Je vous préviens tout de suite, ça ne sert à rien d’arriver au bureau en courant et d’être tout excité à l’idée de commencer la semaine, les Américains ont prolongé le week-end et cela va donc nous transformer le premier jour de la semaine en une longue méditation sur l’avenir des marchés, de l’économie et des futures décisions de la FED. Et il y a du boulot au vu du fait qu’en ce moment, toutes les mauvaises nouvelles sont bonnes et que personne n’a encore commencé à se demander si le consommateur ne pourrait pas être notre prochain problème. Et puis, heureusement, comme on ne savait pas trop quoi penser, Roubini a parlé. Comme prévu. Et devinez quoi ? – Il n’est pas trop optimiste.

L’Audio du 4 septembre 2023

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Mais d’abord l’emploi

Mais avant de se délecter de la prose du plus grand économiste de tous les temps – à moins que ça soit du plus grand économiste entre 2007 et 2009 – nous allons revenir brièvement sur le sujet des chiffres de l’emploi qui ont été publiés vendredi. Et encore une fois, nous allons nous attacher à l’interprétation que nous en avons fait. Donc, si l’on se rappelle bien, les « experts » s’attendaient à 170’000 emplois créés durant le mois d’août. Comme d’habitude, ils se sont un peu ratés et c’est sorti à 187’000. On pourrait donc se dire que c’est pas terrible parce que l’emploi continue de montrer une force relative et l’on pourrait être tenté de se dire que ce que fait la FED ne le fait pas vraiment ralentir. Mais c’était sans compter notre immense capacité à trier le bon grain de l’ivraie et à toujours chercher ce qui est bon dans le cochon. Pardon, bon dans les chiffres économiques, bien sûr.

La bonne nouvelle de ces NFP, c’est d’abord que l’on vient de se rendre compte que ça fait trois mois de suite que le nombre d’emplois créés sont en-dessous des 200’000 et il semblerait que cela signifie que c’est en train de ralentir et que donc, le boulot que fait la FED, fonctionne. Je n’ai pas encore trouvé le bouquin d’économie qui dit que quand on crée moins de 200’000 emplois par mois, trois mois de suite, c’est une bonne nouvelle, mais en même temps, à chaque fois que j’entame un bouquin d’économie, je m’endors au milieu du prologue, des fois même en lisant le résumé à l’arrière du bouquin.

Donc c’est une bonne nouvelle

En résumé, on a créé plus d’emplois que prévu, mais c’est pas grave parce que c’est resté 3 mois de suite en-dessous des 200’000 et puis le taux de chômage a bondit à 3.8%, donc il y a plus de chômeurs – et ça aussi, c’est une bonne nouvelle – et puis en plus, la croissance des salaires croît toujours, mais moins. Et ça a visiblement beaucoup plu aux intervenants puisqu’à l’idée que les gens gagnent plus qu’avant, mais de manière moins explosive, cela semblait motiver tout le monde à considérer que les chiffres de l’emploi du mois d’août étaient une BONNE NOUVELLE. Ou alors, à moins que ça soit la révision à la baisse des chiffres de juin et juillet.

Oui, parce que dans le monde merveilleux de la macro, il faut savoir que l’on a le droit de faire des prévisions et de se gourer de 100’000 emplois et de se ridiculiser tous les mois, mais de l’autre côté, l’organisme gouvernemental qui fournit les chiffres a aussi le droit de les corriger pendant 4 ou 5 mois APRÈS les avoirs publié :

– « Dis-voir Bob, t’as comptabilisé les 50’000 employés qui se sont fait virer dans la tech le mois passé ?? »

– « Moi ? Mais Jack, on avait dit que c’était toi qui les rentrais dans le spreadsheet excel en rentrant les 70’000 employés de banques qui s’étaient fait planter en juin !!! »

– « Ah mais non, c’est toi qui devais rentrer les 50’000 et les 70’000, en même temps »

– « T’es sur Jack ? Bon, ben c’est pas grave on corrigera les chiffres en Octobre et on n’y verra que du feu »

