Hier il faisait grand soleil. Ce genre de journée qui fait sentir que le printemps est de retour et que l’on va enfin pouvoir porter autre chose que des bonnets et des gants. Quand le soleil brille comme ça, il y a quelque chose qui vous donne l’impression de rajeunir et c’est exactement ce sentiment que j’avais hier. Ça en plus du fait que la crise des banques nous a soudainement propulsé en 2008. Le 14 septembre 2008 pour être précis. Le jour où on nous avait dit que « tout allait bien et que rien ne pouvait impacter le système bancaire qui était solide comme un rock ». C’est alors que le lendemain un type de chez Lehman est arrivé en disant : « Euh, dites-voir… à propos de solidité ».

L’Audio du 16 mars 2023

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Lehman moment

En ce milieu de mois de mars, alors qu’il y a quelques jours encore, nous étions obsédés par la hausse des taux, l’inflation et le niveau terminal des FED FUNDS, nous avons été brutalement projetés dans le passé. À l’époque de la crise des Subprimes pour être plus précis. À cet instant très précis où l’on s’était rendu compte que les banques qui étaient censées représenter la confiance et la stabilité sans borne de l’économie, n’étaient peut-être pas finalement aussi stables que l’on avait pu le penser et que ça n’était pas parce que certaines d’entre-elles avaient des logos partout sur des Formule Un que tout allait bien. Non, en ce temps-là, on s’est rapidement rendu compte qu’à force de jouer à « Greed is Good » pour de vrai, on s’était rapidement embourbé dans des montagnes de produits structurés et que l’on ne savait plus vraiment ce que cela représentait comme risque. Ce que l’on savait – en revanche – c’est que la moindre étincelle pouvait facilement allumer le feu ! – comme disait l’autre.

Et en 2008, l’étincelle c’était Lehman Brothers qui nous l’avait donnée. Ensuite tout est parti en vrille et pendant plusieurs mois, les banquiers n’osaient même plus dire qu’ils étaient banquiers. Sauf qu’aujourd’hui, c’est pas tout à fait pareil, parce que comme le disait Monsieur Templeton, c’est différent. La rapide hausse des taux d’intérêt a commencé à mettre certaines banques en délicatesse avec leurs liquidités et ensuite quand il y a eu des retraits et quelques rumeurs sur la solidité de ces dernières, tout le monde a foutu le camp et le château de cartes s’est effondré. Non, parce qu’il y a un truc de super intéressant à savoir ; c’est que quand une banque n’a plus assez de cash pour donner à ses clients qui veulent bêtement le récupérer, ils peuvent puiser dans les liquidités qu’ils ont investies dans des obligations d’état. Sauf que si vous avez investi des milliards dans de bonds qui payaient des coupons de 1.5%, ça vaut forcément moins cher quand le coupon actuel est à 4%, la perte accumulée sur la vente forcée peu donc rapidement prendre l’ascenseur. C’est ce qui s’est passé pour la SVB. Et hier, pour le Crédit Suisse, c’était plus ou moins pareil. Même si c’était un peu différent.

C’est un non ferme et définitif

Depuis l’effondrement de SVB la semaine dernière, on ne va pas se mentir, on cherchait un peu qui pourrait bien être le prochain domino à se péter la gueule dans le système bancaire, même si l’on ne s’attendait pas forcément à que ce soit une banque suisse. Oui, parce que d’abord y en n’a point comme nous et qu’ensuite, on a un peu inventé le secret bancaire et que ce genre de situation, ça n’arrive qu’aux autres parce que chez nous, la FINMA et la BNS font un boulot de malades pour bien nous contrôler afin qu’il n’y ait pas de soucis – de bleu. Sauf que comme disait la « Loi de Murphy » : ce qui ne doit pas arriver, arrive forcément un jour. Et c’est un évènement mineur qui a déclenché l’effondrement du Crédit Suisse qui aura quand même fini la journée en baise de 24.24% à 1.70 CHF. Hier, leur actionnaire principal, la Saudi National Bank a déclaré a déclaré à Bloomberg TV qu’elle n’envisageait «absolument pas» de lui fournir des liquidités supplémentaires, si la banque suisse en faisait la demande.

