J’avoue que je suis bluffé. Ça fait un moment que j’ai compris que nous vivions dans un monde d’optimisme exacerbé qui ne jure que par le concept du « verre à moitié plein », mais ce que l’on vient de vivre lors des dernières 48 heures m’a laissé complètement sur le carreau. Non seulement on a survécu à des chiffres du CPI parce que certains ont quand même trouvé du bon dans tout ça. Et comme hier le PPI était moins pire que prévu, on est déjà en train de se dire que tout va bien – finalement – les taux ne baisseront pas avant décembre, dans le meilleur des cas, mais on s’en fout parce que les chiffres du trimestre vont être tellement bons. On vit une époque formidable.

L’Audio du 12 avril 2024

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Par quel bout ?

Je dois reconnaître qu’en général je ne suis pas trop mauvais pour saisir assez rapidement ce qui motive ou démotive les marchés. Mais ce matin, je dois dire que je ne sais pas par quel bout le prendre. Lorsque je regarde le comportement des indices hier, je ne peux rien faire d’autre que de me demander quel type de drogue nous sommes en train de consommer. Les indices européens ont tous terminé en baisse après le meeting de la BCE. Meeting de la BCE qui a pourtant tout donné dans le sens d’une baisse des taux en juin et d’une vision de 4 baisses en 2024. Alors d’accord, c’est pas confirmé encore à 100% et le communiqué de presse du mois de juin n’a pas encore été distribué, mais disons qu’il suffit d’écouter Lagarde parler d’inflation pendant 12 secondes pour bien comprendre que c’est elle qui porte la culotte et que l’inflation n’a qu’à bien se tenir et aller en direction des 2% comme c’était prévu dans le contrat prénuptial.

Pourtant, le discours parfaitement lissé et dovish de la BCE n’a pas suffi aux marchés européens pour retrouver le chemin de la hausse. On pourrait presque supposer que la baisse d’hier était due aux chiffres du PPI qui laissaient supposer que l’inflation américaine, elle, n’avait pas le même comportement que son homologue européenne et que rien qu’à l’idée d’imaginer que la FED « pourrait » ne PAS baisser les taux de sitôt, les traders européens ont basculé du côté de Powell et ont quasiment oublié le discours de Dame Lagarde. Pourtant, si sur le Vieux-Continent on pensait que le PPI n’était pas terrible, les traders américains ont eu une tout autre analyse de la situation.

Toujours ce foutu verre à moitié plein !

En effet, si l’on traverse l’Atlantique, on peut se rendre compte que l’analyse immédiate de la situation n’était pas la même. Pour être franc, je ne sais pas si l’analyse est faite par des vrais gens ou si c’est les algos qui s’y collent, mais toujours est-il que la perception des chiffres était bien plus subtile que celle que pourrait avoir un simple mortel. Oui, parce que le PPI est sorti très légèrement en-dessous des attentes et ça ; c’était quand même le signe que la désinflation arrive et que la FED tient le bon bout. Vous pourrez peut-être sentir un poil d’ironie dans mes propos, mais en fait je dois reconnaître que j’ai horreur qu’on me prenne pour un con. Non, parce que si je résume, le chiffres du PPI d’hier montrait que les prix à la production sur un mois étaient en hausse de 0.2% contre 0.3% attend – donc : TOUT VA BIEN. Soudainement on ne parlait même plus du CORE PPI – oui, parce que lui il était en ligne avec les attentes – soit en hausse de 0.3%. Mais comme c’était moins « bullish », on a préféré ne pas en parler.

Donc les marchés se sont emballés parce que le PPI était « moins pire que prévu ». La baisse des taux potentielle aux USA est toujours un problème majeur, puisque dans la foulée deux banques d’affaires : Deutsche Bank et Bank of America ont repoussé leurs attentes de baisses de taux à la fin de l’année et que de moins en moins de personnes veulent croire à une baisse en juin. Mais le PPI était « meilleur que les attentes et ça nous suffisait amplement. Pendant ce temps, les Jobless Claims étaient plus faibles, donc l’emploi restait fort, mais on s’en tape cordialement, puisque le PPI est brutalement devenu LE CHIFFRE QUI VA NOUS CHANGER LES TAUX ET L’INFLATION.

