Je dois avouer que j’adore ce métier et que j’adore ce milieu. Cette capacité que nous avons à être optimiste envers et contre tout le lundi et de tourner la veste pour chercher la petite bête sur n’importe quoi le mardi est toujours absolument fascinant et donne vraiment envie de se lever le matin pour voir ce que « le marché » a bien pu avoir comme idée pendant la nuit. J’avoue aussi que je suis très mauvais en statistiques et que parfois ma mémoire me fait défaut, mais il me semble quand même que ça faisait un moment que la baisse n’avait pas été aussi forte et le sentiment tout pourri comme ça. Si j’osais, je dirais que nous sommes passé du verre à moitié plein au verre à moitié vide.

L’Audio du 24 mai 2023

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L’immobilisme comme religion

Tout d’abord, vous le savez, à l’heure actuelle il est absolument interdit par les autorités régulant le secteur des chroniques boursières, de commencer une chronique journalière sans faire un « update » sur les discussions menées par les Républicains et les Démocrates afin de savoir à quelle sauce l’économie et le système américain va se faire déglinguer. La thématique du FAMEUX plafond de la dette passe avant toute chose, et il est absolument indispensable que l’on commence par constater et annoncer que la journée d’hier n’aura servi à rien. Les deux camps n’ont pas été foutus de se mettre d’accord sur quoi que ce soit et il semblerait que le mot « concession » ne fasse pas partie du vocabulaire des Républicains. Ni de celui des Démocrates d’ailleurs.

Les clowns tristes et les clowns-clowns se sont donc séparés après des heures de discussions en constatant qu’ils n’avaient pas avancé d’un pouce, mais que ça n’était pas grave parce qu’il reste encore plein de temps pour trouver une solution. Après tout, le 1er juin, ça n’est que dans 7 jours. Le stress était donc largement contenu et on pourrait presque dire que les marchés n’ont même pas baissé à cause de ça. Non. Parce qu’en fait lorsque l’on prend le temps de lire les commentaires des experts et les interrogations de tout un chacun, le problème n’est PLUS tellement de savoir si les USA vont trouver un accord pour ne pas faire défaut, mais de savoir QUAND est-ce qu’ils vont trouver un accord. Mais au-delà de cette relative confiance, les « experts » commencent surtout à se demander s’il y a quelque chose de positif qui va sortir de cette crise de la dette.

Explications

Oui, parce que vous en conviendrez, à l’heure actuelle il y a deux fins alternatives au chaos dans lequel nous sommes :

– Fin alternative numéro un : Les USA font défaut, c’est la merde, la récession nous frappe, la bourse perd 45% (selon la Maison Blanche), l’économie US entre en récession, le reste du monde suit comme un seul homme, parce que : « hey, quand même, c’est les USA ». Mais justement, comme c’est les USA, ils se retroussent les manches, ils « fight back », la FED baisse les taux pour sauver l’économie et l’inflation s’effondre parce que plus personne ne consomme et à la fin, ça remonte…

– Fin alternative numéro deux : Les idiots de droite se mettent d’accord avec les idiots de gauche, on remonte le plafond de la dette et le pays est sauvé. SAUF QUE… Oui, sauf que comme le Trésor Américain est complètement fauché et qu’il faut rapidement remplir les caisses pour faire face aux paiements de la fin du mois, il faut rapidement émettre de nouveaux bons du Trésor pour remplir les caisses de pognonset verser sa part à Zelinsky, comme d’habitude. Le problème c’est que, selon les experts en gestion du budget des Etats-Unis, va falloir emprunter autour des 700 milliards. Et la question que tout le monde est en train de se poser, c’est de savoir QUI va prêter 700 milliards au gouvernement US dans l’urgence ??? Les Russes ? Les Chinois ? À moins que ça soit l’Ukraine qui utilise l’argent donné par Biden pour le lui prêter à des taux de cartes de crédit… Nous avons donc peur que le marché obligataire s’assèche instantanément et qu’un autre problème surgisse : le manque de prêteurs. ET c’est pas tout. C’est pas tout parce qu’au-delà de l’assèchement quasi-instantané du marché, d’autres experts mentionnent le fait que POUR QUE les politiciens se mettent d’accord, il va falloir couper dans les budgets – ce qui veut dire : MOINS DE DÉPENSES et donc ; MOINS de croissance et donc ; craintes de récession exacerbées.

Si l’on doit résumer la réflexion du marché hier, on se rend rapidement compte que sur les deux solutions, il n’y en a aucune de vraiment satisfaisante. Il nous reste donc le choix de trouver une troisième porte de sortie – mais le temps risque de manquer – ou de se préparer à une mauvaise nouvelle ou à une mauvaise nouvelle. Lundi nous étions donc en train de nous dire que ça allait bien se passer et qu’aux USA c’est toujours les gentils qui gagnent à la fin et ce matin, on se demande si l’on doit choisir entre la peste et le choléra. On se croirait presque au second tour des élections françaises. Ce jour où ils savaient que peu importe pour qui ils allaient voter, ils se feraient niquer quand même.