À partir de là, on s’est dit que le Crédit Suisse n’aurait pas assez de cash pour assurer les retraits des clients et qu’en plus, en fouillant le bilan on a découvert qu’il existait une astuce comptable pour parquer des obligations d’état en les évaluant au pair – si l’on comptait les garder jusqu’à échéance. Laissant supposer qu’en cas d’utilisation de cet argent en cas de coup dur, cela provoquerait instantanément une perte abyssale. Bref, la peur associée au fait que tout le monde semblait laisser tomber la banque aux deux voiles s’est effondrée jusqu’à 30% durant la séance et son CDS est monté jusqu’à 1200 points de base, laissant supposer qu’un « évènement de crédit » pourrait se produire rapidement. Pas forcément la faillite, bien que le gars qui achète des CDS à ce niveau, il ne parie sur le fait que seul évènement de crédit, pourrait être l’annonce que le numéro deux helvétique change son logo et remplace les deux voiles par une barque et deux rames.

La contagion

Du coup, comme d’habitude dans le monde merveilleux de la finance, lorsqu’une banque est SUPPOSÉE partir en cacahuètes, c’est tout le secteur qui se fait défoncer. En dehors du Crédit Suisse qui était en état de mort cérébrale pendant un instant, il y avait l’UBS qui perdait 8.72%, la Société Générale qui plongeait de 12.18% et pendant un moment on aurait dit que Kerviel était de retour avec Sarkozy qui passait les ordres derrière, l’autre banque française qui a un logo vert reculait de 10% pendant que Nono Le Maire disait « calm down, calm down » sur Twitter. Il est vrai qu’en ce qui concerne la France, le risque de « Bank Run » est assez limité, parce que je ne sais pas si vous avez essayé de retirer plus de 1’000 Euros en cash dans la journée, mais vous verrez vite que pour vider les caisses du Crédit Agricole, il va vous falloir un moment.

Mais peu importe, vous l’aurez compris, hier c’était le bain de sang dans le secteur bancaire européen et l’ensemble des indices du Vieux Continent se sont fait massacrer. Le CAC40 a cassé sa tendance haussière générée par les ventes de sacs à main depuis le début de l’année, le DAX a perdu 1000 points en 5 jours et l’Italie est au fond du bac aussi. En Suisse, le SMI n’a perdu que 1.87% parce que le Crédit Suisse ne représente plus rien dans l’indice depuis bien longtemps, mais le graphique de l’indice helvétique est tellement moche que ça donne envie de se faire des milk-shake à la dramamine pour éviter de vomir d’ici le week-end.

L’angoisse est à son comble

Heureusement, il y a un truc qui s’appelle le décalage horaire qui aura au moins sauvé les fesses du marché américain. Oui, parce qu’alors que les marchés européens terminaient leurs séances au fond du trou en se demandant : « qui sera la prochaine banque à finir en faillite après le Crédit Suisse » ainsi que « mais PUTAIN que font la BNS et la FINMA ??? Pourquoi ils ne viennent pas dire qu’ils vont sauver le Crédit Suisse ??? », les Américains, eux, étaient toujours ouverts. Mal en point, certes. Parce que les banques se faisaient également défoncer là-bas et que Roubini avait même trouvé l’occasion de parler pour venir dire que l’on ne pourrait JAMAIS sauver le Crédit Suisse parce que le système de fédéralisme qui est en place en Suisse ne le permettrait jamais…

Et c’est là qu’on aurait dû se méfier. Au moment où Roubini vient nous annoncer que l’on va tous mourir à cause de la Suisse, du fédéralisme, du Crédit Suisse et des élastiques de jambes de l’armée suisse, la BNS et la FINMA sont arrivés « aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire » pour dire qu’ils feraient « whatever it takes » pour sauver le soldat Crédit Suisse. Sauf que l’Europe était fermée et c’est donc les USA qui ont bénéficié de l’annonce et qui n’ont terminé que légèrement en baisse. Bref, le Crédit Suisse n’est pas en faillite ce matin et ils ont même emprunté 54 milliards de dollars à court terme auprès de la BNS afin d’utiliser ces liquidités pour reconstruire une banque plus simple et plus tournée vers les clients. Les autorités helvétiques ont également confirmé que le Crédit Suisse remplissait tous les critères d’une banque solide et qu’il n’y avait pas de risque de contagion en Suisse. Ailleurs c’est autre chose et on n’a probablement pas fini d’en parler.