Les Bulls, toujours les Bulls…

Et puis ça n’est pas tout. Ça n’est pas tout parce qu’hier, il y a aussi eu deux ou trois analystes qui ont pris le temps de décortiquer un peu plus loin les chiffres du CPI de la veille et qui y ont découvert des chiffres tout au fond, écrits en petits caractères, qui montraient des signes – je cite : « ENCOURAGEANTS, qui montre que la déflation est toujours en cours ». Donc, si j’ai bien compris ; l’inflation est en hausse depuis 4 mois, mais comme à l’intérieur, on a découvert qu’il y avait de plus en plus de produits qui montaient moins fort, ça veut dire qu’à terme, ça va se ressentir et que tout va bien se passer. MOI JE VEUX VRAIMENT SAVOIR CE QU’ILS PRENNENT COMME DROGUES, parce que ça a vraiment l’air trop cool et j’en veux aussi.

La découverte de ces « bons chiffres » à l’intérieur des chiffres du CPI plus le fait que tout le monde est méga-bullish sur les chiffres du trimestre qui arrivent. On pense que les attentes seront facilement battues, que les shares-buy-back seront légions et que les perspectives liées à l’intelligence artificielle seront un moteur de croissance, il n’y a vraiment pas de raison que le S&P500 ne soit pas à 6’000 à la fin du mois de juin. Sans compter que certains DIEUX DE LA FINANCE, pensent que les chiffres du PCE (qui sont nettement mieux que les chiffres du CPI) pourraient EUX, montrer une déflation dans deux semaines. Encore des coups sûrs et des certitudes en termes de prévisions – comme pour les 6 à 8 baisses de taux en 2024 avec la première en mars.

Let’s keep it simple

En essayant de faire simple, hier nous avons vécu une séance de rebond spectaculaire aux USA. Pas forcément parce que tout allait bien dans le meilleur des mondes, mais surtout parce que nous avons reboosté notre capacité à ne voir et à n’interpréter QUE les bonnes nouvelles, que les bons chiffres. Sans compter que nous avons fait preuve d’un optimiste délirant sur la capacité des sociétés à nous publier des chiffres de folie dans les semaines qui viennent. Hier, tout le monde s’est jeté sur les Magnificent Seven qui fêtaient leur retour – enfin, pas tous – et dans ces conditions, le Nasdaq Composite terminait sa séance au plus haut de tous les temps et le S&P500 posait les jalons pour faire de même dans les jours qui viennent.

En tous les cas, si nous avons appris quelque chose ces 48 dernières heures, c’est que le marché se fout pas mal de la baisse des taux et qu’il a définitivement tiré un trait sur le sujet et qu’il va se concentrer sur n’importe quel chiffre positif qui pourra lui justifier le fait de monter encore de 3% supplémentaire et de se chauffer sur n’importe quelle nouvelle technologie. Comme disait l’autre : la bourse c’est un endroit où il y a des bonne et des mauvaises nouvelles, des hausses et des baisses, des krachs et des rebonds, des faillites et des take-over, mais à la fin, c’est TOUJOURS les BULLS qui gagnent.

Ce matin on ne fait rien mais on n’en pense pas moins

L’Asie est partagée ce matin. Le Japon se maintient légèrement dans le vert alors que le ministre des finances, Monsieur Suzuki, a déclaré que les autorités analysaient non seulement les récentes baisses du yen, mais aussi les facteurs à l’origine de ces mouvements, et a répété que Tokyo se tenait prêt à réagir à toute fluctuation excessive de la monnaie. Pendant ce temps, Hong Kong et la Chine plongeaient allégrement dans le rouge, toujours à cause de leurs problèmes immobiliers. La banque centrale coréenne maintient ses taux inchangés et se montre prudente face à l’inflation qui ne veut pas vraiment baisser non plus…

