Le S&P500 a donc terminé sa semaine au plus haut de tous les temps. C’est l’aboutissement d’un rallye qui s’est mis en place au début du mois de novembre, juste quand nous avons pris conscience que les taux allaient baisser. Bon. D’accord, c’est pas vraiment pour ça que le S&P500 et le Dow Jones ont battu des records, puisque si l’on en croit les chiffres économiques et les déclarations de la semaine dernière, il faudra trouver autre chose à faire en mars que regarder les taux baisser. Mais c’est pas trop grave puisque depuis quelques jours, on a trouvé autre chose pour justifier la hausse : l’économie qui cartonne et la TECH qui EST VRAIMENT UNE RÉVOLUTION…

L’Audio du 22 janvier 2024

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Tourner la veste mais garder la même direction

J’aurais l’impression de radoter si je revenais encore sur la raison du pourquoi et du comment nous sommes montés depuis le 1er novembre, mais en même temps, il est important de remettre un peu de contexte pour essayer de bien comprendre où nous en sommes aujourd’hui. Tout d’abord, ce qui a initié ce rallye de fin d’année aura clairement été : la baisse des taux à venir. Powell avait clairement laissé entendre que la hausse était « à priori » terminée, que si tout allait bien et que les chiffres économiques se comportait correctement, il pourrait éventuellement commencer à baisser les taux pour éviter que l’économie ne sombre pas dans une récession bien pourrie.

À partir de là, la réflexion était assez basique : taux qui baissent = actions qui montent. Dans le plan de marche de Powell et ses amis, on parlait de trois baisses en 2024. Je n’invente rien, c’est le fameux DOT-PLOT qui le disait. Mais comme d’habitude ; nous dans le monde de la finance, on essaie quand même d’être plus fort que la FED. Alors on s’est dit : 3 baisses de taux en 2024, c’est quand même pas terrible. Alors on va parier sur 6 ou 7, ça fera quand même plus classe. Et on va dire que la FED va commencer à baisser les taux en mars – histoire que l’économie repartent à fond le plus rapidement possible. Et on a ajouté : MAINTENANT QUE L’INFLATION EST VAINCUE.

La hausse appelle la hausse, peu importe les arguments

Alors les marchés ont explosé. La fin de l’année 2023 aura été plus explosive que jamais et par moment, on avait l’impression que tout allait bien dans le monde et que rien ne pouvait nous arriver. D’ailleurs on s’en est tellement convaincu (que tout allait bien) que nous en sommes arrivés à un point où l’on refuse catégoriquement d’aborder le sujet de ce qui ne va pas :

– L’endettement
– L’appauvrissement de la classe moyenne (dans l’hypothèse où elle existe encore)
– L’augmentation des coûts de transport à cause des Houthis et des Ricains
– Le pétrole qui ne baisse pas tant que ça, à la fin
– La crise immobilière commerciale qui nous pend au nez
– L’inflation qui ne baisse plus et qui est encore loin des targets de la FED
– Les guerres un peu partout dans le monde
– Et tout ce que j’ai oublié

Toutes ces mauvaises nouvelles latentes qui menacent de nous péter à la gueule n’entrent même pas dans la réflexion des traders et autres investisseurs, puisque la seule chose que l’on voyait. Que l’on attendait. C’était la baisse des taux.

Il faut se réinventer

Et puis soudainement, depuis 2 semaines les chiffres économiques ont commencé à nous montrer deux choses :

1) L’inflation ne baisse plus. Et à voir ce qui se passe autour de nous avec une once d’objectivité, on peut se dire qu’elle risque de ne pas rebaisser de sitôt
2) Les banquiers centraux qui avaient laissé entendre qu’il y aurait 3 baisses de taux en 2024 (le DOT-PLOT encore) – ont commencé à se dire que l’on s’était UN PEU EMBALLÉ et que le nombre de baisses et la date de la PREMIÈRE baisse, avaient été un peu surjoués quand même

Soudainement, en début de semaine dernière, on a commencé à se dire que le mois mars, ça allait être compliqué et que 6 baisses d’ici Noël, ça devenait carrément de la science-fiction. Encore une fois c’est pas moi qui le dit, c’est Bostic, Bowman, Waller pour la FED et Holzmann, Lagarde et Nagel pour la BCE. DONC… Si l’on reste basique et logique, on pourrait tout simplement se dire – tout d’abord – que quand on voit ce qu’on voit, qu’on entend ce qu’on entend, eh ben qu’on a bien raison de penser ce qu’on pense. Mais EN PLUS, on pouvait aussi se dire que les presque trois mois de hausse que l’on vient de se taper, ont peut-être été un poil galvaudés et que nous avons mis tellement la charrue avant les bœufs que le temps que les bœufs rattrapent la charrue, Gabriel Attal aura atteint l’âge de la retraite.

