Nous vivons définitivement une époque formidable. Dans l’économie dans laquelle nous sommes, c’est en général « chacun pour soi » et si vous lancez une boîte en tant qu’indépendant, vous pouvez être certain que l’état et l’administration vont vous tomber dessus pour récupérer le premier centime que vous gagnerez et ils ne vous lâcheront jamais. Si un jour vous avez des problèmes de trésorerie, les banques vous tourneront le dos dans la seconde et si vous faites faillite, le chômage ne vous donnera pas le moindre centime. PAR CONTRE, si vous êtes une banque ça n’est pas pareil. Là, vous pourrez compter sur tous les soutiens possibles. Qu’il est bon d’être un risque systémique.

L’Audio du 17 mars 2023

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Saved by the BNS

Le Crédit Suisse a donc été « sauvé » par la BNS. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d’emprunter ne serait-ce que 5’000 CHF alors que votre entreprise est en difficulté, mais si vous l’avez fait, vous devez déjà avoir vu le regard dégoûté de votre banquier lorsqu’il voit que vous êtes en train de lutter. En revanche, si vous êtes une banque qui a été condamnée pénalement pour avoir aidé des barons de la drogue à blanchir de l’argent, que vous avez pataugé dans une histoire de corruption au Mozambique, que vous avez collé un détective aux fesses d’un de vos anciens employés. Qu’il y a eu des fuites massives de données clients dans les médias, que vous avez été associé à l’effondrement de Greensill et Archegos, il vous suffira de présenter votre carte de membre des « 30 banques qui sont TOO BIG TO FAIL » en passant la porte de la BNS et les milliards commenceront à tomber comme s’il en pleuvait.

La seconde banque suisse – pour autant que l’on puisse encore l’appeler comme ça – a donc obtenu ce qu’elle voulait et les bourses mondiales ont salué la chose. Le rebond de 17% en clôture semble avoir rassuré certains investisseurs, mais le niveau des CDS n’a pas vraiment baissé, ce qui laisse à penser que les gens veulent bien retourner sur le Crédit Suisse, mais pas sans parachute quand même et, ce même si la BNS (connue aussi sous le nom de « plus gros Hedge Fund du monde »), confirme que tout va bien dans le meilleur des mondes et surtout au Crédit Suisse. De là à dire que le Crédit Suisse va mieux que les autres, il y a quand même un pas que la BNS ne franchira pas. Le CEO de la banque suisse a également voulu se montrer rassurant, puisqu’il a déclaré que : « Ces mesures constituent une action décisive pour renforcer Crédit Suisse alors que nous poursuivons notre transformation stratégique afin d’apporter de la valeur à nos clients et aux autres parties prenantes ».

Ce à quoi je serais tenté de lui répondre : « et autrement, vous avez fait quoi jusque-là ? Si vous n’avez pas tenté d’apporter de la valeur à vos clients ? »… Ok, je sors. Je sors, mais il restera encore un truc à faire que la BNS ne PEUT PAS FAIRE, c’est restaurer la confiance des clients qui l’ont perdue. Et là : bonne chance les gars !

La partie n’est pas terminée

Bref, le Crédit Suisse a été sauvé par la BNS, la FINMA et les autorités suisse et c’est très bien. C’est pas forcément très juste pour les autres entreprises, mais il fallait faire banque et pas restaurant ou salon de coiffure. Les banques sont toujours plus égales que les autres et à la fin c’est quand même nous qui payons parce qu’on a besoin des banques, elles sont tellement fortes à ce qu’elles font. On a bien vu en 2008. Et puis, ça n’est pas fini, parce que dans le rebond orchestré avec le sauvetage du Crédit Suisse, aux États-Unis on a réussi à faire presque mieux en inventant la mutualisation des banques. En effet, hier un conglomérat de plusieurs grandes banques contenant des noms comme JP Morgan, Citi, Bank of America ou encore Wells Fargo, ont décidé de mettre 30 milliards de liquidités à disposition de la First Republic pour lui éviter de se retrouver dans une crise similaire à celle de SVB de créer une nouvelle angoisse sur le marché.