En Asie

Ce matin en Asie, on continue de subir les répercussions de la séance d’hier. Le Nikkei baisse de 1.04%, le Hang Seng abandonne 1.51% et la Chine recule de 0.49%, ils n’ont probablement pas entendu les nouvelles qui proviennent de Berne et c’est pour ça que ça vend encore un peu. De l’autre côté, les futures sont en hausse de 0.5% et le Crédit Suisse devrait remonter légèrement à l’ouverture.

Du côté du pétrole, c’est le bain de sang également. On a l’impression que les gens ont peur que les Saoudiens ne puissent pas faire face à une crise de liquidité sur le baril. Le WTI est en chute libre à 68.36$. Nous sommes de retour sur les niveaux de décembre 2021 et les intervenants commencent à penser que la crise bancaire, plus les taux d’intérêt vont inévitablement nous projeter dans une récession de derrière les fagots – pour autant que Biden et Yellen ne nous réécrivent pas une nouvelle définition de la récession d’ici-là. Les valeurs refuge que sont l’or et le Bitcoin sont stables – 1917$ pour l’un et 24’400$ pour l’autre.

Nouvelles du jour

La nouvelle du jour c’est donc la BNS qui joue le sauveur du Crédit Suisse qui va donc pouvoir emprunter 54 milliards de dollars pour assurer ses arrières. Je vous préviens tout de suite, n’appelez pas la BNS pour emprunter 200’000 CHF à 0% pour acheter la dernière RS6, la BNS ne bosse pas avec les privés et ne s’occupe que des banques qui ont des casseroles. Ce prêt devrait pouvoir « un peu » rassurer tout le monde face au problème du Crédit Suisse, mais pas forcément calmer le jeu pour le reste. D’ailleurs nous avons déjà eu le patron de Blackrock qui exprime ses craintes sur le secteur des banques régionales américaines et un des stratèges de JP Morgan qui déclare que nous ne sommes pas encore sortis du bois. On peut donc clairement estimer que la crise bancaire n’est pas terminée et qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

Pendant ce temps, le FMI met une ligne de crédit de 15.6 milliards à disposition de l’Ukraine. Comme quoi c’est quand même plus facile d’emprunter des milliards que faire augmenter sa limite de crédit sur sa carte Migros. Et puis, on commence à prendre les paris sur la réunion de la FED la semaine prochaine. Actuellement, on s’attend à une hausse de 0.25%, mais tout le monde pense qu’il y a une possibilité de voir les taux rester inchangés pour palier à l’actuelle crise bancaire, puisque bien des intervenants expliquent l’effondrement des banques par la hausse rapides des taux. Cependant, hier soir les ventes de détails étaient légèrement plus faibles aux USA (même si tout le monde s’en foutait à cause des banques), mais qu’au-delà de la faiblesse, en décortiquant les chiffres, on arrivait à dire que l’économie va quand même bien ! Peut-être trop bien pour la FED qui doit dorénavant calculer avec le risque d’inflation et le risque de faire capoter le système bancaire.

Les premiers à faire le baptême du feu en pleine crise bancaire sera donc la BCE qui devrait annoncer une hausse de 0.5% cette après-midi. Ou pas. Je dis « ou pas » parce que nous en sommes convaincus depuis des mois, mais là depuis une semaine, on a l’impression que nous sommes dans un nouveau monde où les règles ne sont plus les mêmes ! Le suspense est donc total, Madame Lagarde aura-t-elle le courage de changer les règles ? Réponse dans quelques heures.

Les chiffres du jour

Côté chiffres économiques, nous aurons le SECO en Suisse, la BCE qui publiera sa décision sur les taux et Lagarde qui parlera ensuite. Aux USA nous aurons les permis de construire et les nouvelles mises en chantier et puis il y aura aussi les Jobless Claims, histoire de voir la santé de l’économie aux States, sans oublier le Philly Fed.

Nous sommes donc en pleine crise bancaire. Le Crédit Suisse pourrait ne plus être la préoccupation immédiate et la question que l’on peut se poser est la suivante :

« À qui le tour ??? ».

Passez une excellente journée et on se retrouve demain pour faire le point !

Thomas Veillet
Investir.ch

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