Hier soir le plat de résistance était la soupe à la grimace. Les chiffres de l’inflation sont donc sortis. Comme vous avez pu le voir, ils étaient plus forts que les attentes. Que ce soit le Core CPI ou le CPI tout court. Et pire, même le SUPERCORE, qui nous avait sauvé les fesses par miracle le mois dernier, était également plus fort que les attentes. Le scénario pathétique de ces derniers mois se reproduit à nouveau : les taux ne baisseront pas en juin, mais cette fois on parle de septembre. Et pour en rajouter une couche, on ne parle plus de TROIS baisses, mais de DEUX. C’est l’humiliation totale pour la FED et pour ceux qui prévoyaient « à coup sûr » six à sept baisses cette année.

L’Audio du 11 avril 2024

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On baisse mais il n’y a pas de panique

Mais ce qu’il y a de bien, c’est que dans la finance personne n’a honte. Jamais. On se raccroche toujours à autre chose et on fait comme si c’était « les autres » qui avaient fait des prévisions à côté de la plaque. Jamais nous. Toujours est-il qu’hier on a pris cher et même si les bourses n’ont baissé que de façon homéopathique pour une nouvelle aussi merdique, on sent quand même bien que le scénario de cette année 2024 est passé d’un film d’anticipation à une grosse comédie produite par Adam Sandler.

DONC, si l’on prend le temps de récapituler. On attendait un CPI à 3.4 %, et il est sorti à 3.5%. Du côté du CORE CPI, on attendait 3.7% et c’est sorti à 3.8%. Alors vous me direz : « oui, mais c’est « seulement » 0.1% de plus que les attentes, c’est quand même pas la fin du monde ». Et force est de constater que vous aurez raison. Le problème n’est pas tant le fait que le CPI soit plus fort que les attentes, le problème c’est que depuis 2021, ça s’accumule quand même un peu trop et à la longue ça commence à faire mal un peu partout. Si l’on prend un peu de recul – je sais que je vous demande beaucoup – mais il faudra tout de même retenir que :

– Les prix ont augmenté de 19 % en moins de quatre ans.
– Que ça fait 36 mois consécutifs que l’inflation n’a pas été inférieure à 3 %.
– Sans compter que l’inflation a été supérieure à l’objectif de 2 % de la Fed pendant 37 mois consécutifs.
– Dorénavant, l’inflation s’ajoute à celle des années précédentes ; il s’agit en fait d’une inflation composée.
– Par contre, pas d’inquiétude : le marché du travail est solide. Oui, bon, ces treize deniers mois, les chiffres ont été révisés DOUZE fois à la baisse le mois suivant. On va donc dire que l’emploi est solide « dans le Headlines, mais un peu moins dans la réalité ».

Si l’on prend le temps de se rappeler ce qui s’est passé depuis le 1er novembre, on se souviendra que Powell s’est pointé en octobre en faisant la danse de la victoire et en nous annonçant que les taux allaient baisser et que le cycle de hausse était TERMINÉ.

Ne jamais renoncer – un jour les taux baisseront

Depuis, les marchés sont montés de 30% – à la louche. Depuis le premier novembre, nous avons donc commencé à parier sur la baisse des taux à venir. La bonne nouvelle, c’est que c’était un coup sûr. TOUS LES ANALYSTES DE WALL STREET ET D’INTERNET le savaient : les taux allaient baisser PLEIN DE FOIS. Il y en a même qui disaient que ça baisserait DOUZE fois (bon, ceux-là, on les a enfermés dans une armoire pour faire comme s’ils n’avaient jamais existé). Mais l’un dans l’autre – si vous vous étiez pointé dans une salle de trading le premier janvier en disant :

« Hhhhmmm, vous ne trouvez pas que 6 à 7 baisses de taux en 2024, c’est un peu beaucoup ? »

Après avoir déclenché un fou rire général, on vous aurait bombardé avec des trucs lourds qui font très mal pour vous humilier et vous faire comprendre que votre « remise en question » était parfaitement stupide. Et aujourd’hui encore, dire que ça ne va pas si bien qu’on veut bien nous le vendre en première page du Wall Street Journal, reste très mal vu dans les milieux très fermés des Dieux Experts En Finance.

ET pourtant !

Et pourtant, depuis hier après-midi, les derniers sondages via les futures estiment désormais à 13 % les chances d’une absence totale de réduction des taux cette année. D’ailleurs même le dernier scénario optimiste sur lequel on bossait il y a encore deux semaines – à savoir TROIS BAISSES d’ici la fin de l’année, avec la première en juin – vient de voler en éclat avec les chiffres d’hier. Depuis 14h30 ce mercredi 10 avril, le nouveau scénario à la mode c’est de dire qu’il n’y aura que deux baisses de taux d’ici décembre et 57 % de chances que les taux restent inchangés JUSQU’EN JUILLET. En gros, le meilleur des cas, si l’inflation se calme et que l’emploi ralenti – ils baisseront les taux le 31 juillet. Sinon, on botte en touche pour septembre.

Donc, pour que cela soit bien clair :

– Il y a seulement 4 mois, les marchés tablaient sur 6 à 8 baisses de taux en 2024.
– Il y a 5 mois, Powell, a prononcé ce qui semblait être un discours de victoire et a appelé à 3 baisses de taux en 2024.
– Aujourd’hui, les discussions sur une nouvelle hausse des taux sont même de nouveau sur la table.
– Mais entre deux, le S&P500 a pris 25%, le CAC est monté de 18%, le DAX progressait de 23% et le SOX explosait de 52%.
– Tout ça basé sur le fait que les taux « eh ben ils allaient baisser »… Et aussi un peu à cause de l’Intelligence Artificielle.