Ralentir la croissance, faire baisser les marchés

Cette soudaine analyse à deux balles qui a frappé le lobbe frontal de nos cerveaux durant la séance d’hier aura donc eu des conséquences immédiates. La première conséquence aura été cette furieuse envie de tourner la veste et de passer dans le camp des « négatifs-râleurs et jamais contents » et l’autre conséquence aura été de se demander quelles pourraient être l’impact direct de ce coup de frein violent mis en place aux USA. Un élément de réponse a immédiatement été proposé par l’analyste « LUXE » de chez Deutsche Bank qui est arrivé avec la déclaration suivante – déclaration qui a été retravaillée par moi-même pour rendre les choses plus claires et plus concises dans le cadre de cette chronique – le Monsieur a donc dit :

« Déjà que les Chinois sont pas au top de leur forme et si l’on tient compte du fait que les USA sont le second marché du luxe derrière la Chine, si un fort ralentissement venait à frapper le pays à cause de la crise de la dette, le marché du luxe qui est déjà saturé et qui contient déjà presque trop d’acteurs. Sans parler du fait que c’est monté de près de 30% depuis le début de l’année, soit autant que l’Intelligence Artificielle – ce qui revient à dire que les sacs à mains se vendent aussi bien qu’un programme qui va vous piquer votre job dans les années à venir – On peut donc logiquement craindre que les investisseurs pourraient avoir envie de se débarrasser de quelques actions dans le secteur »

Alors oui, je l’avoue encore une fois : j’ai clairement enjolivé et romancé la déclaration de l’analyste LUXE de Deutsche Bank, mais c’était pour rendre l’histoire plus digeste. Toujours est-il que tout le secteur s’est fait déglinguer hier. Hermès chutait de plus de 5%, suivi de près par LVMH (-4%). Kering, propriétaire notamment des marques Gucci, Yves Saint Laurent et Balenciaga, qui sous-performait largement le secteur depuis un moment, perdait 2%. Richemont reculait de 1,8% en Suisse. Moncler perdait 2.5% et Burberry chutait de 2%. Autant vous dire que le CAC n’a pas résisté et l’indice de Macronie affichait la pire performance européenne de la journée en abandonnant 1.3%. Sans compter que même la volatilité montait… Serait-ce le retour du « stress et de l’angoisse » ???

Aux USA, c’était également prises de profits et compagnie, alors que l’on prenait conscience qu’il n’y aurait peut-être pas de sortie de crise « facile » sur ce coup-là. Le Nasdaq reculait de près de 1.3%, alors qu’Apple était victime d’un rare downgrade et le S&P500 ratait encore une occasion de casser les 4’200 à la hausse. L’indice de référence américain terminait en baisse de 1.12% à 55 points du Graal.

Et ça continue en Asie

Les doutes sur le plafond de la dette continuent de peser sur l’Asie également. Moins 0.85% à Tokyo, -0.95% à Hong Kong et -0.5% à Shanghai. L’ambiance est la plus morose que nous ayons vécu depuis que l’on s’est rendu compte que les Américains avaient remis au goût du jour la thématique du « bank run ». Il faut dire que cette soudaine prise de conscience qu’il n’y a pas vraiment de sortie de crise idéale, semble nous avoir fait soudainement froid dans le dos. Pour le moment les futures tiennent le coup, mais les interrogations sont soudainement un peu plus nombreuses et un peu plus précises.

Le pétrole est à 73.77$, la remontée continue alors que le Ministre de l’énergie saoudien a mis les traders en garde et leur a conseillé de ne « pas s’amuser à shorter le pétrole à deux semaines de prochain meeting de l’OPEP ». La menace était à peine voilée et visiblement les shorts n’ont pas perdu de temps, vu que personne n’a envie d’être invité aux cocktails de l’ambassadeur saoudien à Istanbul… L’or est à 1979$ et le Bitcoin à 26’777$.

Les nouvelles du jour

Du côté des nouvelles du jour, on notera qu’Apple a signé un méga-deal avec Broadcom pour les puces 5G, réduisant encore un peu plus sa dépendance envers l’étranger. Le stratégiste de Goldman Sachs met en garde contre l’Intelligence Artificielle, expliquant que c’est un investissement sur le long terme et que l’on a peut-être été un peu vite en besogne. Il y a aussi Ben Bernanke, ancien patron de la FED qui estime que le combat contre l’inflation n’est pas encore gagné et qu’il y a encore du travail. Et il y a des menaces de grève chez Samsung, le tout sans oublier que les retraits de fonds dans les banques régionales sont toujours au plus haut de tous les temps. Mais jusque-là, ça va.

Pour le reste, on va continuer à observer McCarthy et Biden qui jouent à 1-2-3 soleil, attendre les chiffres de NVIDIA ce soir et se demander si les Minutes du FOMC Meeting qui seront publiées ce soir, vont nous changer la donne. Nous donner une autre perspective que celle déprimante dans laquelle nous sommes depuis hier après-midi. Depuis que le doute nous étreint. Il y aura également l’IFO en Allemagne, ainsi que les inventaires pétroliers. Et puis, il y aura surtout Madame Yellen qui parlera. Alors perso je crois que je pourrais presque vous faire son discours en avant-première, mais ça serait un peu présomptueux, même si l’on sait tous qu’elle va nous dire que ça sera la « merde totale » en cas de défaut et qu’il faut sauver le soldat « Plafond de la dette ».

Voilà. Je crois que tout est dit. Il ne nous reste plus qu’à patienter pour voir quelle sera la prochaine réflexion du marché et notre prochaine « vision de génie », je dois dire que je suis impatient d’attaquer la nouvelle saison de « Y a rien qui fonctionne, mais on sait jamais, sur un malentendu, ça pourrait marcher ».

Passez une excellente journée et à demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“If it seems too good to be true, it probably is.”

Murphy’s Law