– « Euh oui, mais la FED aura peut-être monté les taux sur ce qu’on a publié de faux »

– « Beeeuuaahhh, c’est pas grave, 0.25% de plus ou de moins, ça va pas changer nos vies en plus moi j’ai bloqué mon hypothèque à 30 ans y a 18 mois, alors tu vois comment »…

Donc vendredi dernier, le gouvernement a corrigé les NFP de juillet et de juin : « l’estimation pour le mois de juillet a été revue à la baisse de 30’000, à 157’000. Le mois de juin a été révisé à la baisse de 80’000 à 105’000, ce qui en fait le gain mensuel le plus faible depuis décembre 2020 ». Vous noterez que les gars parlent toujours « d’estimation », c’est même pas sûr que le chiffre corrigé soit valable. Et nous on a passé notre vendredi à transpirer pour interpréter des chiffres bidons et à essayer d’en tirer des conclusions bricolées sur l’avenir des taux et les futures décisions de la FED. Si vous cherchiez une définition pour expliquer le concept de « brasser de l’air inutilement, je crois que l’on vient de la trouver : la publication et la révision des chiffres des Non Farm Payrolls ». C’est un peu comme si on sortait les chiffres de l’Euromillions le samedi, que vous avez gagné 140 millions et que jeudi suivant on revenait vers vous en disant : « Oups, désolé, en fait c’est pas le 34 qui est sorti, mais le 22 et c’était pas le 12, mais le 14. Alors du coup va falloir rendre l’argent, mais c’est pas grave, c’est qu’un jeu !!! »

Heureusement Roubini est arrivé

La semaine dernière, j’avais fait ici même un rapide bilan des prévisions boursières pour le reste de l’année et j’avais terminé par : « j’attends avec impatience des nouvelles de Nouriel Roubini qui devrait nous annoncer qu’on va tous mourir ». C’était dans la chronique de vendredi matin, j’ai écrit ces mots à 6h du matin vendredi 1er septembre. Dans les heures qui ont suivi, en marge du forum Ambrosetti à Cernobbio, sur les rives du lac de Côme, Nouriel Roubini a parlé. Alors, la BONNE NOUVELLE, c’est que le gars, il n’a pas prévu que l’on allait tous mourir. Enfin, pas tout de suite. Par contre, sans surprise, il est quand même négatif. Mais il est devenu un « négatif modéré » , ce que l’on appelle, en américain : un Bear Light.

L’empereur du côté obscur de la force a donc déclaré que, selon lui : « qu’une correction de 10% des marchés n’est pas improbable, si l’économie mondiale devait s’affaiblir et l’inflation se maintenir à des niveaux élevés, obligeant les banques centrales à relever à nouveau les taux d’intérêt, je ne serais pas surpris que les marchés financiers mondiaux subissent une correction de 10% au cours du second semestre de l’année ». Vous noterez l’utilisation abondante du conditionnel et le fait que Monsieur Roubini est devenu vachement modéré, je ne serais même pas étonné qu’il tourne bullish dans les prochains mois si le marché ne parvient pas à baisser. Il faut dire qu’à force de dire qu’on va tous y passer depuis 666 sur le S&P500 en février 2009, il doit commencer à trouver le temps long avec ses positions shorts.

Ceci dit commençons la semaine

Nous sommes donc lundi matin, les Américains seront fermés pour cause de « Labor Day » et les volumes devraient donc, ipso-facto, être encore plus déprimant qu’ils ne le sont depuis quelques semaines. Ce matin l’Asie a ouvert en hausse, les données mitigées sur les NFP ont renforcé les attentes selon lesquelles la FED ne montera pas les taux en septembre – 93% des sondés le pensent et les 7% qui restent n’ont pas compris la question – et puis, comme tous les lundis, on attend un éventuel stimulus magique chinois à base de poudre de corne de licorne et sang de tyrannosaure.