On peut donc clairement se demander si on ne marche pas un tout petit peu sur la tête et si Wall Street ne vit pas dans un monde qui n’existe pas. Ce matin les rendements du 10 ans américain sont à 4.54% et dans 0.46%, nous serons de retour là où nous étions le 1er novembre. Notre scénario d’anticipation est complètement foiré et on continue de se la jouer comme dans le mythe de Sisyphe ; à chaque fois que le plan se pète la figure, on change les dates, on réduit le nombre de baisses de taux et on se dit que ça va bien se passer parce qu’à la fin, les taux finissent toujours par baisser. Les prochains jours seront déterminants pour voir et savoir si les intervenants sont fatigués de continuer à acheter alors que tout ce qu’on leur raconte et ce qu’on leur prévoit n’est que du pipeau, mais disons que pour le moment, ça à l’air de tenir et le concept de : « si on te frappe sur la joue droite, tends la joue gauche », fonctionne toujours parfaitement.

D’ailleurs, depuis le début de l’année, nous sommes mêmes passés à « si on te frappe sur la joue droite, tends la gauche et si on te frappe sur la joue gauche, retends la droite et si on te frappe encore sur la joue droite, retends la gauche et insiste jusqu’à que le mec soit fatigué de te frapper et dis-toi que la FED va bien finir par les baisser, ces putains de taux directeurs !!! »

Pour la suite

Nous allons donc voir si la baisse américaine d’hier est durable, mais pour le moment les futures sont déjà en hausse de 0.03% et je ne suis pas loin de penser que l’on va nous parler de FOMO et d’opportunités d’achat, parce que quand même : ça va trop bien et l’Intelligence Artificielle, c’est quand même vachement cool ! Pour le moment, le Nikkei est en baisse de 0.37%, le Hang Seng recule de 0.76% et la Chine est même en hausse de 0.37%. On voit clairement que les annonces d’hier ont déclenché un « rien à foutre » absolument énorme sur l’ensemble des bourses mondiales. On notera qu’en Chine, l’inflation a diminué plus que prévu en mars, tandis que le déclin de l’inflation selon le PPI s’est poursuivi, la tendance déflationniste de longue date ne montrant que peu de signes d’amélioration. Mais au moins, chez eux, elle baisse l’inflation !!!

L’or est au plus haut de tous les temps – ou presque – il se traite à 2360$, le pétrole est de retour au-dessus des 86$, à 86.40$ pour être très précis, et les 90$ semblent déjà acquis, c’est une question de temps. Ce qui va sûrement aider à parier sur une baisse des taux en juillet. Quant au Bitcoin, tout le monde s’en fout parce qu’on ne parle que d’inflation et de rien d’autre. Mais il est quand même à 70’500$.

Les nouvelles neuves

Pour les nouvelles du jour, on parle BIEN SÛR de l’inflation et de sa résurgence. Et comme on parle du fait que l’on pourrait « éventuellement peut-être » devoir monter les taux pour lutter contre cette inflation extrêmement collante – ça ne serait pas une bonne nouvelle pour la réélection du grabataire de Washington qui se targuait, il n’y a pas si longtemps, d’avoir maitrisé l’inflation une fois pour toute. Ça sera donc extrêmement drôle voir les taux aller dans l’autre direction d’ici le mois de novembre. Autrement, il y a Musk qui est en Inde pour annoncer de nouveaux investissements là-bas. Je ne suis pas certain que la voiture électrique soit leur première préoccupation, mais comme c’est la mode d’y aller, pourquoi se priver. D’ailleurs il y a aussi Apple qui va doubler sa production d’iPhone en Inde, au détriment de la Chine.

Taiwan Semiconducteurs a enregistré une hausse de son chiffre d’affaires mensuel en mars, profitant de l’explosion de l’intelligence artificielle. Ils ont déclaré que les revenus du mois de mars s’élevaient à 6,1 milliards de dollars, soit une hausse de 34.3 %, ce qui représente le rythme de croissance le plus rapide depuis novembre 2022. Et puis, selon un article de Bloomberg qui fait référence à des « gens bien informés », une frappe de missiles ou de drone sur Israël est imminente. Frappe en provenance d’Iran, bien sûr. Bon, la bonne nouvelle c’est que si les services « bien informés » sont aussi bien informés que les économistes et la FED le sont, on est tranquille. Ça devrait bien se passer.

La journée du jour

En ce qui concerne la journée d’aujourd’hui, on en n’a probablement pas fini avec l’inflation, puisqu’il y aura le PPI aux USA, PPI qui devrait également être au-dessus des attentes. Et puis il y aura surtout la BCE, tous les regards seront dirigés vers Madame Lagarde – qui reste le dernier espoir de voir les taux baisser en juin quelque part – mis à part en Suisse. Depuis quelques semaines on ne parle plus que de la formidable Europe qui va mieux que les autres, qui parviennent à lutter contre l’inflation mieux que les USA, reste donc à voir si le discours de Dame Lagarde nous laisse espérer encore un peu. Et puis, il y aura aussi les Jobless Claims aux USA, ainsi que Bostic qui parlera – histoire de voir s’il pense toujours que le CPI ne sert à rien comme chiffre…

Pour ma part, il me reste à vous souhaiter une très belle journée avec une superbe inflation et plein de baisses de taux à venir. Que la force soit avec vous et on se voit demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Over the last few decades, investors’ timeframes have shrunk. They’ve become obsessed with quarterly returns. In fact, technology now enables them to become distracted by returns on a daily basis, and even minute-by-minute. Thus one way to gain an advantage is by ignoring the ‘noise’ created by the manic swings of others and focussing on the things that matter in the long term.” Howard Marks