Oui, parce qu’il ne faut pas vous méprendre, si ces « grosses banques » volent à la rescousse des plus petites, c’est pas par grandeur d’âme et par solidarité. C’est simplement que les grosses sont terrifiées que l’effondrement des plus petites structures déclenchent une contagion qui va faire tellement chaud aux fesses, qu’ils puissent se retrouver eux aussi en difficulté, quand tous leurs clients vont acheter du Bitcoin, « parce qu’on est quand même plus en sécurité en achetant un truc qui est complètement hors système, surtout quand le système est en train de partir en sucette pour la troisième fois en quinze ans !!! »…

Non parce qu’hier il y a un gars qui fait partie des grosses banques qui sont en train de filer du fric à la First Republic qui disait : « vous savez, il faut bien comprendre que les banques veillent les unes sur les autres »… MAIS TE FOUS PAS DE NOUS !!! Vous ne veillez pas les uns sur les autres, vous couvrez votre cul pour ne pas que ça dégénère et pis c’est tout !!!

À la fin ça monte et les supports ont tenu

Mais peu importe, le fait de voir le Crédit Suisse sauvé et de voir que les banques sont toutes amies entre elles et se font des papouilles quand ça ne va pas, a rassuré les marchés et c’était donc la fête au village après quelques journées compliquées. Ça n’est sûrement pas terminé, mais pour l’instant, nous avons eu une journée de répit – ce qui montre bien que l’investisseur actuel a définitivement une vision à trois minutes et qu’à côté de lui, un poisson rouge a tendance à avoir un peu plus de mémoire. Toujours est-il que les marchés ont rebondi là où il fallait. Le S&P500 a parfaitement pris appui sur la tendance descendante, puis il a cassé la moyenne des 200 jours en remontant, puis s’est arrêté pile poil sur celle des 50 jours. Reste plus qu’à voir si l’énorme échéance options de ce vendredi va lui permettre de casser plus haut encore, puisqu’une valeur de 2’800 milliards de dollars arrive à échéance ce soir.

Je ne sais pas si ça va changer quoi que ce soit, mais disons que j’ai déjà souvent entendu des déclarations dithyrambiques à l’approche d’une quadruple échéance, signalant des tremblements de terre sans précédent et puis le vendredi soir on se regardait en se disant : « t’as senti quelque chose toi ? Non, ben moi non plus ». Mais toujours est-il que je ne ferais pas correctement mon job de chroniqueur boursier syndiqué si je ne vous collais pas un paragraphe sur la quadruple échéance de ce jour. Et puis ça vous fera un truc à raconter à l’apéro de ce soir après la sortie en peaux de phoques.

Tout ça pour dire qu’hier nous sommes remontés et que si ça se trouve, on va s’en sortir – de cette crise bancaire – espérons juste que ce n’est pas le même sentiment que nous avions le 14 septembre 2008 à la clôture. Mais on dirait que cette fois c’est différent parce que les banques sont toutes gentilles et elles bossent toutes main dans la main en chantant des chansons tirées de la Reine des Neiges et de la Petite Sirène pour se donner du cœur à l’ouvrage.

En Asie..

Ce matin en Asie on suit le mouvement amorcé partout en Occident et on salue les sauvetages en série. Le Japon est en hausse de 0.95%, Hong-Kong grimpe de 1.8% et la Chine avance de près de 1.6% et Baidu explose de 15% à cause de l’intégration de leur ChatGPT maison dans leur système ce qui devrait sûrement changer la face du monde. Ça fait plaisir de voir que maintenant que la crise des banques est réglée, on a tout de suite repris le rythme de la spéculation effrénée sur l’Intelligence Artificielle. Manquerait plus que l’inflation baisse et que les taux ne montent plus et Hannibal Smith pourra s’allumer un cigare en se disant que ce plan bricolé à la va-vite se déroule quand même sans accroc, finalement. Pour le reste, le pétrole remonte un poil et se traite autour de 69.12$. L’or est à 1932$ et le Bitcoin frise à nouveau les 26’000$ alors que de plus en plus de gens qui sortent leur argent du Crédit Suisse achètent des cryptos pour être rassurés – non, bon, d’accord, là je dis n’importe quoi, mais n’empêche que l’on a l’impression que les cryptos sont devenues plus sécurisantes que les banques. Enfin, sauf FTX…

