Ce titre, un brin provocateur, qui s’apparente, peu ou prou, à de l’obsolescence programmée, est un rappel tinté de darwinisme primaire que rien n’est immuable.

Le Romain, Le Mongol, L’Ottoman, en passant par le Français ou le Britannique, les différents empires ont au cours des siècles tous subis le même sort! Ils ont suivi un cycle naturel de naissance, croissance, maturité et déclin. À l’échelle du temps et exprimé de manière académique, ce phénomène s’apparente à un retour classique à la moyenne après une échappée de deux écarts types.

Quid donc de la force dominante aujourd’hui, l’empire américain et son dollar hégémonique! Il s’avère que les échanges commerciaux globaux sont (encore largement) dominés par la monnaie de l’oncle Sam. Les pays émergents, BRICS en tête, dont les intérêts à long terme quant à une émancipation au dollar semblent faire l’unanimité désormais, entrevoient l’opportunité unique, voire historique, de s’affranchir du joug états-unien et de son emblème, sa monnaie.

Reprenons les récentes étapes par ordre chronologique

Post pandémie, alors que les économies mondiales avaient fait face à un frein inédit de l’activité qui les avaient plongées dans la récession, les banques centrales avaient maintenu leurs taux d’intérêts directeurs à des niveaux plancher tout en injectant massivement des liquidités. L’objectif (in)avoué de ces actions (conjointes) était d’affaiblir la valeur externe de la monnaie afin de stimuler l’activité et de générer de la croissance dans le but de relancer les économies domestiques respectives.

Cette stratégie de relance conventionnelle ou de dévaluation dite «compétitive» était trop synchronisée pour pouvoir générer les effets escomptés. Les forces opposées s’annulant, les protagonistes utilisant les mêmes armes, l’ajustement de la valeur externe des devises ne pouvait se concrétiser.

Ces politiques monétaires expansionnistes conjuguées à une reprise d’activité surprenamment dynamique avaient contribué à une rapide montée de l’inflation. Alors que la hausse de prix ne devait être que temporaire, l’entrée en guerre de la Russie en Ukraine, couplée à une résurgence du Covid en Chine, modifiait dramatiquement les équilibres. C’est ainsi que l’inflation des prix des biens de consommation et de l’énergie poursuivaient leurs dérapages.

Les craintes exacerbées des marchés, effrayés par le son des canons, initiaient le signal d’une phase de revalorisation du dollar contre l’ensemble des monnaies, qui se matérialisait concrètement par une appréciation de l’indice DXY (Dollar Index) de plus de 25% entre décembre 2020 et octobre 2022. Le billet vert bénéficiait en plein du réflexe de « monnaie de refuge » renforcé par une résilience forte de son économie domestique.

A la fin de l’automne, les quelques signaux encourageants sur le front de l’inflation laissaient présager que le cycle d’ajustement des taux directeurs aux Etats-Unis approchait de son terme, ce qui poussait les investisseurs à reconsidérer leur exposition au billet vert.

Les horizons temps déterminent les perspectives

Si à moyen terme (24 mois), nous avons globalement assisté à une hausse de la valeur du billet vert, cette tendance s’est inversée récemment. Cette séquence nous rappelle que les forces fondamentales à l’œuvre peuvent différer selon l’horizon temps que l’on définit. En se concentrant sur les changements d’influence séculaire, nous pouvons tirer quelques conclusions.

Ainsi, si l’on devait mesurer la puissance d’un empire:

  • À la force relative de sa monnaie, les Etats-Unis pourraient s’enorgueillir de posséder la devise de référence générant le volume de transaction le plus important dans le monde. Mesuré à travers le volume des échanges financiers et commerciaux internationaux libellés en dollar et du niveau de la dette émise, le dollar domine les autres devises de la tête et des épaules. Ainsi, près de 80% des opérations de change s’opèrent actuellement en dollar. Cela dit, la domination du billet vert a progressivement diminué. Cette tendance est due à plusieurs facteurs, dont notamment la montée en puissance économique de la Chine et l’utilisation de monnaies dites alternatives.
  • À sa capacité d’imposer des sanctions aux états tiers au-delà des instances onusiennes prévues à cet effet, les Etats-Unis remporteraient la palme avec quelque 70 programmes de sanctions édictés à l’encontre tant d’individus que d’acteurs non-étatiques ou de pays au cours des deux dernières décennies. Les dernières contraintes assignées à la Russie ont eu des effets collatéraux inédits, poussant à une réelle remise en question de certains gouvernements quant à leur dépendance vis-à-vis du roi dollar. L’exclusion de la Russie de Swift, système global de réconciliation de transaction, a renforcé le niveau de solidarité des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) dans le but de développer une alternative crédible au dollar. C’est ainsi que 24 pays, inquiets par les mesures du monde occidental dominant, essentiellement l’Union Européenne et les USA, les ont poussés à s’unir afin de créer une alternative commune crédible.
  • Au regard du pourcentage du PIB (Produit Intérieur Brut) nominal mondial de son économie, les Etats-Unis brigueraient la 1ère Cela dit, le PIB de la Chine a augmenté de manière exponentielle ces dernières décennies, exacerbant la guerre commerciale que se livrent les deux mastodontes. La suprématie américaine dans le domaine ne devrait être que temporaire. Par ailleurs, si l’on mesure la part du PIB ajusté à la parité de pouvoir d’achat (Purchasing Power Parity – PPP), avec une part globale de 15.57% en 2022, les Etats-Unis se voient dépassé par la Chine (18.48%). Ces tendances, en place depuis quelques années déjà, vont encore aller en se renforçant dans le futur.
  • A la part de marché qu’occupe une monnaie de réserve au sein des bilans des banques centrales, le dollar verrait la sienne s’étioler régulièrement au profit essentiellement de l’Or, de l’Euro, du CNY chinois et du Yen japonais. On note ainsi que la prédominance du billet vert s’affaibli progressivement et sa part en tant que monnaie de réserve a baissé de manière significative puisqu’elle ne représente plus que 59% des réserves de change contre environ 70% au début du siècle. Cette tendance s’explique par les facteurs tels que la montée en puissance de l’économie chinoise, voire des BRICS, de l’utilisation croissante de monnaies alternatives pour le règlement des transactions commerciales et les inquiétudes grandissantes quant à sa stabilité à long terme.
  • À la force de son armée, les Etats-Unis se maintiendraient en pole position. Jusqu’à présent, la protection de pays tiers par l’armée américaine était conditionnée à une allégeance au dollar à travers entre autres des achats de bons du trésor américain, ce qui renforçait la domination du dollar au fil du temps. Toutefois, le Power Index qui mesure la puissance militaire d’un état n’affiche désormais plus qu’un mince écart entre les Etats-Unis et ses principaux concurrents, la Russie et la Chine. L’argument d’une armée forte qui représenterait une sorte de collatéral à laquelle la monnaie serait adossée est probablement pertinent tant que le niveau de concurrence reste marginal.

Comme souvent, l’objectivité des analystes se perd dans les méandres de la subtilité des évolutions sous-jacentes. N’ayant pas le recul suffisant, les défenseurs de la cause de l’empire «dollar», qui imaginent que la domination d’un jour suffit à la définir comme immuable, ne peuvent pas forcément intégrer spontanément à leurs analyses, les mutations qui s’opèrent pourtant sous leurs yeux.

De notre côté, et bien que les tendances agissant à court terme laissent présager d’un potentiel et temporaire renforcement du billet vert, nous pensons que les forces à l’œuvre à long terme militent pour son affaiblissement.