, que c’est définitivement réglé. C’est bien. Mais c’est pas gagné.

Pour le reste

Ce matin l’Asie est en hausse pour fêter les chiffres d’hier. Hong Kong avance de 1.7% et la Chine à peine moins. Le pétrole est à 91.5$, le Bitcoin est au-dessus des 24’000$ et l’or est à 1’800$. On parle beaucoup de Musk et de ses 7 milliards de dollars d’encaissé après la vente de ses actions Tesla et tout le monde est en train de parier sur le fait que le milliardaire est en train de se préparer au cas où on le forçait à racheter Twitter. Twitter qui reprenait d’ailleurs 3.7% sur ces espoirs. Autrement autant vous dire que tout le monde ne parle que du CPI et même le fait que Madame Daly de la FED de San Francisco annonce qu’il est trop tôt pour crier victoire, ne change rien aux futures qui sont déjà en hausse de 0.17%.

En résumé, tout ce qui vient de se passer est fantastique et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes de la FED, mais on sent quand même une certaine retenue dans l’esprit de certains. Cathie Wood pense que l’inflation va baisser plus que prévu, même si elle pense aussi que nous sommes déjà dans une récession, ce que le gouvernement américain nie farouchement. Et en même temps, on aimerait quand même bien que le pire soit derrière nous. En ce qui me concerne je vais continuer à porter le casque encore quelques temps, histoire de me prémunir contre les mauvaises surprises et les claques éventuelles et on va voir au fur et à mesure…

Comme disait l’autre : qui va piano, va sano.

Passez une excellente journée et à demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Anyone who stops learning is old, whether at twenty or eighty. Anyone who keeps learning stays young. The greatest thing in life is to keep your mind young.”

– Henry Ford