Et puis pendant que l’on s’extasiait sur les ratios du Crédit Suisse et la solidarité entre banques qui est tellement sans bornes qu’on dirait Emmanuel Macron qui distribue du cash partout dans le monde sauf en France, il y avait DAME LAGARDE qui parlait hier soir et comme on dit dans la haute finance mondiale : « Si tu ne viens pas à Lagarde, Lagarde ira à toi ! » – Hier la patronne de la BCE est donc venue à nous pour nous confirmer que les taux montaient de 0.5%, comme prévu. Mais en revanche, elle n’a pas dit ce qu’elle ferait la prochaine fois, histoire de conserver le suspense. Elle a spécifié qu’elle ne pouvait pas ne pas monter les taux compte tenu de l’inflation, mais que là elle va voir en fonction de la suite des évènements. Oui, parce que dorénavant, le challenge sera de savoir et de voir ce que la FED va faire la semaine prochaine.

Pour le moment, tout le monde parie sur une hausse de 0.25% pour freiner l’inflation, mais en même temps, le « même tout le monde » se dit que la crise bancaire – qui est presque finie, d’accord, d’accord – la crise bancaire va donc forcément pousser les banques à être plus pointilleuses pour prêter de l’argent (oui, je sais c’est l’hôpital qui se fout de la charité, bienvenue dans le monde merveilleux du capitalisme bancaire) et si les banques prêtent moins, les consommateurs vont dépenser moins et si les consommateurs dépensent moins, l’inflation va moins monter. Voire même baisser. CQFD ! Et voilà, la magie a encore fonctionné !! Moi, je vous le dis : Harry Potter, c’est un gros naze quand on voit ce que les gouvernements et les banques centrales sont capables de faire !!! Tout ça pour dire que si ça se trouve la semaine prochaine, la FED tourne DOVISH, arrête de monter les taux et dans trois semaines l’inflation est à 2% et Powell reçoit le Nobel d’économie.

Les nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, tout le monde parle du FABULEUX sauvetage interbanque qui a été annoncé et qui fait passer les Restos du Cœur pour des amateurs. Et puis autrement on parle de politique dictatoriale, puisque Xi-Jinping est en train de prendre encore un peu plus de pouvoir puisque La Chine a dévoilé des réformes qui permettront au président Xi Jinping d’exercer un contrôle plus direct sur le gouvernement dans des domaines allant du secteur financier à l’intégration des technologies à des fins civiles et militaires. En gros, une dictature de plus en démocratique. Et Macron fait de même puisque la nouvelle loi sur les retraites a été passée en force par la sémillante et pétillante Elisabeth Borne qui a utilisé le 49.3 pour faire passer sa loi – c’est la douzième fois qu’ils font le coup aux Français. Manu a dû potasser le petit livre rouge plus d’une fois.

Et puis, autrement, dans le sillage de Biden, Madame Yellen a déclaré hier que le secteur bancaire américain était solide et que le bon peuple américain peut avoir confiance et que tout va bien se passer. C’est d’ailleurs parce que le système bancaire va super bien que les banques se mutualisent pour se sauver le cul et que la FED met en place des lignes de crédit dans tous les sens et tout ça en organisant des projections privées de « The Big Short » pour savoir comment ça s’est passé en 2008. On notera aussi – au passage – que Goldman Sachs estime que la crise des banques AUGMENTE le risque de récession de 10% et que dorénavant, il y a 35% de chance que nous y allions dans les 12 mois à venir. Pendant ce temps, la courbe des taux est inversée depuis des mois et tout le monde s’en tape.

Chiffres du jour

Côté chiffres du jour, mis à part la quadruple échéance d’aujourd’hui, il y aura aussi le CPI en Europe, puis les chiffres de la confiance du consommateur version Michigan, histoire de voir si l’Américain moyen compte acheter un congélateur, réponse A : dans six mois, réponse B : dans 5 ans ou réponse C : Je suis actuellement en train de ramener ledit congélateur à la maison grâce à mon nouveau pick-up de 700 chevaux. Ce qui devrait nous permettre de voir de quoi demain sera fait avec ces chiffres très précis.

En ce qui me concerne, je vais vous laisser vaquer à vos occupations et partir en week-end. Je vous retrouve donc lundi matin à la même heure et au même endroit. Que la force soit avec vous et n’oubliez pas de soutenir le Crédit Suisse si vous en avez l’occasion, ça changera de l’Ukraine pour une fois.

À lundi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“To live is the rarest thing in the world. Most people exist, that is all.”

– Oscar Wilde