Le pétrole est à 85.62$ et tout le monde a les yeux rivés sur le Moyen Orient. Les Américains ont prévenu les Iraniens de ne pas toucher à Israël, mais c’est pas sûr que ça suffise. Les tensions restent palpables et le baril se retient de trop bouger – pour le moment. En revanche l’or ne s’arrête plus. C’est une machine à pognon et le métal jaune vient donc de franchir les 2’400$. Le Bitcoin est à 71’000$ et le rendement du 10 ans américain est à 4.57% – on sent quand même bien que la baisse des taux, c’est pas pour tout de suite, même si le marché s’en moque comme de sa première chemise…

Nouvelles of the day

Dans les nouvelles du jour, on notera donc qu’Amazon a terminé au plus haut de tous les temps – bon, il faut dire que le CEO a déclaré qu’il allait couper les coûts et investir dans l’IA. Google a fait pareil et qu’Apple a enfin réussi à rebondir alors que les commentaires optimistes de la part des banques d’affaires foisonnent ces derniers jours. Apple était en hausse de plus de 4% hier soir. Si les commentaires optimistes sur Apple sont fréquents ces derniers jours, c’est pas vraiment le cas sur Tesla, puisqu’on commence à se demander si les Robotaxis annoncés par Musk peuvent vraiment être sur nos routes au mois d’août – la réponse des anti-Musk est clairement : NON. D’ailleurs les autorités compétentes ont déclaré que Musk ne les avait même pas contactés à ce sujet. Ça ne va donc pas être simple de mettre des milliers de Robotaxis dans la rue sans autorisation… Autrement, il y a Vertex qui rachète Alpine Immune Sciences pour 4.9 milliards ou 65 dollars par action. Alpine était donc en haute de 36% durant la séance d’hier. On notera aussi que Morgan Stanley a eu le plaisir de voir débarquer le FBI dans ses bureaux de la division Wealth Management. On parle de blanchiment d’argent, ce qui aura au moins le mérite de donner lieu à une série Netflix dans quelques mois.

Il y a aussi les Américains qui sont en train de chercher de l’argent pour envoyer en Ukraine par tous les moyens, alors que la Russie est semble-t-il en train de faire des avancées majeures. Pendant ce temps, Macron fait le coq pour encourager l’Europe à augmenter sa puissance militaire pour être « prête ». Le gars se prend vraiment pour De Gaulle, avec 80 centimètres de moins. Toujours est-il que les tensions militaires sont présentes un peu partout et que tous les chefs d’États de la planète semblent chaud-bouillants pour en découdre. Forcément, c’est pas eux qui vont se faire tirer dessus. Et pendant ce temps, le marché s’en tamponne.

Les chiffres du jour

La semaine se termine et du côté des chiffres nous aurons les CPI’s de l’Allemagne, de la France et de l’Espagne. Mais tout va bien se passer, puisque l’on a bien compris que l’Europe dominait totalement la course à la désinflation. C’est probablement grâce aux visions de Bruno Le Maire. L’homme qui ne se trompe jamais, tout en écrivant des bouquins de cul entre deux meetings. Pour le reste, nous allons avoir les premiers chiffres du trimestre et c’est les banques qui vont ouvrir les feux – comme d’habitude. Avant l’ouverture, il y aura donc JP Morgan, Wells Fargo, Citi et BlackRock. Pas sûr que ça nous change la vie, puisque les banques elles-mêmes sont incapables de comprendre les bilans des autres banques. Mais au moins ça nous donnera le coup d’envoi pour ce qui va nous occuper ces prochaines semaines.

Mais on aura le temps d’en reparler. Il me reste à vous souhaiter une excellente journée et nous, on se revoit lundi à la même heure et au même endroit. On va essayer de méditer et de réfléchir pendant le week-end, histoire de voir s’il ne faudrait pas fixer un objectif à 7’000 sur le S&P500 pour la fin de l’année, tellement tout va si bien.

Bon week-end à tous !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Buy not on optimism, but on arithmetic.” Benjamin Graham