Le Hang Seng avance de 2.55% soutenu principalement par les valeurs immobilières, Country Garden ayant obtenu l’accord des détenteurs d’obligations pour repousser certaines échéances de la dette, évitant ainsi un défaut de paiement potentiel. Le titre explose à Hong Kong, c’est que du bonheur. Shanghai progresse de 1% et le Japon est en hausse de 0.58%. L’or est à 1971$ et le Bitcoin est à 26’000$ en attendant son prochain « dead cat bounce » à la hausse. Mais le plus intéressant, c’est le pétrole.

En cette période où le mot inflation est devenu le truc à la mode pour briller en société, le prix du baril est un composant indissociable de ladite inflation. Sauf que l’on a trouvé un moyen de séparer le pétrole du reste pour pas que « ça dérange ». Donc quand on publie les chiffres de l’inflation, on regarde surtout ceux où y a pas le pétrole dedans, ça fait moins mal. Toujours est-il que ceux qui n’ont pas la « chance » d’avoir une Tesla ou tout autre sèche-cheveux électrique, chaque fois que vous allez à la pompe, vous sentez quand même bien la différence. Et c’est pas certain que ça soit terminé.

Si vous regardez un graphique tout bête du baril, vous verrez que là où il se trouve ce matin, l’or noir à cassé toutes les résistances et est en route pour les 93$. Sans oublier le croisement des moyennes mobiles des 50 et 200 jours qui nous offrent une magnifique Golden Cross. À ce rythme-là et à la vitesse où les taxes augmentent sur l’essence, on va vite se retrouver à 3 balles le litre, ce qui tombera pile-poil avec les 9% d’augmentation des primes d’assurances maladie. Mais chuuttttt, faut pas déranger, le gouvernement travaille. Bref, surveillez quand même le baril qui se prépare un décollage magistral.

Graphique du pétrole (WTI) – Source : Tradingview.com

Nouvelles du jour

Vu que les Ricains sont fermés, c’est très maigre en termes de news, mais on notera quand même que les Chinois sont en train de profiter des sanctions contre la Russie pour développer un système monétaire alternatif au dollar et soutiennent massivement les banques russes. Il y a aussi Aramco qui serait en train d’envisager une nouvelle offre secondaire d’actions représentant 50 milliards de dollars. Ce qui serait la plus grosse offre d’actions de l’histoire. IPO y compris. En gros, tous les moyens sont bons pour récupérer du cash et pour développer la région avec des projets immobiliers pharaoniques.

Autrement on notera que BMW et Mercedes se lancent à fond à la poursuite de Tesla en sortant de nouvelles gammes de voitures électriques, LVMH n’est plus la plus grosse capitalisation européenne depuis vendredi et c’est Novo Nordisk qui reprend le flambeau. Et puis autrement on parle toujours beaucoup du marché immobilier américain qui est complètement figé parce que les taux sont trop hauts et que plus personne n’ose vendre de peur de ne pas pouvoir racheter avec des taux à 30 ans à plus de 7.2%. Mais là aussi, tout le monde s’en fout, comme du niveau de la dette et de la baisse de motivation du consommateur, le seul truc important c’est que la FED ne monte plus les taux et puis c’est tout. Le Soft Landing, le Hard Landing, la récession ou la stagflation, on en parlera le moment venu. On va déjà survivre au mois de septembre.

Côté chiffres

Du côté des chiffres économiques, je vous l’ai déjà dit, les USA seront fermés ce lundi 4 septembre, nous allons donc nous contenter du Trade Balance en Allemagne et du PIB en Suisse. Je conçois qu’on a connu des lundis plus rigolos, mais en même temps ça permet de s’échauffer pour le mois qui nous attend. Pour le moment, les futures sont inchangés à New York (sans blague ???) et on va commencer la semaine en douceur en attendant que Madame Lagarde vienne nous parler et renforcer son intention de lutter contre l’inflation en montant les taux.

Moi je vous retrouve demain pour entamer une vraie journée et une vraie semaine. En attendant la tarte aux pruneaux de jeudi. Que la force soit avec vous et bon courage pour ce lundi !

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“If you cannot do great things, do small things in a great way.”

– Napoleon Hill