Contourner la logique…

En utilisant donc cette logique, on aurait pu être tenté de tout vendre la semaine dernière. Sauf qu’à la place, on est allé chercher les plus hauts de tous les temps et que ce matin, les futures sont encore en hausse et laissent à penser – comme toutes les statistiques le montrent (ou presque) – que ça va encore continuer de monter. Bon, ça c’est pas une surprise, puisque la quasi-totalité des banques d’affaires de la planète avaient prévu que ça monterait en 2024 et que le consensus est blindé sur le sujet. Le seul problème, c’est LA RAISON. La raison pour laquelle nous devrions monter.

Selon nos prévisions de la fin de l’année dernière, les taux devaient baisser, l’inflation mourir et l’économie redémarrer. Et tout ça sans que l’inflation reparte violement à la hausse. Le problème, c’est que ça n’est pas tout à fait la direction que ça prend. Il fallait donc rapidement trouver une motivation pour justifier la hausse et noyer le poisson, sinon il y avait péril en la demeure. Mais heureusement il y avait l’Intelligence Artificielle et les Magnificent Seven pour nous sauver les fesses et nous donner un tout nouveau narratif qui nous permettait et nous permettra (en tous cas, on l’espère) de ne plus trop parler de l’inflation ou des taux. Cette fois on se concentre sur la CROISSANCE DE L’ÉCONOMIE DE CROISSANCE.

On pourrait douter de nous-mêmes, mais en fait : non

Alors il est vrai que dans un monde normal, un monde réel, on aurait pu se dire que nous étions montés un peu vite sur pas grand-chose et qu’en plus notre scénario ne fonctionne pas comme prévu. Mais cela aurait voulu dire « rendre les gains » de ces derniers mois et c’était quand même plus simple de changer le narratif. Nous sommes donc passés de : « les taux vont baisser et la FED sera de nouveau notre amie » à : « C’est quand même trop cool l’intelligence artificielle ainsi que toute la croissance et la « HYPE » qui va autour ». On s’est tellement convaincu de cette nouvelle thématique (un peu réchauffée quand même), que nous sommes parvenus à battre des records historiques.

Il est vrai que depuis que Taïwan Semi’s ont publié leurs chiffres en milieu de semaine, on s’est rendu compte que la croissance de l’IA et les multiples utilisations qui vont aller avec vont faire exploser l’économie. Peut-être pas là tout de suite, mais à un certain moment, c’est sûr. Non, parce que si les indices comme le S&P, le Nasdaq ou le Dow atteignent des niveaux records, ça n’est pas le cas des indices sectoriels. Mais alors pas du tout !!! Aujourd’hui, nous battons des records à la hausse parce que les titres qui montent sont les plus « gros » du marché et que par la magie des pondérations, on n’a pas d’autre choix que de faire monter les indices aussi. Donc Nvidia a augmenté sa capitalisation boursière de 200 milliards depuis le début du mois et l’Intelligence Artificielle est officiellement le remède contre absolument tout. C’est un peu comme ces petites annonces qu’on trouve dans les journaux, avec des marabouts qui vous font le retour de l’être aimé, qui vous trouvent du travail et qui réparent les voitures à distance. L’Intelligence Artificielle, c’est pareil – ça fait même monter les marchés. D’ailleurs, on notera aussi que pendant ce temps, le Russell 2000 – l’indice des Small Caps est toujours en Bear Market, pendant que le reste est au plus haut de tous le temps, ça n’est jamais arrivé. C’est sûrement parce que « cette fois, c’est différent ».

Et le reste

Bref, tout ça pour dire que les marchés montent. Plus forcément pour les mêmes raisons, mais ils montent quand même. Pendant que le S&P500 est au plus haut de tous les temps, la Chine est au plus bas des plus bas depuis 5 ans. Et ce matin, c’est encore pareil. Le Japon est en hausse à cause de « l’optimisme au sujet de l’intelligence artificielle » et la Chine et Hong Kong se font démonter, à cause de l’économie qui ne veut pas redémarrer pour de vrai là-bas. Le pétrole est à 72.96$, l’or est à 2026$ et le Bitcoin est à 40’970$.

Pour la suite, on repart pour une nouvelle semaine. La grande question sera de savoir si l’on continue de surfer sur la vague de l’AI ou est-ce que l’on revient sur le sujet des taux et de l’inflation. Pour cela, il faudra se concentrer sur les publications de la semaine, puisque nous aurons le PIB aux USA qui sortira mercredi et qu’ensuite, il y aura le FAMEUX PCE, chiffre préféré de la FED et chiffre qui devrait nous permettre de SAVOIR s’il y a encore un espoir de voir baisser les taux en mars. ATTENTION, SPOILER ALERT : NON ! Aujourd’hui il n’y aura pas de chiffres économiques, mais Lagarde parlera et puis on peut aussi noter que la saison des résultats va commencer à taper fort. Ce soir il y aura Logitech, mais ça montera en puissance dès demain – on y reviendra, mais d’ici-là et en attendant, je vous souhaite une excellente journée dans un monde qui n’est plus préoccupé par l’inflation ou la baisse des taux. Enfin, pour l’instant !

Bonne journée et à demain.

Thomas Veillet
Investir.ch

“If you make friends with yourself you will never be alone.” —Maxwell Maltz